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lundi 17 novembre 2014

L'obsolescence programmée, l'écologie... et un vélo



 Contenu : Comment les fabricants programment la désuétude de leurs produits afin qu'ils soient rapidement renouvelés.

Nota : Cet article a été publié sur l’ancien blog le 23 janvier 2013. Je l’ai repris, juste pour le plaisir, car, depuis,  le vélo a trouvé un compagnon…


Obsolescence programmée ou désuétude plannifiée... Des mots savants pour traduire un comportement commercial parfois frauduleux...
J'ai appris, il y a bien longtemps, que l'économie d'une entreprise n'était viable à long terme que si son chiffre d'affaires augmentait chaque année d'un certain pourcentage. Gustave Thibon, un passionnant penseur, qui sévissait à la télévision dans les années 60, racontait un jour avoir effectué une visite d'une grande usine d'automobiles aux USA. Son guide se rengorgeait en lui affirmant :
— Grâce à notre bonne gestion et compte tenu de nos bénéfices, le niveau de vie de nos ouvriers est aujourd'hui très bon. D'ailleurs, maintenant, ils peuvent changer de voiture tous les 2 ans. Nous avons tout mis en œuvre pour qu'ils puissent le faire. Et cela fait marcher la production aussi.
Ce à quoi, Gustave Thibon répondit :
— Comment ferez-vous lorsqu'arrivera le jour où ils devront changer de voiture tous les quarts d'heure? 

Et il y a bien longtemps que les fabricants tentent d'augmenter leur production annuelle par tous les moyens. Le premier étant évidemment de provoquer un accroissement de la demande. Celle-ci étant limitée par le nombre de clients potentiels, il leur fallait trouver un moyen d'obliger ces derniers à renouveler plus souvent leur achat du même produit.
Et lorsqu'il s'agit d'un produit non consommable ou peu enclin à l'usure, ils se sont arrangés pour que cette usure se manifeste rapidement, ou encore, par des manœuvres d'action psychologique, pour que la demande de renouvellement se fasse au bénéfice d'un modèle plus récent, mais pas forcément meilleur.

Pour illustrer le premier moyen cité, voici un exemple concret : lorsqu'ils sont sortis, les premiers bas nylon se sont avérés pratiquement inusables. Les fabricants n'ont rien trouvé de mieux, pour booster leurs ventes, que de diminuer la résistance des fibres de nylon, en supprimant certains additifs destinés à protéger le polymère des rayons ultra-violets néfastes à leur durée, et en diminuant le grammage sous couvert de "tendance". 
Malheureusement pour les clientes, mais opportunément pour les fabricants, la durée de vie de ce nouveau produit était fortement diminuée. En même temps que ces ouvrières spécialisées dans la reprise des bas, que l'on voyait parfois travailler fiévreusement devant un soupirail, le nez au ras du trottoir, disparut peu à peu dans le public la conviction qu'il fallait acheter "durable".

Quant à la méthode consistant à amener psychologiquement la clientèle à rechercher la nouveauté, on dit qu'elle a été inventée au début du siècle dernier. Wikipedia cite le cas de Ford avec son modèle T fabriqué pendant 19 ans, facile à réparer, qui donnait toute satisfaction. Mais Général Motors produisit bientôt un modèle plus moderne, avec une gamme plus étendue, qui comportait 3 nouveautés par an, ce qui incita les acheteurs à abandonner facilement leur ancien modèle pour le dernier sorti, plus conforme à la mode. Ford fut ainsi contraint d'entrer dans ce système de course au nouveau modèle.
Dans l'exemple suivant, le produit encore fonctionnel est délaissé par une clientèle manipulée par les dictats de la mode ou du snobisme, qui se précipite sur la dernière version de l'appareil. Chez Apple, les clients font la queue pour acquérir le dernier modèle  iPhone sorti, qui ne téléphone pas mieux que le précédent.

