Contenu : Comment les fabricants
programment la désuétude de leurs produits afin qu'ils soient rapidement
renouvelés.
Nota : Cet article a été publié sur l’ancien blog le 23
janvier 2013. Je l’ai repris, juste pour le plaisir, car, depuis, le vélo a trouvé un
compagnon…
Obsolescence programmée ou désuétude
plannifiée... Des mots savants pour traduire un comportement commercial parfois
frauduleux...
J'ai appris, il y a bien longtemps, que
l'économie d'une entreprise n'était viable à long terme que si son chiffre
d'affaires augmentait chaque année d'un certain pourcentage. Gustave Thibon, un
passionnant penseur, qui sévissait à la télévision dans les années 60, racontait un jour avoir
effectué une visite d'une grande usine d'automobiles aux USA. Son guide se
rengorgeait en lui affirmant :
— Grâce à notre bonne gestion et compte tenu de
nos bénéfices, le niveau de vie de nos ouvriers est aujourd'hui très
bon. D'ailleurs, maintenant, ils peuvent changer de voiture tous les 2
ans. Nous avons tout mis en œuvre pour qu'ils puissent le faire. Et cela fait
marcher la production aussi.
Ce à quoi, Gustave Thibon répondit :
— Comment ferez-vous lorsqu'arrivera le jour où
ils devront changer de voiture tous les quarts d'heure?
Et il y a bien longtemps que les fabricants
tentent d'augmenter leur production annuelle par tous les moyens. Le premier
étant évidemment de provoquer un accroissement de la demande. Celle-ci étant
limitée par le nombre de clients potentiels, il leur fallait trouver un moyen
d'obliger ces derniers à renouveler plus souvent leur achat du même produit.
Et lorsqu'il s'agit d'un produit non
consommable ou peu enclin à l'usure, ils se sont arrangés pour que cette usure
se manifeste rapidement, ou encore, par des manœuvres d'action psychologique,
pour que la demande de renouvellement se fasse au bénéfice d'un modèle plus
récent, mais pas forcément meilleur.
Pour illustrer le premier moyen cité, voici un exemple concret : lorsqu'ils sont sortis, les premiers bas nylon se
sont avérés pratiquement inusables. Les fabricants n'ont rien trouvé de mieux,
pour booster leurs ventes, que de diminuer la résistance des fibres de nylon,
en supprimant certains additifs destinés à protéger le polymère des rayons
ultra-violets néfastes à leur durée, et en diminuant le grammage sous couvert de
"tendance".
Malheureusement pour les clientes, mais
opportunément pour les fabricants, la durée de vie de ce nouveau produit était
fortement diminuée. En même temps que ces ouvrières spécialisées dans la
reprise des bas, que l'on voyait parfois travailler fiévreusement devant un
soupirail, le nez au ras du trottoir, disparut peu à peu dans le public la
conviction qu'il fallait acheter "durable".
Quant à la méthode consistant à amener
psychologiquement la clientèle à rechercher la nouveauté, on dit qu'elle a été
inventée au début du siècle dernier. Wikipedia cite le cas de Ford avec son
modèle T fabriqué pendant 19 ans, facile à réparer, qui donnait toute
satisfaction. Mais Général Motors produisit bientôt un modèle plus moderne,
avec une gamme plus étendue, qui comportait 3 nouveautés par an, ce qui incita
les acheteurs à abandonner facilement leur ancien modèle pour le dernier sorti,
plus conforme à la mode. Ford fut ainsi contraint d'entrer dans ce système de
course au nouveau modèle.
Dans l'exemple suivant, le produit encore
fonctionnel est délaissé par une clientèle manipulée par les dictats de la mode
ou du snobisme, qui se précipite sur la dernière version de l'appareil. Chez Apple, les clients font
la queue pour acquérir le dernier modèle iPhone sorti, qui ne téléphone pas mieux que
le précédent.
On peut se dire qu'en l'occurrence, il n'y a
rien de bien immoral, puisque l'acheteur peut adapter son achat à ses désirs.
