le blogadoch2

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mardi 19 décembre 2017

Promesse tenue


Une mini nouvelle sur une façon de tenir ses engagements. Où l’on partage le ressentiment du malheureux héros dans sa rencontre avec un homme de parole.




— Jeannot !? Mais que t’arrive-t-il ? Que s’est-il passé ? Pourquoi ce sac de glaçons sur ton œil ?

    De son œil valide empli plus de détresse que de colère, le barman examine sans répondre le nouveau venu. Il cherche vainement une explication à donner qui lui permettrait de rester digne face à cette pluie de questions. Mais son esprit troublé ne peut s’empêcher de reconstituer encore le fil de cette affaire déroutante… Encore et encore… Depuis toutes ces années, il avait oublié cette histoire idiote. Qui datait de quinze ans au moins…


     Un sale gamin avait moqué son allure maladroite d’adolescent boutonneux, ce corps grand et maigre, qui ne savait quoi faire de ses membres d’échassier. Il se rappelait combien, à l’époque, son physique lui déplaisait, et bien sûr, n’avait pas pu supporter que le petit garçon entonne avec ses copains, une comptine moqueuse, scandée et répétée pour blesser encore plus.

      Lui, du haut de ses seize ans et son mètre soixante-quinze, n’aurait pas dû revenir sur ses pas pour gifler l’impertinent. Un adversaire trop facile, bien sûr, mais aussi bien trop agressif et bien trop méchant, qui le méritait bien : qu’avait-il besoin de mettre le doigt sur les points sensibles, de faire saigner ces terribles plaies qui gâchaient son adolescence ?

     Et l’autre là, cet homme fait, qui arrête sa voiture au milieu de la route, en sort comme un diable de sa boîte, l’empoigne d’une main puissante par un bras, le tire en arrière et lui assène son lourd poing sur le nez ! Il le voit encore à travers les larmes jaillies sous le coup, qui lui crie son indignation :

    — Un grand comme toi, tu bats un petit ? Mais tu n’as pas honte, espèce de grand  échalas ?

     Et pour finir :

    — Que je ne te revoie jamais plus devant moi ! Évite-moi autant que tu peux, car si jamais je te revois, je te redonnerai le double de ce que tu as infligé à ce petit ! Tu m’as bien compris ? Et surtout ne l’oublie jamais, car moi, je tiens toujours mes promesses !

Et, il l'a tenue, sa promesse, ce malade ! Venir boxer un paisible tenancier de bistrot qui ne lui a rien fait ! Il faut être fou !


     — Jeannot ?

    Comment une telle suite d’événements a-t-elle pu se bâtir ? Comment expliquer le comportement de cet homme maintenant d’âge mûr, qui me reconnait sous mes quatre-vingt dix kilos et mon visage que le temps a débarrassé depuis longtemps de cette acné juvénile?

     Je le revois qui entre dans mon bar, vide, à l'heure creuse  :

    — Bonjour, un pastis, s’il vous pl… mais attends, je te reconnais, toi ! Tu es le grand couillon qui frappe les petits. Je t’avais dit de ne jamais plus te montrer devant moi ! De m’éviter !

    Et de parler de promesse à tenir, en ponctuant son discours d’un coup de poing dans l’œil, par dessus le comptoir !

    Comment concevoir que cette histoire de gamins vieille de quinze ans, se soit continuée jusqu’à ce jour ? Et de cette façon incroyable ? Il est malade ce type ! Et parti aussi vite qu’arrivé…

    — Jeannot ?

    Et aux autres ? Je vais dire quoi, aux autres ? Que je me suis cogné dans une porte ? Non, je ne le dirai pas. Qu’il est normal de toujours tenir ses engagements ? Eh bien non, je ne le dirai pas non plus...

    — Jeannot ?

    — Ah, Joseph, qu’est-ce que tu bois ?



D'après une histoire vraie...




mardi 5 décembre 2017

Bon voyage, Monsieur le Comte! Hommage à Jean d'Ormesson

 
Les athées sont assis à la droite d’un Dieu auquel ils ne croient pas.
Jean d’Ormesson

 


Le monde vient de quitter Jean d'Ormesson. Le monde est triste.

Parce que nous le lisons beaucoup et nous l'écoutions souvent, nous savons que Jean d'Ormesson ne craignait pas le grand départ. À l'opposé de ce que je viens d'écrire, il appelait la mort par son nom et considérait que son coup de faucille était non seulement dans l'Ordre des choses, mais souhaitable, afin que la vie acquière toute sa valeur et fasse apprécier toute sa beauté.

Nous croyons bien le connaître, ce monsieur poli, mesuré et cultivé. Ses anecdotes savoureuses distillées avec parcimonie sur le petit écran, font apprécier son humour. Mais méfions-nous de ses confidences, elle ne concernent pas toujours l'homme, elles sont parfois enjolivées ou même créées par l'écrivain.

