Je vous ai déjà proposé un exemple de la prose poétique de mon ami Gérard, dit Salfepa*. Je suppose que certains d'entre vous, comme moi, aiment bien être surpris, ou même déroutés par un style inattendu, c'est pourquoi je vous offre aujourd'hui ce récit jubilatoire d'une fausse-sortie à moto. Une moto et son pilote aussi étranges que le langage du rédacteur...
*ici :
“Temps superbe, propice à une balade avec un
pote et sa moto teutonne qui n’avait pas vu le jour depuis trop longtemps, le
pote non plus d’ailleurs.
Il a une méconnaissance magnifique de la moto,
de ses besoins, conduit à moitié bien, mais semble jouer d’une chance qui
toujours le ramène à la maison. Il roule très peu et je pense que ça doit bien
faire trois ou quatre ans que sa meule n’avait pas pris l’air.
Il bénéficie de l’aide précieuse d’une
descente conséquente de plus de trois kilomètres devant chez lui qui lui permet
de s’abstenir de toute pensée triviale telle que des problèmes de batterie,
d’autant, qu’une fois démarré, il n’éteint jamais son moteur jusqu’à avoir
réintégré ses pénates. Chacun de ses véhicules a toujours accepté de démarrer
avant le pied de la route. J’avais bien suggéré que nous changions l’essence
avant de nous jeter dans le vide, mais il m’a regardé avec l’air de croire que
je doutais, ce qui était bien le cas. Lui ne connaît pas le doute et ça semble
être payant. Il a juste fait le plein avec un liquide bizarre dont nous
n’étions pas très surs de la provenance, mais comme il était écrit essence sur
le bidon, il y est allé franco.
Il m’a quand même concédé de remettre un peu
d’air frais dans ses pneus qui en manquaient autant que les poumons d’un
asthmatique qui aurait décidé de griller une clope au sommet de l’Himalaya.
Nous commençons la descente et je le suis,
désireux à l’avance d’assister au réveil de la madone. Ça crache, ça pète,
puis, ça commence à fumer à gauche, signe d’une bonne nouvelle puisque la
moitié du moulin semble être en mesure de produire quelque chose, et, que, pour
avoir déjà vu rouler le monstre, c’est quand il ne fume pas qu’il faut
s’inquiéter. Ça saccade, et commence à crachoter à droite, jusqu’au réveil
bruyant de cette seconde moitié dont l’échappement ne doit probablement encore
sa présence qu’à l’habitude qu’il a d’être là.
Je me place à côté et ne peux que profiter
éberlué de son absence totale de satisfaction puisque, dans son esprit, il est
impossible qu’il en soit autrement, il n’a même pas imaginé que sa moto puisse
ne pas démarrer. J’adore ce mec avec lequel je partage un goût immodéré pour
les débats de toute nature, qu’ils soient utiles ou pas d’ailleurs, et qui me
surprend toujours par cette conception magistrale de la vie où il est hors de
question de s’encombrer de problème matériel.
Seulement, la Germaine a décidé de fuiter
comme un vieux lave-vaisselle. Comme je le suivais, j’aurais pu refaire son
niveau d’huile en tordant la jambe gauche de mon pantalon et son niveau
d’essence en tordant la manche droite de ma veste.
— Tu tires trop, lui ai-je
dit, profitant d’un arrêt à un stop, ta teutonne tente honteusement de téter
toute ta tisane.
Il est bon de s’entendre sur le « tu tires
trop », celui-ci n’ayant pour but, outre celui de rajouter des T dans ma
phrase, que de créer un sursaut de fierté quant aux performances de sa belle
qui permettrait peut être qu’il accepte qu’elle défaille, car, en fait de
tirer, nous nous sommes fait gratter par tous les jeunes en mob et avons peiné
à dépasser un troupeau de cyclotouristes bedonnants. La stratégie semble
payante et nous voici à l’arrêt sur un parking.
Ma pensée s’échappe à me demander si cette
moto n’est pas plus rapide aux ralentis sur sa béquille, tant les vibrations
l’emmènent. J’ai d’ailleurs mis ralenti au pluriel car il parait bien qu’elle
en a plusieurs, à la fois au regard des régimes différents vers lesquels elle
saute allègrement d’une seconde à l’autre, mais aussi de cette tendance
surprenante que chaque cylindre a de paraitre mener une vie indépendante de son
congénère. Ce n’est pas un twin, c’est un bi-mono. Faudrait lui mettre une
chaine, pas pour éviter qu'on la vole, mais pour éviter qu'elle ne se barre
toute seule.
Visiblement, tout ce qui est sensé contenir de
l’huile en perd, de la fourche au cardan. Je glisse à mon pote de bien
regarder, ce qui lui permettra de deviner où il est normalement utile qu’il
s’en trouve, mais, ça ne semble pas le toucher car il me glisse que ce qui
l’étonne, c’est que, finalement, ça soit les rétroviseurs les dernières pièces
semblant en état sur cette moto, pourtant issue d’un peuple qui a plus souvent
avancé qu’il n’a reculé. Je lui suggère que, peut être, les rétroviseurs ne s’usent
que quand on s’en sert et cette réflexion le satisfait au point que nous
pouvons revenir à nos moutons.
Mon pote décide de rejoindre la maison sans
autre forme de procès, s’offusque que je suggère de vérifier au moins le niveau
d’huile moteur, arguant qu’ils en mettent toujours trop, donc qu’il doit en
rester assez. Ben, c’est possible, lui dis-je, mais c’était il y a longtemps.
En le suivant au retour, décalé pour ne pas
rouler dans le gras, je me dis que Don Quichotte sur sa Rossinante, ça devait
ressembler à ça.
Etonnante machine, qui l’a ramené une fois de
plus à la maison, comme un vieux cheval fidèle ramenant le facteur le jour de
la tournée où il portait les pensions des vieux, et qui a l’air prête à se
contenter du peu qu’il lui donne.
Une fois posé à table devant un coup, il est
sorti de ses songes pour me dire que « ça fait du bien un tour en moto, on
devrait faire ça plus souvent ». Le pire, c’est qu’il a raison, je me suis en
définitive bien amusé, le tout étant de ne pas lier le plaisir au nombre de
kilomètres parcourus“.
Merci à Salfepa.
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