On peut se dire qu'en l'occurrence, il n'y a rien de bien immoral, puisque l'acheteur peut adapter son achat à ses désirs. Mais où l'affaire se corse, et procure des cauchemars aux associations de consommateurs, c'est lorsque le fabricant limite volontairement la durée de vie de son produit, et met en œuvre des techniques scandaleuses pour que l'objet cesse de fonctionner, partiellement ou totalement. Le client est alors soumis à des contraintes, opposées par nature :
- faire réparer, parfois à des tarifs disproportionnés par rapport à l'importance de la panne elle-même (car la garantie est souvent terminée);
- jeter l'appareil à la poubelle et se rendre acquéreur du nouveau produit, au prestige factice, car parfois seule la présentation esthétique a vraiment changé.

Le cas des imprimantes est bien connu, bien qu'il n'émeuve personne. Il constitue un sommet dans ce type d'escroquerie, et se joue sur plusieurs tableaux, comme nous allons le voir.
D'une part, grâce aux possibilités sans fin que procure l'électronique, votre imprimante est programmée (au sens propre), pour cesser de fonctionner après un certain nombre d'allumages, ou de pages imprimées. Le prix de la réparation (lorsque le constructeur l'accepte) étant équivalent ou supérieur à celui d'un modèle d'entrée de gamme, vous devinez ce qui va se passer : vous n'allez pas accepter de donner à un réparateur une somme qui vous permettrait d'acquérir un des derniers modèles (présentés comme meilleurs par le fabricant).
D'autre part, lorsqu'il fabrique aussi les cartouches d'encre, le constructeur peut les rendre inutilisables avant qu'elles ne soient vides, grâce à une puce électronique programmée de la même façon, sur un nombre de connections électriques, plus que sur un nombre de pages imprimées. La Communauté Européenne vient de mettre fin à ce procédé scandaleux, qui obligeait le client à jeter des produits non consommés, et à en acheter des neufs inutilement. 

J'ai eu une imprimante de célèbre marque (celle qui "peut le faire"), qui un jour, sans doute parce que le compteur avait atteint le chiffre fatidique, critiqua ma façon d'insérer la cartouche : 
   "Cartouche d'encre mal positionnée", m'a-t-elle dit.
D'après elle, ma manœuvre avait été mauvaise, et pour me punir, elle refusait de fonctionner. Or, il n'y a qu'une seule façon de placer la cartouche : on la présente devant son logement, et on la pousse jusqu'à entendre le claquement du petit verrou. Il est évident que ce n'était qu'un trompe-couillon.
Le réparateur me demandait 90€ pour rendre la machine à nouveau fonctionnelle. J'ai bien sûr refusé, et il a hurlé quand je lui ai demandé de simplement me transmettre le code de réinitialisation. Évidemment, le gâteau est trop bon.
L'utilisateur peut recevoir aussi le message suivant qui prétend justifier la panne : "Réservoir de l'encre usagée plein". Il faut savoir qu'à chaque allumage, l'imprimante crache un peu d'encre par ses buses d'impression pour les déboucher. Ces deux ou trois gouttelettes sont envoyées par une petite pompe vers le fond du boîtier de l'appareil qui est recouvert d'une sorte de feutre absorbant, de 1 centimètre d'épaisseur. Il faudrait 1 litre ou 2 d'encre pour le rendre inefficace, ce qui est inimaginable, même en 10 ans de service. Encore un mensonge payant : en réalité, le fabricant voudrait qu'on change d'appareil, mais techniquement, il suffirait simplement de remettre à zéro le vicieux compteur. Car rien n'est usé dans la machine.

Toujours dans le monde de l'informatique, certains ordinateurs deviennent inutilisables avec les nouveaux logiciels, ou encore ce sont des logiciels qui deviennent obsolètes lors du changement du support, ou le changement du système d'exploitation.
D'autres nombreux exemples rendent volontairement incompatibles entre eux les différents millésimes des produits informatiques.  

On trouve le même scandale dans le monde de la télévision, où les écrans plats se consomment si rapidement que les dépôts de recyclage sont débordés. Ici, une des "astuces" malhonnêtes consiste à placer les condensateurs, ces petits accessoires très sensibles à la chaleur, le plus près possible des transformateurs, à l'intérieur de l'espace confiné derrière l'écran. Les transformateurs sont reconnaissables à leurs ailettes de refroidissement qui rappellent celles des moteurs de motos. Ainsi, les condensateurs cessent de fonctionner bien plus rapidement que ne l'avaient prévu leurs fabricants. La réparation coûtera quand même une certaine somme compte tenu du coût de la main-d'œuvre, et là encore, la garantie étant terminée, l'acheteur sera orienté fermement vers le prestigieux "dernier modèle" équipé des nouveaux gadgets à trois sous.

