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lundi 7 décembre 2020

La Tradition en question(s)...

La Tradition en question (s)     

En écrivant cette note à l'intention des praticiens spécialisés en médecine chinoise, j'ai réalisé qu'elle pouvait peut-être intéresser ceux de mes lecteurs curieux de ce qui est à la fois ancien et mystérieux, comme l'est la Tradition, cette notion universelle et imprescriptible, et cependant  si mal connue. C'est pourquoi, après en avoir adapté la forme,  je les invite à partager mes réflexions sur le sujet.

  

Le fait de porter de l'intérêt à une discipline antique s'accompagne la plupart du temps de l'obligation de "connaître" la tradition dont elle est issue, la véritable Tradition, avec un T majuscule, et non pas les avatars que l'on propose habituellement sous son nom, comme le folklore, les coutumes, les choses du passé, ou de la liturgie.

Ce mode de pensée primordial est si ancien que son origine est impossible à dater, et son exégèse très difficile pour diverses raisons.

Il semblerait aujourd'hui, que l'abord  de la Tradition n'est plus ce qu'il était.

 

Difficulté d'aborder la notion de Tradition

Il est important de déjà noter combien un discours sur ce sujet est difficile. Et ceci, pour plusieurs raisons.

- La définition de la Tradition n'est pas aisée, et elle varie avec les auteurs. C'est une notion peu compatible avec notre mode de pensée, plus conditionné par le matérialisme et la science, et par ce que nos sens constatent, que par la métaphysique et la spiritualité. 

- Elle concerne des notions difficiles à appréhender, difficiles à citer et à faire comprendre. C'est pourquoi son usage ou son exégèse ont imposé l'usage de nombreux symboles, et des avatars de ceux-ci, pour la rendre plus facilement comprise, et aussi pour que l'Homme puisse mieux en concevoir l'autorité à l'occasionde ses réflexions, de ses actes, de ses constructions intellectuelles ou même matérielles[1].

- Même son étymologie prête au doute : le mot tradition, viendrait du mot latin traditio, qui fait allusion, non pas à une notion figée, mais à un concept en permanent transfert, car il veut dire transmission

- Accorder une telle importance au transfert à d'autres, d'un thème, en ne lui donnant pas d'autre nom que celui de cette transmission, explique et justifie l'importance qu'on accorde à cette dernière, qui concerne ici un fait de qualité : le transfert de la Connaissance.

- Enfin, et c'est ce qui semble aujourd'hui un critère plutôt gênant : on apprend que cette transmission ne se faisait qu'oralement. Comme le signale Jacques-André Lavier[2]:

"La Tradition, science de nos ancêtres, est un système de pensée universel qui obéit à des principes primordiaux. Bien que généralement transmise oralement pour diverses raisons, ajoute-t-il, elle n'est pas sujette aux changements, compte tenu de ses bases pérennes et indiscutables“

 

Il n'est pas inutile de s'attarder sur ce point, et d'en chercher "les diverses raisons".

 

La transmission orale de la Tradition : une pensée émise

La transmission, le transfert à autrui du contenu de ces concepts d'ordre métaphysique, fut, semble-t-il, la préoccupation constante des Sages des temps anciens, comme nous l'avons laissé entendre. Sans doute parce qu'après avoir constaté que l'Ordre du Monde était parfait, il fallait le faire savoir aux Hommes et à leurs descendants, pour qu'ils s'y conforment de la manière la plus précise qui soit ; ceci pour rendre leurs tâches légitimement conformes[3], et ainsi assurer leur sécurité, leur santé, et même leur finitude.

Mais pourquoi limiter les moyens de cette transmission à l'oralité, et à elle seule? Pourquoi ne pas avoir systématiquement couché cette connaissance, sur le parchemin, sur l'os plat, ou sur quelque autre matériau ?

Peut-être que, dans le contexte de l'époque (quelle qu'en soit la date), une qualité particulièrement prestigieuse, que nous ignorons, ou que nous ne percevons plus, était accordée à la parole — expression première, donc la plus pure, de la pensée — émise grâce au souffle, ce mot dans la connotation duquel on devine un caractère de transcendance[4].

On peut penser alors que, vis-à-vis d'une pensée émise sans aucun autre moyen intermédiaire que la parole, l'écriture devait être accusée d'abaisser le contenu originel de la parole — ici, de la Connaissance — vers la matérialité de la plume du scribe ou du burin du graveur. Ce qui était certainement considéré comme une interprétation péjorative, une approximation, et sans doute une possible trahison par entropie.

 

Notre position aujourd’hui

Nous nous doutions que le déroulement du Temps, les événements de l'Histoire, la course folle des hommes vers la matérialité— cette solidification guénonienne — nous avaient éloignés de l'accès à la Tradition. 

"Les Temps n'y sont plus", comme l'on dit dans la rue.

 

Alors, après avoir exprimé ce que nous devinions de noble dans l'oralité et sa supposée magie, que devons-nous penser de l'usage immodéré que nous faisons de données écrites avec des machines, de la multiplicité des moyens techniques utilisés pour l'enregistrement ou la communication, qu'ils soient audio- ou numériques — et issus d'autres machines, plus diaboliques encore ?

On peut légitimement se demander ce qu'il reste de ce souffle subtil et transcendant de l'orateur antique, dans un ordinateur, un e-mail, une clé USB, ou un CD...

Peut-être tenons-nous là la raison de notre aveuglement, de notre ignorance, et de notre difficulté d'accès à cette notion spirituelle : nous avons détruit certains liens précieux qui permettaient la transmission de — ou tout simplement la référence à —  la Tradition par la grâce d'une ritualité basée sur la cohérence, des liens qui avaient pour résultat une efficience naturellement et légitimement attendue. 

En rompant la chaîne sacrée des exigences du processus traditionnel, nous avons perdu une bataille sur le chemin de la Connaissance.

Cependant — car la vie, et la pensée avec elle, doivent perdurer — après avoir pris conscience du fait que, le destin de cette fin de cycle nous ayant privé d'une partie des moyens qui nous auraient permis de mieux Connaître, et de nous approcher un peu plus des secrets du Monde, nous pouvons, dans une lucidité retrouvée et une conscience claire, tenter de faire pour le mieux, dans ce Temps qui est le nôtre, avec les moyens qu'il nous impose.

La Tradition n'est peut-être pas tout-à-fait perdue.

 

 

P. S.- Pour ceux qui veulent approfondir le sujet, il reste encore et toujours l'œuvre de René Guénon, qui, a près de 100 ans, n'a pas pris une ride :

Le règne de la quantité et les signes des temps;

La crise du monde moderne; 

Etc.


Voir encore mon dernier livre : La médecine chinoise antique et la Tradition, ici :

http://leblogadoch2.blogspot.com/2023/01/mon-livre-la-medecine-chinoise-antique.html


Voir aussi mon article  : https://leblogadoch2.blogspot.com/2017/09/rene-guenon-pour-les-nuls.html

 

 

 



[1]Référence est faite ici aux œuvres des Compagnons, qui étaient initiés, et donc connaissaient les Principes.

[2]Chercheur autodidacte, sinologue, métaphysicien, qui a restauré de façon magistrale la médecine chinoise traditionnelle.

[3]Comme par exemple d'harmoniser leurs travaux agricoles avec les saisons, elles-mêmes décidées par le Ciel.

[4]De là à la nommer Verbe— en lui accordant des pouvoirs qui nous paraissent irrationnels, mais qui étaient sans doute réellement perçus à ce moment-là de l'histoire de l'Homme — il n'y a qu'un pas, qui sera franchi plus tard.

 

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