Une quarantaine de livres sont le résultat de son activité littéraire. Des ouvrages aux titres évocateurs, des titres qui dévoilent déjà un peu leur contenu. Jugez-en :

Pour Jean d'O — comme il se faisait appeler parfois — L'amour est un plaisir. Mais pas toujours : il a connu Un amour pour rien  qui lui fit se poser la question : Et toi mon cœur, pourquoi bats-tu?
Les voyages étaient sa drogue, et la méditerranée l'attirait comme un aimant. Nous l'avons suivi dans ses longues baignades en Grèce, en turquie ou en Corse, en compagnie de Marie, son grand amour de roman. Tous les hommes en sont fous, disait-il. Ou alors n'étaient-ce que Les illusions de la mer, ou le voisinage à Venise de la Douane de mer?
Il avouait facilement qu'il aimait les femmes, sans rien attendre d'elles en retour. C'est l'amour que nous aimons, précise-t-il. 

Comme en marge de sa vie si active, il montre aussi son attirance pour l'automobile. Sans doute apprécie-t-il à la fois la beauté mécanique et la sensation de glisser dans l'espace, comme à ski, ou comme dans l'eau bleue au cours des longues nages qui lui plaisent tant.

L'auto est l'occasion pour moi de raconter ma rencontre avec lui, et l'honneur qu'il me fit, avec sa gentillesse habituelle.
Je venais de publier un ouvrage sur mes aventures automobiles, une histoire légère de mes amours mécaniques, au cours des soixante-dix années écoulées. Elle raconte sur un mode plaisant, les petits plaisirs que procure, aux amateurs, la vitesse en compétition et les glissades en voitures sportives et volages, comme le furent les Alpine. 
Mon livre sous le bras, je me rendis à l'une de ses séances de signature dans une grande librairie de la ville, achetai son livre et fis la queue entre les étagères surchargées, dans les odeurs d'encre et les murmures des conversations.
Nous nous connaissions déjà un peu par courrier postal interposé, car je lui avais adressé le bulletin de l'Académie du Var, après m'être rendu compte que nous avions, chacun de notre côté, exprimé une pensée du même ordre sur l'espace-temps. Lui, dans un de ses livres, et moi dans une communication devant mes pairs. Il m'avait remercié par un petit mot, hâtivement griffonné au marqueur noir.

Je me suis présenté, et comme chacun, lui ai tendu son dernier ouvrage pour qu'il le paraphe. À la suite de quoi, je lui ai remis un exemplaire dédicacé de mon livre "Mes autos émois", en plaisantant sur l'inversion des rôles, qu'il sembla apprécier.
Le lendemain matin, alors que je jardinais, il m'appelle au téléphone :
— ... C'est Jean d'Ormesson. Je vous remercie pour votre livre. J'en ai lu quelques pages, je me suis beaucoup amusé, il est épatant! Bravo!
Je fus d'autant plus touché que j'avais lu quelque temps auparavant un de ses sévères commentaires à propos du trop grand nombre de manuscrits qu'il recevait :
— Ils sont tous mauvais! avait-il écrit.
Son savoir-vivre me fut confirmé par le soin qu'il mit à répondre aux quelques courriers que je lui adressai à la suite de cet événement.

Jean d'O aimait les gens, et le leur faisait savoir. Sa vie était pleine de rencontres, d'amitiés, de plaisirs. Des plaisirs réduits sous sa plume en "plaisir" au singulier : le plaisir est bien préférable au bonheur, disait-il. D'ailleurs, Voyez comme on danse!

Sa culture n'avait d'égale que sa modestie, qui lui faisait dire que sa vie avait été le résultat d'une suite d'erreurs, et qu'il ne savait ...presque rien sur presque tout... 
Il avouait passer des heures de correction sur une seule page d'écriture, parfois.

Dans ses œuvres, il avait abordé plus d'une fois ces questions empreintes de métaphysique, qui pointent leur nez si facilement entre l'esprit et le cœur lorsqu'on atteint un certain âge. C'est ainsi qu'il nous parle de Dieu, sa vie, son œuvre, et de la Création du monde, qui garde encore tellement de mystères qu'il faut se demander si la vie n'est pas Une fête en larmes, si ce n'est pas ...une chose étrange à la fin que le monde...

— Bravo, monsieur Jean d'Ormesson de nous avoir fait goûter au Vent du soir, à l'histoire de la littérature française, à l'Odeur du temps, et à sa Saveur.
Nous savons aujourd'hui que vous alliez vous en aller ...sans avoir tout dit, car la vie ne suffit pas. Mais nous sommes consolés de savoir que C'était bien, et que ...malgré tout cette vie fut belle.

Vous avez fignolé jusqu'à votre mourir, délicat et simple, une dernière preuve de savoir-vivre. 

Si je vous dis que vous allez nous manquer, allez-vous me répondre : Et moi, je vis toujours?  Quoi qu'il en soit, je souhaite que le chemin que vous empruntez aujourd'hui reste le plus beau de vos voyages...

Au revoir et merci, monsieur Jean d'Ormesson.