Un procédé semblable est utilisé pour les ordinateurs portables qui sortent d'usine avec un refroidissement volontairement inefficace, pour réduire leur durée de vie autour de 2 ans. C'est aussi ce qui explique la profusion, sur le marché, de tablettes-supports avec des ventilateurs supplémentaires intégrés.
Ne parlons pas des batteries scellées non interchangeables, des nouveaux condensateurs indémontables, de l'arrêt de production de pièces détachées (qui rendent tout appareil inutilisable), de l'adjonction volontaire de défauts de conception, etc.
Tous les domaines de la consommation sont touchés par cette maudite technique de l'obsolescence programmée, comme ceux de l'habillement, des chaussures, et même de l'alimentation et de la pharmacie (avec des dates de péremption non réalistes). 

Une question peut se poser pour les constituants ayant trait à la sécurité d'une automobile ou d'un avion. Pour ce qui est des engins volants, il existe des calendriers préconisant les dates de renouvellement de certaines pièces, dont les fréquences sont bien difficiles à mettre en doute... Il ne serait pas étonnant qu'il y ait ici aussi du gaspillage, rentable pour les fabricants — sous couvert du principe de précaution, sésame de la bonne conscience, trop généreusement appliqué. 

À une époque où la pollution de la planète et la gestion de nos déchets posent tellement de problèmes, des attitudes aussi machiavéliques et aussi malhonnêtes devraient être sinon réprimées, du moins sévèrement réglementées par les autorités (qualifiées à tort de "responsables"). Elles ont bien su le faire pour diminuer les émissions polluantes des véhicules.
Enfin, le gaspillage généré par la destruction abusive d'appareils récents, qui comportent tous des constituants en métaux plus ou moins rares, constitue une perte incongrue de ressources minières naturelles.

N'est-ce pas une énorme désinvolture, une immense agression, une escroquerie scandaleuse, que de se moquer des consommateurs, en remplissant les dépôts de recyclage de montagnes de ces merveilles de la technique, de ces appareils quasiment neufs, qui seraient capables de fonctionner encore des années? De ces écrans plats qui nécessiteraient quelques centimes d'euros de pièces neuves, et qui contiennent leur lot de matières impossibles à recycler?

Ce n'est qu'une banalité de rappeler que, malheureusement, le monde moderne est dans les mains des financiers, et que ses habitants ont quasiment perdu les repères et les valeurs nécessaires à assurer la survie de l'humanité. 

Et le vélo, dans tout ça? me direz-vous...




(Photo DCO)

Eh bien, je vous laisse à votre indignation, et, pour profiter du beau temps revenu, je vais faire une promenade sur le vélo que voici, qui m'avait été offert pour mon bac.
Il n'a que 65 ans*.

*Authentique.
(Mais j'ai changé les pneus...).

*


Novembre 2014
Mon épouse est triste : son aspirateur vient de rendre l'âme. Depuis quelque temps nous sentions bien que sa santé déclinait. Il avait toujours du souffle, mais qui devenait de plus en plus bruyant. Puis des râles se firent entendre, et il rendit son dernier souffle dans un filet de fumée bleue à l'odeur caoutchoutée.



(Photo DCO)

Je lui pardonne, dit-elle, il a plus de 35 ans, et il a dû tourner pendant des milliers et des milliers d'heures. Il mérite enfin d'être recyclé... 
Il s'appelait Miele.



samedi 15 novembre 2014

À Monument Valley, une anecdote personnelle...




Les images archi-connues de ce fabuleux site américain ne surprennent plus personne. On reconnait immédiatement la couleur rouge du minéral et la forme en ruines, caractéristique de ces curieuses formations géologiques appelées mesas. Dans de nombreux westerns anciens, ce décor naturel est utilisé. Le scénario vous fait croire tantôt que vous approchez de Yuma, ou bien que  la ville de Tombstone et son OK Corral sont juste à côté (les deux sont à plusieurs centaines de kilomètres). Mais qu'importe, le paysage est toujours grandiose... 

