le blogadoch2

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mardi 19 décembre 2017

Promesse tenue


Une mini nouvelle sur une façon de tenir ses engagements. Où l’on partage le ressentiment du malheureux héros dans sa rencontre avec un homme de parole.




— Jeannot !? Mais que t’arrive-t-il ? Que s’est-il passé ? Pourquoi ce sac de glaçons sur ton œil ?

    De son œil valide empli plus de détresse que de colère, le barman examine sans répondre le nouveau venu. Il cherche vainement une explication à donner qui lui permettrait de rester digne face à cette pluie de questions. Mais son esprit troublé ne peut s’empêcher de reconstituer encore le fil de cette affaire déroutante… Encore et encore… Depuis toutes ces années, il avait oublié cette histoire idiote. Qui datait de quinze ans au moins…


     Un sale gamin avait moqué son allure maladroite d’adolescent boutonneux, ce corps grand et maigre, qui ne savait quoi faire de ses membres d’échassier. Il se rappelait combien, à l’époque, son physique lui déplaisait, et bien sûr, n’avait pas pu supporter que le petit garçon entonne avec ses copains, une comptine moqueuse, scandée et répétée pour blesser encore plus.

      Lui, du haut de ses seize ans et son mètre soixante-quinze, n’aurait pas dû revenir sur ses pas pour gifler l’impertinent. Un adversaire trop facile, bien sûr, mais aussi bien trop agressif et bien trop méchant, qui le méritait bien : qu’avait-il besoin de mettre le doigt sur les points sensibles, de faire saigner ces terribles plaies qui gâchaient son adolescence ?

     Et l’autre là, cet homme fait, qui arrête sa voiture au milieu de la route, en sort comme un diable de sa boîte, l’empoigne d’une main puissante par un bras, le tire en arrière et lui assène son lourd poing sur le nez ! Il le voit encore à travers les larmes jaillies sous le coup, qui lui crie son indignation :

    — Un grand comme toi, tu bats un petit ? Mais tu n’as pas honte, espèce de grand  échalas ?

     Et pour finir :

    — Que je ne te revoie jamais plus devant moi ! Évite-moi autant que tu peux, car si jamais je te revois, je te redonnerai le double de ce que tu as infligé à ce petit ! Tu m’as bien compris ? Et surtout ne l’oublie jamais, car moi, je tiens toujours mes promesses !

Et, il l'a tenue, sa promesse, ce malade ! Venir boxer un paisible tenancier de bistrot qui ne lui a rien fait ! Il faut être fou !


     — Jeannot ?

    Comment une telle suite d’événements a-t-elle pu se bâtir ? Comment expliquer le comportement de cet homme maintenant d’âge mûr, qui me reconnait sous mes quatre-vingt dix kilos et mon visage que le temps a débarrassé depuis longtemps de cette acné juvénile?

     Je le revois qui entre dans mon bar, vide, à l'heure creuse  :

    — Bonjour, un pastis, s’il vous pl… mais attends, je te reconnais, toi ! Tu es le grand couillon qui frappe les petits. Je t’avais dit de ne jamais plus te montrer devant moi ! De m’éviter !

    Et de parler de promesse à tenir, en ponctuant son discours d’un coup de poing dans l’œil, par dessus le comptoir !

    Comment concevoir que cette histoire de gamins vieille de quinze ans, se soit continuée jusqu’à ce jour ? Et de cette façon incroyable ? Il est malade ce type ! Et parti aussi vite qu’arrivé…

    — Jeannot ?

    Et aux autres ? Je vais dire quoi, aux autres ? Que je me suis cogné dans une porte ? Non, je ne le dirai pas. Qu’il est normal de toujours tenir ses engagements ? Eh bien non, je ne le dirai pas non plus...

    — Jeannot ?

    — Ah, Joseph, qu’est-ce que tu bois ?



D'après une histoire vraie...




mardi 5 décembre 2017

Bon voyage, Monsieur le Comte! Hommage à Jean d'Ormesson

 
Les athées sont assis à la droite d’un Dieu auquel ils ne croient pas.
Jean d’Ormesson

 


Le monde vient de quitter Jean d'Ormesson. Le monde est triste.

Parce que nous le lisons beaucoup et nous l'écoutions souvent, nous savons que Jean d'Ormesson ne craignait pas le grand départ. À l'opposé de ce que je viens d'écrire, il appelait la mort par son nom et considérait que son coup de faucille était non seulement dans l'Ordre des choses, mais souhaitable, afin que la vie acquière toute sa valeur et fasse apprécier toute sa beauté.

Nous croyons bien le connaître, ce monsieur poli, mesuré et cultivé. Ses anecdotes savoureuses distillées avec parcimonie sur le petit écran, font apprécier son humour. Mais méfions-nous de ses confidences, elle ne concernent pas toujours l'homme, elles sont parfois enjolivées ou même créées par l'écrivain.

Une quarantaine de livres sont le résultat de son activité littéraire. Des ouvrages aux titres évocateurs, des titres qui dévoilent déjà un peu leur contenu. Jugez-en :

Pour Jean d'O — comme il se faisait appeler parfois — L'amour est un plaisir. Mais pas toujours : il a connu Un amour pour rien  qui lui fit se poser la question : Et toi mon cœur, pourquoi bats-tu?
Les voyages étaient sa drogue, et la méditerranée l'attirait comme un aimant. Nous l'avons suivi dans ses longues baignades en Grèce, en turquie ou en Corse, en compagnie de Marie, son grand amour de roman. Tous les hommes en sont fous, disait-il. Ou alors n'étaient-ce que Les illusions de la mer, ou le voisinage à Venise de la Douane de mer?
Il avouait facilement qu'il aimait les femmes, sans rien attendre d'elles en retour. C'est l'amour que nous aimons, précise-t-il. 

Comme en marge de sa vie si active, il montre aussi son attirance pour l'automobile. Sans doute apprécie-t-il à la fois la beauté mécanique et la sensation de glisser dans l'espace, comme à ski, ou comme dans l'eau bleue au cours des longues nages qui lui plaisent tant.

