Une nouvelle nouvelle basée sur la SF. Et cette fois, en deux parties, juste pour le suspens...
Dimanche 29 avril 2018 :
Ne voulant pas faire durer le suspens car n'étant pas porté au sadisme (!), je vous présente la nouvelle dans son intégralité...
Bonne lecture!
Alfred Leroux rêvait d’être écrivain.
Son
métier monotone au sein d’une administration somnolente l’ennuyait
profondément. Et entre deux imprimés qu’il avait la charge de contrôler, son
esprit s’échappait de plus en plus souvent, lorsque dans sa tête se
construisait presque à son insu, une jolie phrase, aux mots dansants, qu’il
imaginait imprimée en caractères noirs sur le fond blanc de la page d’un de ses
livres à succès. Comme celle-ci, par exemple:
"Ébloui
par les eaux miroitantes du lac aux éclats brillants, il laissait son esprit
flotter dans les dédales fleuris de son imagination..."
Il
n’avait pas conscience de la médiocrité de son style, et s’imaginait romancier
reconnu :
—
Je vois très bien mon nom, Alfred Leroux, en haut de la couverture de mon
prochain livre. On penserait que je suis parent avec le célèbre Gaston Leroux,
connu des amateurs d’histoires mystérieuses.
Il
avait tenté d’écrire un roman, quelques années plus tôt, mais n’avait jamais
trouvé d’éditeur. Aujourd’hui, il se sentait plus mûr, plus averti, et se dit
qu’il était temps de faire un autre essai. Commencer par une nouvelle, par
exemple. Mais dans un domaine peu commun : le monde de l’étrange, des
phénomènes mystérieux... Tiens, un récit de science fiction, par exemple! Oui,
ce serait parfait!
Mais
là encore, comment sortir des sentiers battus, comment ne pas retomber dans les
clichés mille fois cités au cinéma, usés dans les bandes dessinées, répétés
dans les romans dits SF?
—
Il me faut un sujet nouveau, jamais exploité. Quelque chose d’inattendu,
d’étrange, et pire, de terrible, de tragique...
Les
semaines qui suivirent ne lui permirent pas d’avancer dans sa recherche. Son
imagination demeurait stérile, sa muse faisait la grève.
—
Je n’ai plus qu’une solution, demander de l’aide...
Le
voici devant un coquet petit pavillon de banlieue, au bout d’une impasse
donnant sur la campagne toute proche. Un ami de ses parents habitait là. Depuis
toujours, on l’appelait : "Monsieur Graminet".
Les
tenants de l’aptonymie pourraient penser qu’il est herboriste, ou vétérinaire spécialisé dans le soin de
chats obèses. Que nenni! Tout le monde le considérait comme un savant, à cause
de ses fonctions passées, dans le cadre du CNRS. On savait qu’il avait été
quelque chose comme chercheur, anthropologue, archéologue, historien,
sociologue... Mais c’était surtout un puits de science assez peu orthodoxe. Il
avait appris à lire avec Homère, et depuis, l’histoire de l’homme le
passionnait.
Une
réputation particulière le qualifiait, parce qu’il n’hésitait pas à aller à
l’encontre des idées toutes faites, et à contredire les fondements mêmes de la
formation qu’il avait reçue, lorsqu’il s’agissait de l’histoire de l’humanité.
Dans sa longue carrière, cette attitude non conforme à la pensée universitaire,
lui avait valu beaucoup d’ennuis et peu d’avancement, comme on peut le supposer. Mais s’il n’en
avait tiré aucune gloire, il avait été heureux de garder son indépendance
d’esprit et de défendre ses propres convictions.
Encore
maintenant, lorsque ce sujet était abordé, il s’animait avec feu, et son
indignation presque juvénile faisait oublier les quelques 35000 jours qui
pesaient sur ses épaules :
—
Ces types qui décident des programmes de recherche, sont tellement formatés,
ils ont l’esprit tellement borné, qu’ils ont perdu toute faculté imaginative.
Ils ne sortiront jamais du cadre universitaire. Comment leurs recherches
peuvent-elles aboutir, s’ils pensent que c’est ce qu’on leur a appris qui
contient toute la vérité? Je vous donne des exemples rapides :
-
Nous ne descendons certainement pas du vagin d’une guenon, c'est évident! Mais il ne faut pas
contredire cette hypothèse;
-
À l’époque appelée Âge de bronze se sont construits des monuments que
l’on aurait du mal à imiter aujourd’hui. C’est sans doute avec un petit burin
de bronze et un petit marteau, qu’on a taillé des blocs de 100 tonnes, qu’on
les a déplacés, et empilés au millimètre près?