Ce site comporte une série de paysages célèbres, identifiés selon leur forme par les Indiens, sous des noms caractéristiques : Les 3 Sœurs, Le Prêcheur, Les Éléphants, Le Hibou, etc.

J'ignorais tout ça, lorsque enfant, j'admirais les multiples boîtes métalliques décorées qui, après avoir contenu diverses denrées épicières, continuaient pendant des années à servir à la maison, de récipients pour le sucre, la farine, les biscuits ou les légumes secs. Certaines représentaient des scènes de chasse à courre, d'autres des animaux, ou encore un port Breton. 

Mais parmi elles, se trouvait ma préférée, qui représentait un Indien monté sur un fier mustang, qui semblait surveiller un paysage immense. Cette boîte me passionnait, et je passais de longs moments à tenter de m'immiscer dans l'image, comme pour mieux en découvrir les parties cachées, et en comprendre les mystères. Ce tableau me faisait tellement rêver, que je me promis, dur comme fer, de visiter un jour ce lieu majestueux...

Je sus plus tard qu'il s'agissait de Monument Valley, et j'ai appris récemment le nom de cet endroit : John Ford's Point. Il fut nommé ainsi après que John Ford ait tourné dans les environs un célèbre western dans les années 30. (La chevauchée fantastique, je crois bien). Il bénéficia de l'aide précieuse d'un Indien du coin, qui devint son guide et son conseiller, et qui, une fois le film terminé, profitant de la publicité donnée au site par le film, prit l'habitude de se faire payer par les touristes de passage, pour poser sur son cheval sur cette petite terrasse naturelle qui domine le plateau. Reprenant ainsi une scène du film.

John Ford et son équipe s'étaient installés pour le tournage dans quelques baraques de bois à Gouldings, à quelques kilomètres. À l'époque, l'endroit était pratiquement désert. Aujourd'hui, la ville du coin est Kayenta, une laide agglomération sans ordre, de maisonnettes éparpillées dans la plaine à quelque distance du site. Elle abrite quelques milliers de Navajos, et quelques hôtels de chaînes connues.
L'endroit est soumis au statut des réserves indiennes, alors ne vous attendez pas à y trouver la moindre boisson alcoolisée.



Sachez aussi qu'une journée passée à flâner dans ce lieu étonnant vous transformera sans aucune préparation en véritable "Peau Rouge". La couleur de l'eau de la douche, le soir à l'hôtel, vous le confirmera.

En 1978, en visite à Monument Valley, alors que nous roulions au pas en soulevant un nuage de poussière rouge, la voiture déboucha brusquement sur un petit terre-plein occupé par deux ou trois autres véhicules.
Et là, à travers le pare-brise, à 100 mètres de nous, s'affichait l'illustration de la boîte de sucre de mon enfance! Un Indien, sur son cheval, regardant la plaine. Il était mitraillé au téléobjectif par un groupe de touristes. Ma surprise et ma joie furent d'autant plus grandes que j'avais totalement oublié le décor de la boîte, ou plutôt que cette image était sortie de ma mémoire. Les années s'écoulant m'avaient appris la variété, la complexité et l'immensité de la nature, toutes choses propres à rendre impossible toute identification géographique. Et pourtant...

Retourné en 2008, je retrouvais la même scène, et ne pus m'empêcher cette fois, d'aller à la rencontre de l'Indien. C'était un jeune homme timide, que les touristes d'ailleurs firent semblant d'ignorer lorsqu'il revint lentement de son promontoire dans l'espoir de récolter quelques sous, comme le laissait entendre la pancarte délavée : 1$ THE SHOT.
Il me raconta que le guide de John Ford était son grand-père, et qu'il succédait à son père dans le rôle de l'Indien-à-cheval-sur-le-promontoire-face-à-la-plaine, faisant perdurer la coutume établie depuis près de 80 ans. Je fus passionné et ému par son récit, au point que, pour le remercier, je lui fourrai une poignée de petits billets dans la main.
Quand vous irez là-bas, vous ne pourrez pas le rater.