L'auto est l'occasion pour moi de raconter ma rencontre avec lui, et l'honneur qu'il me fit, avec sa gentillesse habituelle.
Je venais de publier un ouvrage sur mes aventures automobiles, une histoire légère de mes amours mécaniques, au cours des soixante-dix années écoulées. Elle raconte sur un mode plaisant, les petits plaisirs que procure, aux amateurs, la vitesse en compétition et les glissades en voitures sportives et volages, comme le furent les Alpine. 
Mon livre sous le bras, je me rendis à l'une de ses séances de signature dans une grande librairie de la ville, achetai son livre et fis la queue entre les étagères surchargées, dans les odeurs d'encre et les murmures des conversations.
Nous nous connaissions déjà un peu par courrier postal interposé, car je lui avais adressé le bulletin de l'Académie du Var, après m'être rendu compte que nous avions, chacun de notre côté, exprimé une pensée du même ordre sur l'espace-temps. Lui, dans un de ses livres, et moi dans une communication devant mes pairs. Il m'avait remercié par un petit mot, hâtivement griffonné au marqueur noir.

Je me suis présenté, et comme chacun, lui ai tendu son dernier ouvrage pour qu'il le paraphe. À la suite de quoi, je lui ai remis un exemplaire dédicacé de mon livre "Mes autos émois", en plaisantant sur l'inversion des rôles, qu'il sembla apprécier.
Le lendemain matin, alors que je jardinais, il m'appelle au téléphone :
— ... C'est Jean d'Ormesson. Je vous remercie pour votre livre. J'en ai lu quelques pages, je me suis beaucoup amusé, il est épatant! Bravo!
Je fus d'autant plus touché que j'avais lu quelque temps auparavant un de ses sévères commentaires à propos du trop grand nombre de manuscrits qu'il recevait :
— Ils sont tous mauvais! avait-il écrit.
Son savoir-vivre me fut confirmé par le soin qu'il mit à répondre aux quelques courriers que je lui adressai à la suite de cet événement.

Jean d'O aimait les gens, et le leur faisait savoir. Sa vie était pleine de rencontres, d'amitiés, de plaisirs. Des plaisirs réduits sous sa plume en "plaisir" au singulier : le plaisir est bien préférable au bonheur, disait-il. D'ailleurs, Voyez comme on danse!

Sa culture n'avait d'égale que sa modestie, qui lui faisait dire que sa vie avait été le résultat d'une suite d'erreurs, et qu'il ne savait ...presque rien sur presque tout... 
Il avouait passer des heures de correction sur une seule page d'écriture, parfois.

Dans ses œuvres, il avait abordé plus d'une fois ces questions empreintes de métaphysique, qui pointent leur nez si facilement entre l'esprit et le cœur lorsqu'on atteint un certain âge. C'est ainsi qu'il nous parle de Dieu, sa vie, son œuvre, et de la Création du monde, qui garde encore tellement de mystères qu'il faut se demander si la vie n'est pas Une fête en larmes, si ce n'est pas ...une chose étrange à la fin que le monde...

— Bravo, monsieur Jean d'Ormesson de nous avoir fait goûter au Vent du soir, à l'histoire de la littérature française, à l'Odeur du temps, et à sa Saveur.
Nous savons aujourd'hui que vous alliez vous en aller ...sans avoir tout dit, car la vie ne suffit pas. Mais nous sommes consolés de savoir que C'était bien, et que ...malgré tout cette vie fut belle.

Vous avez fignolé jusqu'à votre mourir, délicat et simple, une dernière preuve de savoir-vivre. 

Si je vous dis que vous allez nous manquer, allez-vous me répondre : Et moi, je vis toujours?  Quoi qu'il en soit, je souhaite que le chemin que vous empruntez aujourd'hui reste le plus beau de vos voyages...

Au revoir et merci, monsieur Jean d'Ormesson.

vendredi 3 novembre 2017

Quand j’étais petit, le pain d’épices était meilleur…


Juger de la confiance à accorder à notre mémoire gustative fait partie de ces challenges mille fois répétés dans les conversations sur la qualité de la vie passée comparée à celle d’aujourd’hui. Comme s’il y avait plusieurs vies pour chacun de nous, comme si nous étions capables d’être à la fois juge et prévenu…


Il y a de multiples façons de commenter la vie, de la jauger, de la proposer, de la regretter. Qu’elle le soit par monsieur Toulemonde, le psychiatre Machin, le philosophe Dupont, le journaliste Durand, le politicien Truc. Chacun d’eux, chacun de nous, à sa façon, en donnera une image différente, plus ou moins acceptable pour l’autre.

L’homme de la rue (les féministes ne m’en voudront pas de ne pas utiliser conjointement l’expression “la femme de la rue“, trop spécifique des bas-quartiers à mes yeux), parlera le plus souvent en termes d’affectivité, et nous dira ce qu’il a ressenti. 
Les autres utiliseront leur bagage scolaire ou universitaire pour décider de ce qu’il faut retenir d’important de la période que nous avons consacrée jusque là à respirer l’oxygène cosmique. Ils utiliseront le vocabulaire qui leur est familier, les raisonnements de leur logique, et citeront les a priori transmis par leurs maîtres, pour montrer tout ce qu’ils ont retenu de leur grande culture. Ils impressionneront un auditoire assez vaste, celui qui n’a pas réalisé que la culture n’est qu’une formation, et qu’elle est à la portée de tous ceux qui acceptent d’être formatés. 
Mais qu’ils soient intelligents ou stupides, ils resteront dans le même état en sortant de leurs chères études.

Quelqu’un a dit : “L’avis d’un crétin célèbre deviendra un avis célèbre, mais restera l’avis d’un crétin“. 


Cependant, comme vous le savez, en chacun de nous existe une petite voix qui sait la vérité, et qu’il est bon d’écouter parfois, faute de pouvoir l’interrompre. Pour ma part, j’avoue que j’y suis resté sourd pendant très longtemps, allant même jusqu’à ne pas me douter de son existence pendant de longues années.

Mystère du vieillissement, ou principe de précaution, c’est depuis que je suis entré dans mon hiver temporel, que je l’entends le plus distinctement. Elle “parle“ sans arrêt, cette petite voix, et parle encore. De tout, de rien. Elle préfère les extraits de pensées informels à la rigueur d’une idée construite. Elle adore le coq-à-l’âne, et saute les périodes comme elle franchit les espaces : à la vitesse de l’éclair. Elle va de droite à gauche et confond toute logique. Mais comment lui reprocher ce manque de précision lorsqu’on apprécie la liberté et l’informel dans tout ce qui est du domaine de l’esprit ?