Mais où l'affaire se corse, et procure des cauchemars aux associations de
consommateurs, c'est lorsque le fabricant limite volontairement la durée de vie
de son produit, et met en œuvre des techniques scandaleuses pour que l'objet
cesse de fonctionner, partiellement ou totalement. Le client
est alors soumis à des contraintes, opposées par nature :
- faire réparer, parfois à des tarifs
disproportionnés par rapport à l'importance de la panne elle-même (car la
garantie est souvent terminée);
- jeter l'appareil à la poubelle et se rendre
acquéreur du nouveau produit, au prestige factice, car parfois seule la
présentation esthétique a vraiment changé.
Le cas des imprimantes est bien connu, bien
qu'il n'émeuve personne. Il constitue un sommet dans ce type d'escroquerie, et
se joue sur plusieurs tableaux, comme nous allons le voir.
D'une part, grâce aux possibilités
sans fin que procure l'électronique, votre imprimante est programmée (au sens
propre), pour cesser de fonctionner après un certain nombre d'allumages, ou de
pages imprimées. Le prix de la réparation (lorsque le constructeur l'accepte)
étant équivalent ou supérieur à celui d'un modèle d'entrée de gamme, vous
devinez ce qui va se passer : vous n'allez pas accepter de donner à un
réparateur une somme qui vous permettrait d'acquérir un des derniers modèles
(présentés comme meilleurs par le fabricant).
D'autre part, lorsqu'il fabrique aussi les
cartouches d'encre, le constructeur peut les rendre inutilisables avant
qu'elles ne soient vides, grâce à une puce électronique programmée de la même façon, sur un nombre de connections électriques, plus que sur un nombre de pages imprimées. La
Communauté Européenne vient de mettre fin à ce procédé scandaleux, qui obligeait le client à jeter des produits non consommés, et à en acheter des
neufs inutilement.
J'ai eu une imprimante de célèbre marque (celle
qui "peut le faire"), qui un jour, sans doute parce que le compteur
avait atteint le chiffre fatidique, critiqua ma façon d'insérer la cartouche
:
—
"Cartouche
d'encre mal positionnée", m'a-t-elle dit.
D'après elle, ma manœuvre avait
été mauvaise, et pour me punir, elle refusait de fonctionner. Or, il
n'y a qu'une seule façon de placer la cartouche : on la présente devant son
logement, et on la pousse jusqu'à entendre le claquement du petit
verrou. Il est évident que ce n'était qu'un trompe-couillon.
Le réparateur me demandait 90€ pour rendre la
machine à nouveau fonctionnelle. J'ai bien sûr refusé, et il a hurlé quand je
lui ai demandé de simplement me transmettre le code de réinitialisation.
Évidemment, le gâteau est trop bon.
L'utilisateur peut recevoir aussi le message
suivant qui prétend justifier la panne : "Réservoir de l'encre usagée
plein".
Il faut savoir qu'à chaque allumage, l'imprimante crache un peu d'encre par ses
buses d'impression pour les déboucher. Ces deux ou trois gouttelettes sont envoyées
par une petite pompe vers le fond du boîtier de l'appareil qui est recouvert
d'une sorte de feutre absorbant, de 1 centimètre d'épaisseur. Il faudrait 1
litre ou 2 d'encre pour le rendre inefficace, ce qui est inimaginable, même en
10 ans de service. Encore un mensonge payant : en réalité, le fabricant
voudrait qu'on change d'appareil, mais techniquement, il suffirait simplement
de remettre à zéro le vicieux compteur. Car rien n'est usé dans la
machine.
Toujours dans le monde de l'informatique, certains
ordinateurs deviennent inutilisables avec les nouveaux logiciels, ou encore ce
sont des logiciels qui deviennent obsolètes lors du changement du support, ou le
changement du système d'exploitation.
D'autres nombreux exemples rendent
volontairement incompatibles entre eux les différents millésimes des produits
informatiques.