Mais
quand je soulève ces objections devant mes collègues, ils me répondent :
— C’est bien beau, tout ça, mais nous ne
savons pas quoi faire de ces constatations. Elles n’entrent pas dans le cadre
de nos certitudes universitaires. Alors...
En
marchant vers le petit pavillon, Alfred se dit que, compte tenu de son état
d’esprit, monsieur Graminet sera l’homme le plus apte à l’aider à trouver un
thème original pour son récit de fiction.
—
Content de voir, mon cher Alfred, que tu essaies à ta façon de t’échapper aussi
du cadre étriqué de ton métier. C’est bien d’avoir des projets d’écriture, je
veux bien t’aider, et te lancer sur quelques pistes originales.
Que
dirais-tu d’une histoire contemporaine avec, ou plutôt contre, des
extra-terrestres, par exemple? On va faire le tour de ce qu’on peut imaginer
comme thèmes...
Quelques
heures plus tard, la bouche encore imprégnée du goût d’une vieille fine de
qualité, et la tête zonzonnante de tous les thèmes abordés, Alfred prit congé
de son vieil ami.
De
retour chez lui, bouillant intérieurement de mille idées, il se jette sur son
ordinateur et ses doigts courent sur le clavier :
Titre
: Mères porteuses pour
Aliens
Mise
en situation :
La nuit est noire dans cette campagne des
Pouilles. Une ferme isolée. Dans sa chambre au grenier, Angelina, une jeune
fille solide de 18 ans s’agite dans son lit : des choses bizarres se passent,
comme dans un cauchemar, et lui procurent un certain malaise. Elle croit même,
à un moment donné, se retrouver dans une pièce qui ressemble à une chambre
d’hôpital, entouré d’êtres blanchâtres qui sentent mauvais.
Un village du Vaucluse, la jeune Julie
sort à demi de son sommeil, car elle a l’impression qu’on est entré dans sa
chambre. Mais ses paupières sont lourdes, et elle ne parvient pas à en savoir
plus. Malgré elle, elle replonge dans un sommeil peuplé d’êtres bizarres,
émettant une odeur nauséabonde.
Valence, Espagne : au dernier étage d’un
immeuble, Rosa, 17 ans, fait un cauchemar : le plafond de sa chambre s’ouvre et
elle est aspirée dans un rayon de lumière... Des petits personnages parlent
dans sa tête, et la manipulent physiquement.
Suite
:
Ces jeunes femmes se réveillent avec une
impression étrange, envahies par un certain malaise physique, mais sont
incapables de se rappeler quoi que ce soit. Aucune d’elles n’est inquiète.
Cependant Julie est un peu étonnée de se retrouver vêtue d’une chemise de nuit
qu’elle n’a jamais vue...
—
Monsieur Graminet? Excusez-moi de vous déranger de si bonne
heure. J’ai écrit une bonne partie de la nuit. Mais j’ai un problème : comment
peut-on expliquer que ces femmes n’ont, non seulement aucun souvenir, mais surtout
ne ressentent aucune angoisse? Et même, d’après votre suggestion, qu’elles
seraient plutôt sereines? Et ne trouvent pas très anormal d’avoir changé de
vêtement de nuit...
—
Ah, tu as trouvé la faille. Eh bien, disons par exemple, que si elles se
sentent bien, c’est en rapport avec leur épistaxis.
Alfred,
sidéré :
—
Leur... é-pis-ta-xis?
— Oui, elles ont toutes, au réveil un peu de sang séché à la narine
droite.
—
Et...
—
Et cela vient du fait qu’on leur a planté un trocard dans les fosses nasales,
perforé le vomer, pour insérer à la base du cerveau, une puce électronique. À
partir de ce moment, elles sont sous la domination des Aliens, qui peuvent non
seulement les contrôler, mais influencer leur douleur, leurs affects, leur
mémoire, leur comportement.
—
Mon Dieu! Quelle imagination! Votre réputation n’est pas usurpée, monsieur
Graminet! Merci, je note tout ça, c’est génial comme idée...