En effet, par opposition, la succession des jours nous a appris comment gérer notre soma pour qu’il nous serve le plus longtemps possible sans trop se plaindre, sans trop nous pénaliser par des dysfonctionnements que certains appellent des symptômes, ou même des maladies. 
Quelqu’un écrivait (la petite voix ne me dit ni où ni quand), qu’à partir de 30 ans, toute personne normalement constituée devrait avoir trouvé un mode d’alimentation et de comportement corporel qui ne lui soit pas néfaste. C’est ainsi que nous devrions avoir appris à régler nos manières de nous alimenter, de faire de l’exercice, de travailler, ou de prendre du repos. Dans ce domaine, il vaut mieux éviter la fantaisie. Notre organisme n’aime pas.

Par contre, pour connaître la sérénité et… le plaisir de la compagnie de la petite voix, par exemple, il n’existe rien de mieux que d’habituer son esprit à une activité autarcique, indépendante de la société et de ses dictats, et de lui suggérer un fonctionnement totalement informel. ­


La petite voix parle pour moi, et ce qu’elle me dit, est différent de ce que disent les petites voix personnelles de mes voisins. La mienne est spéciale, car elle appartient à l’être unique que je suis. Elle n’arrête pas de dire des mots et des phrases, d’exprimer des pensées et des jugements, des interrogations et des doutes, des espoirs et des regrets. Malheureusement, avec le temps qui passe, dans son monologue, les remords et les regrets occupent plus de place que les espoirs et les projets.

Je crois bien qu’elle ne s’arrête pas de fonctionner lorsque je dors ! Je me demande si elle ne se transforme pas, dès le sommeil venu, en aliment-pour-rêves. Il y a bien des aliments-pour-chats, ou -pour-chiens. Alors, elle abandonne la VO et assure la post-synchronisation pour les personnages de mes rêves, ou de mes cauchemars. Au petit matin, dans le flou du demi-réveil, elle reprendra peu à peu ses habitudes, avec quelques dérapages bien compréhensibles.

Elle picore des idées par-ci, par-là, dans hier et dans avant-hier, et peut-être même dans ce que sera demain. Mais il y beaucoup plus d’hiers que de demains, des hiers qu’elle se plaît à faire revenir au jour, alors que je les croyais disparus.

N’étaient-ils pas bel et bien morts, ces degrés du passé ? Morts comme le petit enfant que j’ai été, mort comme l’adolescent, mort comme l’adulte devenu, dont aucun des deux premiers n’avaient imaginé l’image précise ?

Qu’importe, les voici qui revivent sur l’écran blanc de la page électronique, sous la dictée de la petite voix, parés de toutes les caractéristiques du merveilleux. Elle parle d’autrefois, voyons ce qu’elle dit…


Par bonheur, l’enfance simple qui fut la mienne, s’est déroulée par beau temps, et ne m’a pas laissé de souvenirs douloureux. La petite voix papillonne parmi ces anciens jours de soleil, au goût de miel. Elle me promène, depuis les étreintes consolantes de ma mère, jusqu’aux bras de mon père, qui me hissait avec aisance tout en haut, près de sa tête, où je me retrouvais, aussi “grand“ que lui, assis sur l’étagère solide de son coude replié.

Ah, tiens, maintenant elle parle de vélo ? Oui, bien sûr, le vélo neuf, en récompense de mes réussites scolaires. Un vélo à la peinture rouge métallisée, avec le guidon de course tout chromé, des jantes rutilantes et des pneus à l’odeur entêtante. Avec 4 vitesses ! Un vélo neuf ! Mon père plus heureux que moi, ce qui est difficile à imaginer. Pour tous, du bonheur en fer, peinture et caoutchouc, mais du bonheur avec un grand B, grand comme une lettrine… Un vélo qui se trouve encore à deux pas, dans mon garage, vieux de 70 ans.

Le beau vélo tenu de ma main tremblante, devant la Chenard et Walcker familiale, en attendant qu’on puisse le glisser à l’arrière, papillons de roues démontés.


Nous quittons le magasin du “cycliste“, avec ses vélos pendus au plafond par la roue avant. Traversons la ville, encore étonnante pour un enfant de la campagne, à cause de la rumeur diverse qu’elle émet. Les grincements du tram dans le virage, sa cloche manipulée d’une semelle impatiente par le wattman. Wattman ! Quel mot bizarre! Aussi drôle aujourd’hui qu’étonnant à l’époque.

Les bruits des sabots des chevaux attelés aux charrettes de livraison, les chocs métalliques de leurs roues ferrées sur les pavés, et les cris de leurs auriges affairés. Sur la grande place, nous passons devant les brasseries d’où s’échappent des odeurs d’anis et de fraise (ou bien est-ce un effet de mon imagination ?). 
Ces grands cafés, rutilants de porcelaines et d’azulejos, aux tables bordées de chrome parmi les fauteuils de rotin vernis de toutes les couleurs. L’un de ces établissements disposait d’un petit orchestre fort apprécié par le chaland. Pas égoïstes pour deux sous, les musiciens jouaient “forte“, afin que le plus grand nombre profite de leurs flonflons entraînants. Parfois, nous étions de ceux qui se prélassaient dans les beaux fauteuils, et avions le rare plaisir de siroter une grenadine, aussi belle à voir dans le grand verre, que douce à déguster avec lenteur, pour la faire durer. Le père, lui, s’offrait un “bock“ glacé, une gâterie dont il était privé dans le bled.


C’est vrai que les découvertes se succédaient, et nos yeux d’enfants ne semblaient pas avoir assez de place pour emmagasiner toutes les choses nouvelles qui entraient dans notre monde, pour le construire. 
Certains assurent que l’accumulation de nos découvertes enfantines était si importante qu’elle donnait à la journée une dimension exceptionnelle, la remplissant tellement qu’elle paraissait très longue à nos yeux neufs. Des journées de cette qualité, longues d’expériences nouvelles, faisaient ralentir le temps. Puis, les années passant, et devenant de plus en plus avares en informations inédites, l’adolescent et l’adulte, de plus en plus “avertis“, constateront que le temps ne fait que s’accélérer. Jusqu’à la vitesse supersonique qu’il acquiert aux yeux des vieillards blasés, dont je suis aujourd’hui. 


Mais, se demande la petite voix en repensant au titre, pourquoi, en dehors de tout ça, durant l’enfance, les choses étaient-elles plus belles, les aliments meilleurs et les boissons plus douces ? Pourtant, parmi les leçons de la vie, nous connaissions le triste, et le pas-bon : le chagrin lors de la mort d’un proche, et dans le registre du goût, l’acidité du citron, l’amertume de la peau d’orange, ou celle, terrible, des fines membranes qui se collent aux graines de rubis de la grenade.