On trouve le même scandale dans le monde de la
télévision, où les écrans plats se consomment si rapidement que les dépôts de
recyclage sont débordés. Ici, une des "astuces" malhonnêtes consiste à placer les
condensateurs, ces petits accessoires très sensibles à la chaleur, le plus près
possible des transformateurs, à l'intérieur de l'espace confiné derrière
l'écran. Les transformateurs sont reconnaissables à leurs ailettes de
refroidissement qui rappellent celles des moteurs de motos. Ainsi, les
condensateurs cessent de fonctionner bien plus rapidement que ne l'avaient
prévu leurs fabricants. La réparation coûtera quand même une
certaine somme compte tenu du coût de la main-d'œuvre, et là encore, la
garantie étant terminée, l'acheteur sera orienté fermement vers le prestigieux
"dernier modèle" équipé des nouveaux gadgets à trois sous.
Un procédé semblable est utilisé pour les
ordinateurs portables qui sortent d'usine avec un refroidissement
volontairement inefficace, pour réduire leur durée de vie autour de 2 ans.
C'est aussi ce qui explique la profusion, sur le marché, de tablettes-supports
avec des ventilateurs supplémentaires intégrés.
Ne parlons pas des batteries scellées non
interchangeables, des nouveaux condensateurs indémontables, de l'arrêt de
production de pièces détachées (qui rendent tout appareil inutilisable), de
l'adjonction volontaire de défauts de conception, etc.
Tous les domaines de la consommation sont
touchés par cette maudite technique de l'obsolescence programmée, comme ceux de
l'habillement, des chaussures, et même de l'alimentation et de la
pharmacie (avec des dates de péremption non réalistes).
Une question peut se poser pour les
constituants ayant trait à la sécurité d'une automobile ou d'un
avion. Pour ce qui est des engins volants, il existe des calendriers
préconisant les dates de renouvellement de certaines pièces, dont les
fréquences sont bien difficiles à mettre en doute... Il ne serait pas étonnant
qu'il y ait ici aussi du gaspillage, rentable pour les fabricants — sous
couvert du principe de précaution, sésame de la bonne conscience, trop généreusement appliqué.
À une époque où la pollution de la planète et
la gestion de nos déchets posent tellement de problèmes, des attitudes aussi
machiavéliques et aussi malhonnêtes devraient être sinon réprimées, du moins
sévèrement réglementées par les autorités (qualifiées à tort de
"responsables"). Elles ont bien su le faire pour diminuer les
émissions polluantes des véhicules.
Enfin, le gaspillage généré par la destruction
abusive d'appareils récents, qui comportent tous des constituants en métaux
plus ou moins rares, constitue une perte incongrue de ressources minières
naturelles.
N'est-ce pas une énorme désinvolture, une
immense agression, une escroquerie scandaleuse, que de se moquer des
consommateurs, en remplissant les dépôts de recyclage de montagnes de ces
merveilles de la technique, de ces appareils quasiment neufs, qui seraient
capables de fonctionner encore des années? De ces écrans plats qui nécessiteraient
quelques centimes d'euros de pièces neuves, et qui contiennent leur lot de
matières impossibles à recycler?
Ce n'est qu'une banalité de rappeler que,
malheureusement, le monde moderne est dans les mains des financiers, et que ses
habitants ont quasiment perdu les repères et les valeurs nécessaires à assurer
la survie de l'humanité.
— Et le vélo, dans tout ça? me direz-vous...
(Photo DCO)
— Eh bien, je vous laisse à votre indignation,
et, pour profiter du beau temps revenu, je vais faire une promenade sur le vélo
que voici, qui m'avait été offert pour mon bac.
Il n'a que 65 ans*.
*Authentique.
(Mais j'ai changé les pneus...).
*
Novembre 2014
Mon épouse est triste : son aspirateur vient de rendre l'âme. Depuis quelque temps nous sentions bien que sa santé déclinait. Il avait toujours du souffle, mais qui devenait de plus en plus bruyant. Puis des râles se firent entendre, et il rendit son dernier souffle dans un filet de fumée bleue à l'odeur caoutchoutée.
(Photo DCO)
— Je lui pardonne, dit-elle, il a plus de 35 ans, et il a dû tourner pendant des milliers et des milliers d'heures. Il mérite enfin d'être recyclé...
Il s'appelait Miele.