Développement
Ainsi,
les Extra-terrestres peuvent continuer leurs petites affaires sans que les
victimes n’aient simplement la possibilité de se rappeler ce qui leur est
arrivé. Et si, confusément, elles en gardent quelque souvenir, leur
conditionnement fait qu’elles n’éprouvent aucun besoin de s’en étonner, aucune
nécessité de le faire savoir.
Pourtant,
des informations répétées concernant ce sujet se sont répandues, et des
chercheurs curieux — à l’image de monsieur Graminet sans doute — se sont
intéressés de près à ces prétendus enlèvements. Pour avoir le maximum de
renseignements, ils ont proposé aux victimes de se prêter à une ou plusieurs
séances d’hypnose sous contrôle médical. Dans tous les cas, les détails de leur
aventure ont afflué, ont précisé et confirmé ce que l’on imaginait sans pouvoir y
croire.
—
Monsieur Graminet, c’est encore moi, Alfred. Comment peut-on décrire le
processus de l’enlèvement physique, alors que ces jeunes femmes dorment dans une
chambre close? Est-ce que les Aliens cassent la porte ou la fenêtre?
—
Mon petit, il faut que tu fasses fonctionner un peu ton imagination! Je ne sais
pas tout... Tu pourrais peut-être suggérer que les Aliens, s’ils ont des
vaisseaux si rapides, si performants, si silencieux, si maniables, s’ils
arrivent à franchir ce qui sépare notre monde du leur, c’est sans doute parce
qu’ils ont des possibilités extraordinaires que nous ne connaissons pas.
Ce
n’est pas parce que notre savoir et notre science ont des limites, que
l’univers doit se plier à ces limites.
Sans
doute qu’un toit, un mur, ou une porte ne les arrêtent pas… Invente!
Alfred
retourna à son manuscrit :
L’évolution
de ces êtres venus d’ailleurs est tellement en avance par rapport à la nôtre
que l’on peut imaginer qu’ils ont la possibilité de pénétrer à l’intérieur des
maisons, sans rien casser (à développer, AL).
Julie,
pendant la séance d’hypnose raconte :
—
Je suis entraînée hors de mon lit... Je me revois... noyée dans une lumière
bleutée, qui m’emporte comme en m’aspirant...
J’ai
une autre image... d’une chambre blanche... pleine de lumière, une impression
d’activité, on me touche... on pénètre mon ombilic... Pendant ce temps, on
parle dans ma tête, comme pour me rassurer. Mais il se passe... beaucoup... de
choses...
—
Vous êtes dans cette pièce blanche, et on vous manipule, on vous parle. On
pratique sur vous une cœlioscopie.
Souffrez-vous?
—
Non, pas vraiment, mais ce n’est pas agréable... je sens “qu’on me fait des
choses“...
—
Avez-vous vu des êtres?
—
Oui, des petits avec la tête qu’on dessine toujours... un gros crâne... un
visage étroit, des yeux immenses tout noirs. Je crois qu’avec eux, il y avait
aussi des très grands... presque filiformes. Et cette odeur! Une horrible
odeur...
—
Maintenant, on vous ramène à votre lit. Vous souvenez-vous de votre retour?
Les
sujets, même sous hypnose, ne se souviennent pas de leur retour quelques heures
plus tard.
—
Non, je me suis réveillée... un peu vaseuse, dans mon lit. Je ne sais pas
comment... Et cette chemise de nuit...
—
Ce n’était pas votre chemise de nuit?
—
Non, pas du tout! Ce n’est pas la mienne!
—
Avez-vous constaté des traces sur votre corps?
—
Du sang séché à la narine droite... et quelques marques... comme si on avait
appuyé très fort avec les doigts... sur mon menton.
—
Et votre ombilic?
—
C’est vrai, il a été à peine sensible pendant quelques heures.
On
demande ensuite à la jeune femme, si elle a subi un seul, ou plusieurs
enlèvements :
—
Je ne sais pas. J’ai des souvenirs qui se heurtent...
—
Ces événements ont eu lieu il y a presque un an maintenant. Après votre
enlèvement, avez-vous constaté un arrêt de vos règles?
—
Oui... pendant 3 mois environ.
Angelina,
la petite paysanne des Pouilles, a raconté qu’elle avait le souvenir que ses
règles avaient été interrompues à 5 ou 6 reprises, au cours des dernières
années.