Pourquoi la pâte de fromage en portions triangulaires, dont la boîte était illustrée d’une vache joyeuse, était-il aussi bon que le meilleur des Comtés, ou le plus fameux Emmental d’aujourd’hui ? Pourquoi le jaune de l’œuf a-t-il perdu son goût d’amande, et le beurre sa saveur de noisette ?


Et pourquoi le pain d’épices était-il tellement meilleur ?





 

                                                                          








samedi 28 octobre 2017

Il vaut mieux savoir ce que l'on dit...

Dans les échanges oraux ou écrits que nous partageons avec nos semblables, il arrive souvent que nous utilisions des expressions, des formules, des mots que l'on croit bien choisis, mais qui sont en réalité de traitres amis.
La recherche permet généralement d'en retrouver l'origine, leur sens exact, un sens qui n'est pas toujours celui que l'on croit dire, une connotation parfois bien différente.
Voici un premier exemple, dont je ne garantis pas la totale véracité. Mais comme on dit de l'autre côté des Alpes :
— "Se non e vero, e ben trovato!

Attardons-nous donc sur l'expression "retourner sa veste", souvent destinée à un personnage politique à qui on reproche d'avoir changé d'opinion, de convictions, de parti. Littéralement, cela ne veut pas dire grand chose. On ne peut, à la rigueur, qu'imaginer une veste particulière utilisée comme un uniforme, que l'on cacherait ensuite pour ne plus montrer son appartenance.
Certains affirment que cette expression date des conséquences de la Révolution de 1789. Lorsque le roi fut exécuté et les aristocrates déchus, poursuivis, menacés, il était plus prudent pour eux de paraître en accord avec le peuple, et de masquer tous les symboles de la royauté qu'ils montraient auparavant avec déférence et fierté, mais qui auraient pu les désigner désormais à la vindicte populaire.
Sur leurs vêtements, et dans leurs riches demeures, ces signes "infamants" furent vite cachés. Une pièce du mobilier fut cependant difficile à modifier, c'était la plaque de fonte coulée qui se trouvait apposée au fond du foyer de la cheminée. Cette plaque montrait souvent des scènes glorieuses ornementées de fleurs de lys, et d'autres signes de la royauté.


 


Leurs propriétaires se hâtèrent de retourner ces plaques, pour mettre le côté sculpté côté mur, ne laissant voir qu'une surface de fonte unie.
Cette plaque de fonte pouvait s'appeler: taque, contre-feux, contre-cœur, platine. Et aussi... jaquette*!
On comprend mieux alors l'expression "retourner sa jaquette", devenue plus tard, par ignorance "retourner sa veste", ce qui ne veut plus rien dire.

De leur côté, les fondeurs se plièrent aux nouvelles idées, et dans un premier temps, détruisirent sur les moules les parties des sculptures pouvant prêter à la critique. C'est ainsi que l'on peut retrouver encore aujourd'hui, chez les antiquaires, des jaquettes grossièrement mutilées, dont les moules datent de cette époque terriblement troublée.



*Sans doute par analogie avec la protection en fonte d'une partie du canon, appelée ainsi.

mardi 10 octobre 2017

Retour sur SIDA pas contagieux : vrai ou faux ?


Octobre 2019

Je ne peux m'empêcher de revenir sur le sujet scandaleux des mensonges médicaux, après être tombé sur cette vidéo : 

https://www.youtube.com/watch?v=XGWDbSDucCc

qui corrobore mon opinion. Le docteur de Havren que je cite plus bas n'est pas seul à montrer le montage de cette escroquerie mortelle autour du SIDA.
Faire croire à des patients présentant une immunité déficiente, qu'ils sont atteints du SIDA, parce que leur test de séropositivité est positif, et leur prescrire des médicaments qui rapportent gros aux laboratoires, mais qui sont mortels.
Ces chercheurs honnêtes nous expliquent que le test de séropositivité n'est pas spécifique au SIDA : il indique simplement une réaction à la présence d'une protéine anormale.
Si vous êtes intéressé, relisez  mon article, et revoyez ces vidéos.

*
En 2017, j'écrivais ceci :

À la suite de la publication de mon article sur la négation par certains professionnels de santé, de l'existence du virus du SIDA, je constate l'absence totale de commentaires.
(Voir aussi les opinions d'autres chercheurs, en bas de page).


Deux explications :

- personne n'a lu cet article, ou écouté l'étonnante vidéo du docteur de Havren;
- ceux qui on lu et écouté n'y croient pas. Dans ce cas, deux possibilités :
             - ils sont conditionnés par la désinformation organisée par les laboratoires-truands et les médias maîtres-chanteurs;
             - il s'agit d'un canular ou d'une théorie du complot, et tout est faux là-dedans.


Chacun est libre de penser ce qu'il veut (et c'est bien heureux).



Personnellement, ému par le sort peu enviable des personnes qui apprennent une prétendue séro-positivité, chargée de soupçons et porteuse de désespoir, je me pose la question de savoir qui me prend pour une andouille, dans cette affaire.



Aux inquiétudes d'un ami, déjà suffisamment frappé par d'autres maladies, qui s'étonnait de cette information, je répondais la lettre suivante.

Je vous la donne à lire, elle vaut ce qu'elle vaut...

*


Cher René,

Tes commentaires sur cette nouvelle concernant le SIDA ne me surprennent pas.
Effectivement, c'est horriblement scandaleux, mais je ne peux nier qu'il se pourrait que l'ont soit en présence d'une "théorie du complot"(*).

Cependant, ce docteur de Havren dit bien qu'on n'a jamais retrouvé de virus du SIDA chez les gens atteints, et il n'a pas été contredit par Montagnié, le prétendu "découvreur" du virus.
Quand même curieux! Ce serait la seule maladie infectieuse et contagieuse qui ne permet pas de retrouver le germe causal chez les malades?

Si les homos ou les drogués sont atteints, d'après le professeur c'est parce qu'ils ont, dans chaque groupe, les mêmes habitudes de vie. Lesquelles permettraient à ce syndrome de déficience immunitaire (syndrome = ensemble de symptômes) de se développer. 

Le nom lui-même est en faveur d'une théorie non-virale : "syndrome d'immuno-déficience acquise". Ce qui se traduit par "apparition d'un ensemble de symptômes montrant une déficience des défenses immunitaires". Cette définition ne parle pas d'infection, de germe quelconque.


