Une nouvelle tirée de
la vraie vie…
Le compresseur
Autrefois, la trousse à
outils d’une automobile était fort volumineuse, et comportait un nécessaire de
réparation des chambres à air (généralement une boîte orangée portant le nom de
Rustine), et bien sûr une pompe. La sollicitude du destin pour les chauffeurs
d’aujourd’hui, et la qualité des pneus et des routes actuelles, font que
certains constructeurs livrent leurs autos sans complexe et sans roue de secours,
avec cependant, un mini-compresseur dont l’utilité reste discutable en
l’absence de réparation.
La mienne, d’auto, est dotée
d’une de ces petites roues de secours qui n’osent plus s’appeler que par le nom
d’une fade pâtisserie aplatie. Aussi pour éviter de rouler au ralenti dans le
cas où l’usage de cette galette me serait imposé par une crevaison, j’ai
récemment fait l’achat d’un mini-compresseur, fonctionnant sur 12 volts. Le but
étant d’offrir à la roue crevée (mais réparée à l’aide d’une mèche collante,
technique que je maîtrise bien), un peu plus de bon air que n’en offre la
cartouche de gaz jointe au nécessaire habituel.
Je dois préciser que la
prise de possession de ce moderne instrument* fut assez rocambolesque, et qu’elle
fera peut-être l’objet d’une chronique spéciale**, mais là n’est pas le sujet. Me
voici donc, contraint par des circonstances inévitables, de prendre la route
pour un périple de plus de 2000 kilomètres. Et, pour la première fois donc, au
volant d’une auto équipée d’un compresseur d’air. Un accessoire dont je m’étais
fort bien passé pendant plus de soixante ans de conduite.
La goutte
La crise de goutte,
comme chacun le sait, est une arthrite très douloureuse, provoquée par
l’accumulation de micro-cristaux d’acide urique dans une articulation. Sans
doute pour des raisons liées à la gravité (celle de Newton, pas celle
d’Esculape), ces dépôts se font dans une des zones les plus basses du
corps : le gros orteil. Enfin, l’un des deux. Et c’est bien suffisant.
Cette pathologie
n’inspire pas la compassion, car personne n’est porté à plaindre un amateur de
bonne chère et de bons alcools. Je précise cependant que ma première crise
d’uricémie me frappa alors que je n’avais pas atteint la trentaine. Une
déficience physiologique innée, peut-être.
Bref, au cours de ce
voyage, les choses firent que ma démarche claudicante s’accentua au rythme de
celles qui m’étaient imposées, et la douleur de plus en plus importante me
conduisis un soir à une extrémité à laquelle je ne m’étais encore jamais
laissé aller : le parking de l’hôtel était plein, à cette heure tardive de
la nuit. Sauf que quatre grandes et généreuses places pour handicapés me
tendaient leurs lignes bleues, à 3 mètres de l’entrée. Et puis n'étais-je pas un handicapé transitoire ?
Subodorant le peu de
risque de voir arriver une cohorte de GIG ou de GIC, à cette heure tardive, je
glissais avec soulagement mon véhicule dans un rectangle fort accueillant, sans
me douter que le Justicier allait faire sa ronde…
Le Justicier
C’est au matin que je
pris conscience que pendant que vous dormez, braves gens, il y a des héros qui
veillent. Celui-ci, très consciencieux, qui voulait me punir de mon audace, avait choisi deux des roues de mon
auto, en diagonale, peut-être pour respecter un équilibre pondéral ou esthétique,
et les avait proprement diminuées en hauteur.
Et lorsque l’on voit la jante en contact avec le bitume, ce n’est pas de la compréhension qu’on éprouve à l’égard du responsable de cet état de fait. On retrouve plutôt, et avec facilité, une litanie de jurons que l’on pensait oubliés sous une pile d’efforts polis.
Et lorsque l’on voit la jante en contact avec le bitume, ce n’est pas de la compréhension qu’on éprouve à l’égard du responsable de cet état de fait. On retrouve plutôt, et avec facilité, une litanie de jurons que l’on pensait oubliés sous une pile d’efforts polis.
J’ai réalisé alors
qu’un bon coup de compresseur (quelle chance de l’avoir !), me
permettrait de rejoindre le garage le plus proche pour faire procéder aux
réparations, jusqu’à ce que je m’aperçoive que le justicier n’était pas allé aussi
loin que je le pensais dans son geste vengeur, sinon, il n’aurait pas déposé les bouchons de valve sur un relief de la
jante.
Et c’est ainsi que, bercé
par les crachotements maladifs du petit moteur, je vis la partie basse de mes
roues reprendre forme peu à peu, à mon grand soulagement.
La réceptionniste de
l’hôtel eut la politesse de s’étonner de ma mésaventure, en me montrant sans
état d’âme, son auto, voisine de la mienne, occupant une des dernières places
pour handicapés, à 8 heures du matin.
Je persiste à penser
que le Justicier a encore du blé à moudre, s’il veut établir un code de bonne
conduite dans sa ville, car sur un parking voisin complet, nous avions, la veille
assisté à une scène étonnante : le conducteur d’une grosse allemande
s’arrête au niveau d’une camionnette garée en biais sur deux places de parking.
Quittant son auto, il range correctement la fourgonnette, et gare la berline
sur la place libérée.
Nous vivons une époque
merveilleuse.
*Environ 18€ chez Lidl.
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