Depuis
la nuit des temps, de la même façon, des centaines de milliers de femmes
gravides subissent le même sort. Et certaines, de multiples fois, comme la
jeune Italienne.
Des
chercheurs passionnés par le sujet, ont mis sur pied un questionnaire
comprenant de multiples questions indirectes, qu’il ont adressé à des milliers
de jeunes femmes, prises au hasard. Les réponses ont laissé supposer, qu’à leur
insu, un certain nombre d’entre elles avaient été enlevées.
Il
semblerait que les Aliens préfèrent les filles aux yeux verts appartenant au
groupe Rh moins. Allez savoir pourquoi...
Ainsi,
pour une raison que nous ignorons, les envoyés de ces autres Mondes utilisent
les jeunes femmes de notre planète comme des mères porteuses. Ils ont trouvé un
moyen de créer de nouveaux êtres en combinant une semence mâle avec les gonades
des femmes de la Terre (développer, AL).
Ils
reviennent deux ou trois mois plus tard récupérer le foetus, qu’ils ont sans
doute le moyen d’élever “en couveuse“. Les jeunes femmes retrouvent leurs
règles, et sans doute avec l’aide de la puce implantée dans leur cerveau, “oublient“
l’incident.
— Bonjour,
monsieur Graminet, je reviens vous voir avec le brouillon du squelette de ma
nouvelle. Je voudrais que vous en preniez connaissance. Bien sûr, je vais
broder pour faire monter l’angoisse du lecteur, et meubler le tout avec des faits
un peu “gore“...
Je
pense que ça va plaire. En tous cas, merci beaucoup, vous avez une sacrée
imagination!
Monsieur
Graminet chausse ses lunettes et lit avec attention, pendant qu’Alfred sirote
sa fine.
—
Alors, qu’en pensez-vous? Il y a un concours de “Nouvelles de Science Fiction“,
en ce moment, je suis certain d’être sélectionné!
—
Non.
—
Comment “Non“ ?! Grâce à vous, le thème est justement fantastique, c’est
ce qu’il faut pour un concours de science fiction, non? Et puis, ce n’est pas
trop mal écrit, je me suis appliqué, je crois avoir fait des progrès. Et vous
pensez que je ne serai pas sélectionné au concours de science fiction?
—
Vous ne le serez pas.
Alfred,
stupéfait :
—
Et pourquoi? Puis-je savoir, s’il vous plaît?
Monsieur
Graminet prit le temps de replier le document, d’ôter ses lunettes, et de finir
son verre, avant d’annoncer tranquillement
:
—
Parce que ce n’est pas de la science fiction.
M. Graminet a-t-il raison?
Quelques éléments peuvent peut-être vous aider à vous faire une opinion, dans l'article : "Les sources de M. Graminet".
Et bien après le café du matin, cela déchire, comme disent les jeunes ! Comme dans les grands feuilletons populaires du 19eme, vivement la semaine prochaine.
RépondreSupprimerMerci à Unknown d'apprécier la volontaire imitation des feuilletons des siècles passés.
RépondreSupprimerC'est l'allusion de Alfred à Gaston Leroux qui m'a donné cette idée. Et la question posée était idéale pour déclencher un suspens intéressant. La chute n'est pas en reste, non plus.
Suite bientôt...
D.
Et d'abord je ne m’appelle pas Unkwown, mes amis me connaissent sous lez nom de P7R et je roule avec une Dame des Temps anciens.
RépondreSupprimerCette fois le café a eu du mal à passer,car finalement qui suis je ? Venu d'un autre ailleurs, si cela n'est pas de la Science Fiction. Il en a de bien bonnes le Professeur Grasminet quelque chose, j'aimerais bien voir Madame Graminette pour savoir ce qu'elle en pense.
Bon je vais essayer d'aller faire la sieste et de ne pas rêver.
Mais en tout cas, Doch, comme disent les anglais : "good job!".
Merci pour le compliment!
RépondreSupprimerJe me doutais bien que tu avais oublié de signer...
J'ai fait lire le texte à ma dame Graminette à moi. Elle a cru que c'était l'œuvre d'un écrivain... Bah, l'erreur est humaine.
D.
Retombant par hasard sur ce texte, je dois préciser que l'on comprend mieux les premiers commentaires lorsqu'on sait que le texte avait été prévu en deux parties, et avait effectivement vu pour un temps sa première partie publiée jusqu'à la question :
RépondreSupprimer— E-pis-ta-xis?