Souviens-toi aussi qu'il explique comment les hémophiles sont déclarés séro-positifs (positifs à quoi, les savants ne savent pas, mais ils prétendent que c'est une réaction de l'organisme au virus du SIDA). Mais en réalité, ce serait à cause de la masse importante de protéines (transfusions répétées), qu'on leur injecte au cours de leur vie.

Pour le reste, la puissance de l'argent rend les hommes véreux faibles dans leurs décisions, et permet aux malfaisants d'étendre leur pouvoir sur des structures que l'on pensait à l'abri de la prévarication (Office Mondial de la Santé, et autres organismes qui devraient logiquement échapper à ces pratiques).
Les chercheurs sont "achetés", comme les autres. L'exemple ancien des très nombreuses études scientifiques favorables à la cigarette aux USA est bien connu. Celui concernant aujourd'hui les pesticides chez nous est de la même veine. De même que les rapports truqués des labos pour obtenir la Mise sur le Marché de leurs poisons, ou encore les mesures mensongères des constructeurs de voitures...

Un vieil ami avait eu comme copains d'études médicales deux confrères qui, dans les années 50, avaient été mandatés par une source thermale pour faire un rapport sur les vertus de son eau. La demande était nette : il fallait que ce soit positif. Quelque temps plus tard, tout jeunes praticiens, ils roulaient tous deux en voitures américaines.

Autre scandale : la nécessité de la prescription de produits anti-cholestérol est remise en cause par de nombreux thérapeutes. En effet, on trouve du cholestérol dans les athéromes(**), mais, comme dit l'autre, "si on voit des mouches sur du fumier, on ne va pas dire qu'elles ont créé le fumier". Il semble que toute prescription anti-cholestérol soit totalement inutile. Cependant ce médicament fait gagner 6 ou 7 milliards par an aux principaux labos. Tu penses bien qu'ils font tout pour qu'on ne le répète pas.


Mieux, aux USA, ils ont demandé une étude à un groupe de médecins et chercheurs véreux, pour qu'ils revoient à la baisse le seuil prétendu dangereux du dosage du cholestérol dans le sang. En abaissant le chiffre de 10%, et en le faisant largement savoir (publications par des médias confortablement payés par la publicité des labos), ils ont gagné d'un coup 12 millions de clients nouveaux. On n'arrête pas le progrès!

Notre Monde est devenu si malhonnête, et l'appât du gain l'a tellement contaminé jusqu'au plus profond de ses organes, que ce scandale lié aux médications anti-SIDA inutiles (et par surcroît, mortelles), ne serait pas si étonnant.

Une des conséquences les plus curieuses de cette histoire, si elle est vraie, est la remise en cause des responsabilités dans l'affaire dite "du sang contaminé". On pourrait alors se poser un nouveau chapelet de questions. Le sang était-il vraiment contaminé? Avait-on à l'époque trouvé des virus dans le sang? et chez les contaminés? Etc.

Conclusion : où trouver la bonne information?

Gardons notre sérénité, celle que j'appelle "le bonheur de l'esprit". Car l'autre bonheur, "il est où?" comme chante l'autre...

Amitiés,
D.

(*) Les Théories du complot sont généralement le fait de personnes qui voient des machinations diaboliques dans certains événements de notre époque, comme par exemple : les traînées laissées par les jets qui seraient des produits chimiques; les tours jumelles auraient été dynamitées par la CIA ou autre; personne ne serait jamais allé sur la Lune, on ne nous a montré que des photos de laboratoire; le bombardement de Pearl Harbor serait le fait des américains eux-mêmes pour se donner bonne conscience avant d'envoyer la bombe atomique sur le Japon, etc..


(**) Athérome : dépôt lipidique sur la surface interne de la paroi des artères.


*

Quelques opinions de scientifiques qui vont dans le même sens que le discours du docteur de Havren et les spécialistes interrogés dans la dernière vidéo :



 "Le VIH ne provoque pas le SIDA... Ce que personne ne comprend, c'est que tous les rapports écrits par Gallo sur le VIH ont été déclarés frauduleux...L'hypothèse du VIH était basée sur ces rapports. "Dr Peter Duesberg Professeur de Biologie Moléculaire de renommée mondiale, Université de Californie, Berkeley.Académie Nationale des Sciences.

"Pour moi, le fait que des scientifiques se taisent face à un tel doute équivaut à de la négligence criminelle." Dr Charles A. Thomas, Jr. Biologiste à Harvard.

"Je vous le demande, quel est ce genre de scientifiques qui continuent à défendre une hypothèse qui ne réussit pas à expliquer, qui ne parvient pas à prédire ? ." Harvey Bialy Editeur en Biotechnologie.

"Les scientifiques ne sont pas là pour croire, mais pour avoir des preuves... Il n'y a aucune preuve consistante (en référence au VIH comme cause du SIDA). "Kary Mullis Prix Nobel.

"L'effet de la duperie statistique du Centre pour le Contrôle des Maladies est de sous-estimer d'au moins 50% les consommateurs de drogue par voie intraveineuse en tant que groupe à risque, ce qui a pour résultat d'interpréter le SIDA comme une maladie vénérienne, plutôt que comme une maladie provoquée par la drogue. " John Lauritsen et Hank Wilson - Auteurs de "Death Rush", Pagan Press.

"Le fait est que toute cette affaire SIDA/hétérosexualité est un canular." Gordon Stewart, Epidémiologiste britannique, Organisation Mondiale de la Santé.

"J'ai essayé de démontrer que le HTLV-1 n'était pas impliqué dans le SIDA, mais aucun journaliste n'a accepté de publier ça." Dr Joseph Sonnabend, Fondateur Fondation Médicale pour le SIDA.

"La présence de ce qu'ils appellent VIH dans le cadre de la maladie n'est pas plus une preuve qu'il en soit la cause que la présence de mouches dans les ordures n'est une preuve que les mouches soient la cause des ordures." T. C. Fry Auteur et éditeur.





dimanche 1 octobre 2017

Les vicissitudes de la félicité, ou les moutons de la bien-aimée...

Il se revoyait raccrochant lentement le téléphone, un demi-sourire sur les lèvres, un feu d’artifice dans la poitrine. Le soleil était devenu subitement plus chaud, le ciel plus clair, l’air plus léger.
La joie et l’attente s’étaient conjugués en une impatience difficile à maîtriser. Jusqu’au soir... il devait attendre jusqu’au soir, après la nuit tombée.
La belle qu’il courtisait presque sans espoir depuis des semaines, venait de lui annoncer qu’elle l’attendrait en début de nuit.
— Mais surtout, passez par le petit portail du jardin de derrière, et à la nuit noire. Je ne veux pas faire jaser...

Il revivait ces instants et se rappelait mot pour mot la phrase si prometteuse. Et les souvenirs affluaient, dans un flot d’émotions qu’il croyait oubliées, alors qu’il racontait son aventure à ses amis réunis autour d’un vieux cognac...
— J’étais jeune à l’époque, et plein de feu. L’attrait que je ressentais pour cette belle brune n’était pas du jour, car dès la première fois que je l’avais vue, à son arrivée dans le quartier, je n’avais pu, comme sans doute la plupart des autres jeunes hommes, ne pas ressentir d’émotion. Sans être belle, elle montrait beaucoup de grâce. Ses gestes étaient comme des démonstrations de la féminité qui débordait de sa personne aux volumes parfaits. Sa voix, un peu rauque laissait imaginer la douceur qu’elle pourrait cependant exprimer dans le sussurement de tendres aveux. Ses lèvres délicates et parfaitement dessinées promettaient le paradis...

— Oui, oui, tu l’avais dans la peau, quoi! Et alors, ce rendez-vous?
— Les amis, pour commencer je vous dis le meilleur. Il faut apprécier, faire fonctionner votre imagination... C’est vrai que c’était une femme très désirable...

La fin de la journée s’étirait en longueur : une journée d’au moins 40 heures! Et ça, ça n’arrive pas souvent, croyez moi!
Le soir venu, je me glissai furtivement dans son jardinet puis dans ses bras :
— Que tu sens bon! Ton... mari?
— Ne t’inquiètes pas, il passe la nuit à la ville, il n’avait pas pu tout faire dans la journée. Nous serons tranquilles.
Ses caresses ne se comparaient à rien de ce que j’avais connu, ses baisers étaient de feu, son corps tout entier une pile électrique, une anguille, un fondant. De ses lèvres si douces coulait le miel de ses mots d’amour...

— Bon, bon, on a compris! Et alors?
— Ne soyez pas impatients, il faut bien que j’insiste sur le bon, car il n’allait pas durer aussi longtemps que nous l’espérions.

En effet, soudain, nous entendîmes un bruit de moteur dans le jardin et une porte de voiture claquer. Vous imaginez dans quelle émotion je fus plongé! Encore dans le sucre de l’amour, je perdis un instant conscience de ce qui arrivait. Après quelques secondes de sidération, je dus me rendre à l’évidence : j’étais, nous étions perdus!
— Cache-toi sous le lit, vite, il n’y a que cette solution! Vite!

Mince, tu as pas eu de pot!

Ce qui fut dit fut fait, et agrippant mes vêtements je me jette sous le lit. Me voici allongé sur le froid carrelage, une douche glacée dans le corps, une immense inquiétude dans le cœur. Et dans ma tête, tout un tas de pensées confuses : comment cela va-t-il se terminer? Va-t-il se douter de quelque chose? Et moi, comment sortir de ce guêpier? Pour l’instant, surtout ne pas faire de bruit, ne pas se racler la gorge, ne pas éternuer, avec toute cette poussière...
Parce que de la poussière, il y en avait! Des moutons et des moutons, des bergeries entières, je vous le dis. Au-dessus de moi, les ressorts du sommier étaient comme revêtus de duvet, et décorés de guirlandes de toiles d’araignées, à croire que le lit datait au moins du Moyen-Âge!
Pour l'instant, je voyais avec angoisse passer et repasser à quelques décimètres de mon visage, les pieds de l'autre. Et j'allais même jusqu'à craindre que ces pieds ne finissent par m'apercevoir... 

— Et tu as passé la nuit là, ou tu as pu te sauver?
— Attendez, les enfants, la nuit commençait à peine...

J’ai dû écouter ma dulcinée faire sa comédie à son régulier, qui, de son côté a raconté sa journée de travail, si chargée qu’il avait bien cru être obligé de passer la nuit à la ville. Et puis un rendez-vous avait été annulé au dernier moment, et tout ça...
Dans mon coin, je sus que je ne pourrai rien tenter et dus me résigner. Je calai mes vêtements sous ma tête et me recroquevillai, craignant toujours d’éternuer, à cause du froid ou à cause de la poussière.
La nuit s’annonçait difficile...
À un certain moment, j’aperçus du coin de l’œil le pan de la couverture bouger, du côté de la ruelle, et vis apparaître une petite main, la main qui avait été si douce quelques instants plus tôt. J’étendis mon bras pour la saisir, et nous continuâmes un semblant de flirt dans une longue caresse digitale...

— Faute de mieux!
— Comme tu dis, faute de mieux. 

Je parvins à ne pas éternuer, à ne pas tousser, et je me demande même comment j’ai pu réussir à respirer sans que le monde entier ne m’entende. Mais je peux vous dire que la nuit fut la plus longue de ma vie.
Au matin, le cocu repartit à la chasse aux clients, et je pus m’extraire, engourdi et glacé de mon semblant d'abri, de cette cache absurde, ridicule, honteuse... Jusque là, je pensais que le fait de chercher refuge sous la couche de sa bien-aimée était réservé aux scénarios de vaudevilles. Mais non, c’est possible aussi dans la vraie vie, maintenant je le savais.

— Eh ben, mon pauvre ami, quelle histoire! Ce ne devait pas être amusant! Nous te plaignons...
— Mais, non, pourquoi? Au contraire j’ai eu de la chance! Une belle, glorieuse, grande chance!
— Tu te moques de nous, là! Une grande chance? D’être interrompu dans tes ébats? Et par le mari, en plus? De passer une nuit sur le froid carrelage? Arrête de dire des bêtises! Mais écoutez-le : de la chance, qu’il dit, de la chance!
— Je le répète, j’ai eu de la chance : la chance qu’elle fasse l’amour bien mieux que le ménage!


samedi 23 septembre 2017

René Guénon pour les nuls...

René Guénon et la Tradition

Il est des lectures qui apportent un moment de distraction, d’autres, plus sérieuses, qui font réfléchir. Mais parfois, on rencontre un livre qui sort vraiment de l’ordinaire, et son auteur ne vous laisse pas le choix : par la grâce de quelques pages noircies de lignes serrées, il vous transforme définitivement, intellectuellement et même spirituellement.
 C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai découvert René Guénon, il y a près d’un demi-siècle, après une suggestion de lecture de la part de mon regretté ami Jacques André Lavier, sinologue de génie, métaphysicien, praticien et enseignant de médecine traditionnelle chinoise.
Je n’ai ressenti que du bonheur à la lecture de ces livres : la joie complice de comprendre ce qui coulait de source dans ces lignes si parfaitement écrites, le plaisir de trouver dans la lecture la confirmation de ce que je “savais“ déjà sans m’en douter, la satisfaction de découvrir une image avérée de l’ordre parfait du Monde métaphysique autour de moi, de mon Monde.
Ce n’est pas le cas de tous, bien sûr. Et pour la plupart des lecteurs non avertis, René Guénon est un auteur difficile.

Pour comprendre René Guénon, il vaut mieux avant tout, savoir de quoi il parle, et se familiariser avec son vocabulaire, particulier, mais d’une précision absolue.
Tous ses écrits gravitent autour de la notion peu connue de Tradition. Ce qui n’arrange pas les choses, car, bien qu’universel, le sujet est quasiment confidentiel, il est vaste et difficile.
Il est généralement la “chose“ d’auteurs enclins au mystère, à la complexité, à un ésotérisme superflu, qui s’expriment par le moyen de phrases lourdes et confuses, comme si eux-mêmes n’avaient n’en avaient pas bien saisi tous les arcanes.

Malgré tout, je vais essayer de vous présenter ce sujet de manière simple...
Si vous le voulez bien, reprenons ensemble quelques extraits d’une communication que j’avais présentée à mes collègues de l’Académie du Var.

Tout d’abord, voyons ce qu’on peut dire au sujet du mot tradition lui-même.

Définition
Définir la tradition n’est déjà pas simple, car une notion aussi complexe, et aussi universelle que celle-ci, ne se laisse pas enfermer dans un cadre qui risquerait d’en limiter le sens et la portée.
Voici un mot aujourd’hui employé pour désigner indifféremment des notions aussi diverses que : coutume, culture, habitude, folklore, usage, légende, croyance, mythe, pratique, rite, mode de faire, mémoire, histoire, passé...
Ce vocable n'est d’ailleurs pas le seul à avoir subi une dégénérescence vulgaire.  Ainsi, les amalgames dont on parle habituellement ne sont plus à base de mercure depuis bien longtemps. Dans la même veine, si l’on peut dire, une hémorragie de devises n'a rien à voir avec un écoulement de sang.
C’est pourquoi certains auteurs se sont sentis contraints d’en préciser le sens en utilisant des formules telles que tradition primordiale, ou grande tradition, pour se faire mieux comprendre. Dans la littérature religieuse, il est d'usage de doter ce mot d'un T majuscule, pour en souligner la qualité.

Les définitions données par les “livres“ ne sont pas tout-à-fait exactes :
- la Tradition n'est pas la transmission d'usages anciens, de “manières de faire à l'image du passé“.
- elle n'est pas le folklore, bien que le folklore soit souvent constitué de débris épars de notions issues de la tradition.
- elle n'est pas une doctrine religieuse instaurée pour affirmer une autorité divine, bien que l'église s’en soit inspirée.
- le Petit Larousse nous dit qu'il s'agit d'une transmission orale de récits vrais ou faux, faite pendant un long espace de temps.
- le Petit Robert, pour sa part, décrit la tradition comme une information plus ou moins légendaire relative au passé, une sorte de mythe ayant un rapport avec les anciens.
- pour certains, la tradition désignerait “la transmission continue d'un contenu culturel à travers l'histoire depuis un événement fondateur ou un passé immémorial”.
- pour d'autres, la tradition serait de l'ancien, mais de l’ancien persistant dans du nouveau, une conservation de données antiques sélectionnées (...).
La réflexion de chacun, ainsi que les échanges de propos habituels sur ce sujet, incitent la majorité à rapprocher la tradition de la stabilité du passé, par antagonisme avec le changement ou la modernité. Mais opposer tradition à changement n'a pas plus de sens que de l'opposer à modernité.

Ces définitions sont intéressantes, mais aussi imprécises qu’incomplètes.

Enfin, en poursuivant notre recherche, nous apprenons que pour René Guénon, la tradition a pour but la transmission, orale, des principes universels, appelés principes traditionnels. Voici une précision intéressante.


                          


Jacques André Lavier nous confirme pour sa part, que la Tradition, science de nos ancêtres, est un système de pensée universel qui obéit à des principes primordiaux. Bien que généralement transmise oralement pour diverses raisons, elle n'est pas sujette aux changements, compte tenu de ses bases pérennes et indiscutables.

Ainsi, quelques “principes” suffiraient-ils pour expliquer et cautionner une notion aussi importante et aussi universelle que la Tradition ? C’est bien le cas, si l’on en croit René Guénon, qui nous précise que ”en dehors de leur dépendance à l'égard des principes, toutes choses ne seraient qu'un pur néant”.
Rappelons qu’un principe est la cause, l’origine ou l’élément constituant de la chose.


Les grands principes
Tournons-nous encore une fois vers la Chine antique* pour mieux cerner le cadre dans lequel ces principes ont été élaborés.
Au cours d’une période définie par les taoïstes comme étant celle de la plus haute antiquité, avant même toute civilisation, il existait, disent-ils, un état de nature, dans lequel l'unité primordiale, dans sa suprême simplicité, s’exprimait par une spontanéité absolue. Vierge de toute adaptation, et réservoir de tous les possibles, cet état de nature régnait sur le monde.
Et c'est au sein de cette pureté virginale que les sages puiseront les racines de leurs lois, des lois qu'ils ébaucheront dans un premier temps sous la forme de principes primordiaux.
Ces principes sont remarquables à plus d'un titre. La première de leurs particularités est que leur contenu n’est pas d’origine humaine. Ils ne résultent pas d'une réflexion, ou d'une construction intellectuelle : ils sont l’expression directe de constats objectifs, de constats de faits indépendants de l'homme, extérieurs et antérieurs à lui.
Ne furent retenus que les principes que l’on peut, sans hésitation, qualifier de premiers (dans le sens de originel, primordial...). 
Pour Julius Evola, ils sont le produit d’un monde sur lequel l'homme n'a pas d'influence, un supra-monde en quelque sorte, qu’il décrit d’une façon qui rappelle l'état de nature des taoïstes.



Autre caractéristique propre à ces principes : ils sont au nombre de trois. À leur image, les concepts véritablement traditionnels se compteront toujours par trois. C’est ainsi que, dans la manifestation, nous trouvons le Ciel, l'Homme, le Sol; dans l’anatomie métaphysique de l’homme : spiritus, anima, corpus, (l’intellect, l’affectivité, le soma);  dans la religion : le Père, le Fils, le saint Esprit; dans la géométrie symbolique : le cercle, l'octogone, le carré... 
Tous ces triptyques font allusion à la trilogie originelle composée de l’inaccessible et indicible Grand Un, du Deux qui est la Voie initiatique, alors qu’au Trois commence la manifestation, le monde substantiel en cours de réalisation.

 

Jusqu’à l’ère récente de l’exploration spatiale, ce n’était peut-être pas par hasard si l’Homme avait l’habitude (par tradition?) d’énumérer les 3 premiers nombres pour donner le départ d’un événement :
"Je compte jusqu'à 3, et à 3 tout va commencer", comme cela est censé s’être produit pour la naissance du monde manifesté (dans le schéma ci-dessus)...
Peut-être que Dieu, pour créer le monde, en avait fait de même :
“1, 2, et à 3 : Bang ! Le Monde existe” !
Inutile de préciser que tout ce qui va par trois n'est pas forcément traditionnel.

Il n’est pas interdit d’imaginer que l’élaboration de ces principes s’est déroulée suivant un protocole lui aussi à trois phases : l’observation, l’établissement de la loi qui en découle, et enfin le passage à l’application.

Imaginons l'homme primordial, installé dans son monde neuf. Le moment venu de s'intéresser intellectuellement, spirituellement, à ce qui l'entoure, il porte un regard serein sur son univers, dont il sait faire légitimement partie. Que constate-t-il ?
- Sous ses pieds, le sol, (plat, comme la plante de ses pieds), élément de base de l'espace terrestre, est stable, dense, palpable, et se trouve sous sa domination. En effet, il peut y aller et venir, prendre de la terre, de l'eau ou des pierres dans ses mains, les palper, les soupeser, les modifier, les déplacer.
- Par opposition, au-dessus de sa tête, la voûte céleste (ronde, pour y encastrer symboliquement son crâne), lointaine, inaccessible, impalpable, changeante, dominante, émettrice de froid et de chaud, de vent et de pluie, de nuit et de clarté, est bien différente! Contrairement à ce qui se passait avec le sol, il n'a aucune action sur elle.En plus, elle lui impose des conditions climatiques et lui envoie des influx qu'il ne peut éviter.
Elle ne peut être classée dans la même catégorie que le sol : elle est autre.

De là à tirer des conclusions sur la supériorité d’un élément cosmique par rapport à l’autre, de constater la hiérarchie naturelle installée, l’émission des influx échangés, il n’y avait qu’un pas.
(...)

C’est ce type de constats qui permet d’affirmer que la pensée traditionnelle est fondée sur des notions non imaginées par l’homme, indépendantes de lui, de sa volonté, de son intellect. On parle de notions non-humaines, issues d’un supra-monde.

Application des lois
Après avoir constaté et conclu, vient le moment d’appliquer.
Mais pourquoi se plier à ces lois, que l’on sait extérieures à l’Homme?
L’organisation cosmique constatée étant si parfaite, il semble indispensable — tout en respectant une harmonie totale — de faire concorder la vie de l’homme, la vie d’un peuple avec le contenu des constats, pour assurer leur sécurité, et garantir la qualité de leur survie.
Il faut donc non seulement connaître les lois primordiales, mais les faire connaître, les appliquer et les faire appliquer, pour un confort spirituel garant de la sérénité de chacun.
(...)

Ces notions véritablement fondamentales de la Tradition sont omniprésentes dans le discours de René Guénon : elles en constituent la trame même. Il faut les avoir en tête pendant la lecture, qui devient bien plus aisée. C’est notre tendance cartésienne, de vouloir expliquer ce que nous lisons en fonction de ce que l’on nous a inculqué, qui va risquer d’en empêcher la compréhension. Il est donc indispensable d’oublier un instant les bases mêmes de notre culture, et de se mettre dans la peau de l’homme primordial, qui se sait non seulement partie intégrante du cosmos, mais en plus, véritable lien de transition entre le ciel qui l’entoure, et le sol qui le porte. Tel un pontife légitime. Sa pensée et son discours sont vierges de toute connotation affective ou morale. Il ne ressent aucun sentiment d’infériorité face à l'immensité du macrocosme, car le macrocosme est une part de lui-même.

Voici ce qu’on peut dire de la Tradition, en résumant drastiquement le sujet. 
Pour une introduction aux textes de René Guénon, cela me paraît suffisant. 
Pour votre culture personnelle, ce n’est qu’un tout petit, petit, premier pas...

Parmi les ouvrages de René Guénon les plus faciles à aborder, citons “La crise du monde moderne“ et “Le règne de la quantité et les signes des temps“. Deux ouvrages prémonitoires sur la dégénérescence de notre civilisation, écrits en 1927. Ils sont faits de courts chapitres dont chacun est consacré à un thème de réflexion.



*Contrairement à ce qui s’est passé en Occident, la civilisation antique chinoise a laissé de nombreux documents gravés sur des os plats, des carapaces de tortues, ou moulés dans des ustensiles de bronze, qui ont permis aux auteurs plus tardifs de collationner ces connaissances, et aux chercheurs de reconstituer en partie le mode de pensée taoïste, un modèle universel de connaissance traditionnelle.


Bibliographie 

Jacques André LAVIER : Uranologie chinoise (Maloine éd.).
Jacques André LAVIER : Médecine chinoise, médecine totale (Grasset éd.).
Jacques André LAVIER : Cours donnés dans le cadre du G.E.R.O.S. et entretiens privés.
Le Petit Larousse Illustré.
Gérard LENCLUD : La tradition n’est plus ce qu’elle était... paru dans la revue Terrains, numéro 9, octobre 1987. http://terrain.revues.org/index234.html
Le Petit Robert.
Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Tradition
René GUÉNON, La crise du monde moderne (Gallimard, NRF)
René GUÉNON, Le règne de la Quantité et les signes des Temps (Gallimard, NRF)
René GUÉNON, Le symbolisme de la Croix, (Editions Traditionnelles), ainsi que son œuvre en général.
Julius EVOLA : Chevaucher le tigre, (Trédaniel éd.), ainsi que son œuvre en général.
Jean SERVIER : L’Homme et l’invisible, (Robert Laffont 1964).
Pierre RICKMANS : Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère (Hermann éd.).