En attendant, tout en préparant votre voyage, vous pourrez constater combien "cette" photo est multiple, sur ce site où l'on voit aussi quelques portraits de John Ford. Voici ma photo, avec le jeune Indien sur son cheval


 Photo DCO

Lorsque ce sera votre tour, lorsque le déclencheur de l'APN s'impatientera sous votre doigt, et que vous aurez le souffle coupé par la beauté de l'endroit, par pitié, ne faites pas comme ces minables photographes amateurs qui cachent leur appareil au retour de l'Indien. Sachez que comme ses ancêtres, comme son père, et avant lui son grand-père, il fait partie de cette terre. Elle est en lui comme lui est en elle. Il mérite notre respect, alors que nous ne sommes que des curieux de passage qui collectionnons les photos comme des bons-points futiles et sans âme. 

Nota : Ce texte est inspiré d'un premier récit que j'avais publié en 2012 sur mon ancien blog. Par suite d'une désinvolte attitude de l'hébergeur qui souhaitait maintenant faire payer ses services, ce blog a été réduit à une peau de chagrin, sans doute pour me convaincre d'ouvrir mon portefeuille et choisir mieux. J'ai dû en demander la fermeture, car il était devenu un asile gratuit pour de multiples publicités non désirées. Obtenir sa fermeture a été aussi une aventure... Mais maintenant, mon ancien blog est Over.

dimanche 19 octobre 2014

Trois étages sans ascenseur...

Aujourd'hui j'abandonne mon masque de légèreté pour vous parler d'une notion plus sérieuse, qui peut se résumer en une description particulière de l'être humain : la façon de voir l'homme selon les penseurs taoïstes chinois antiques.

"L'homme, cet être frileux, venu d'on ne sait où, et retournant vers l'inconnu" 
(Alain Mestrallet, in Moka  1, Éd. Édition 7)


L'Homme restera toujours un mystère pour l'homme. Qu'il essaie de deviner la personnalité de l'autre, ou de se pencher sur ses propres questionnements, il hésite, ignorant, aveuglé, confus.  En tentant de rester le plus objectif possible, il imagine l'être humain sous de multiples aspects : anatomique, physiologique, penseur, silencieux ou volubile, en activité ou au repos. 
Pour les philosophes, les sociologues, les psychologues, cet être mystérieux est le résultat d'un assemblage complexe de sensations, d'affects, d'émotions, de sentiments et de pensées. Il en émet et en reçoit continuellement.

Mais il existe aussi une conception de l'Homme moins connue : c'est celle que décrivaient les savants chinois de la proto-histoire — cette période mal définie située entre la préhistoire et l'antiquité. 
Avant tout, il faut savoir qu'ils raisonnaient selon un mode de pensée particulier qui considérait l'être humain comme une partie constitutive de la nature, du cosmos. Issu de la nature, il y retournerait à sa mort, sans aucune gloire sacrée, pour aider le cycle cosmique à se poursuivre.
Notons que cette conception, en l'absence de religion, fut à peu de choses près, celle de la pensée occidentale, et sans doute de la pensée universelle, jusqu'au mouvement stoïcien inclus.
Elle laissa ensuite la place aux conceptions prônées par les religions monothéistes, comme le christianisme, où les fidèles trouvent un réconfort dans l'idée d'un Dieu anthropomorphe, aimant, consolant, et promettant une fin paradisiaque, par opposition à la rigueur d'une finitude au sein d'une nature indifférente.

Autour et au-dessus de cet Homme universel, le Ciel, intraitable et inaccessible émetteur de lumière et d'obscurité, de chaleur et de froid, organisateur des saisons, représente la puissance, la grandeur, la qualité absolue. 
Par opposition, le Sol est inerte, mesurable. Il est à la disposition de l'Homme, qui peut s'y déplacer ou le modifier. C'est le symbole plus banal de la quantité
Entre les deux, évolue l'Homme, qui compose avec eux, en se soumettant aux lois imposées du Ciel, et en disposant du Sol à sa guise*.


On constate ainsi l'apparition d'une hiérarchie, qui décrit, de haut en bas, 3 éléments de moins en moins qualifiés : le Ciel, l'Homme, le Sol.
Grâce à la démarche analogique, la plus adaptée à la manipulation des symboles, ce principe de 3 termes sera repris dans tous les concepts issus de la Tradition Primordiale, la grande Tradition — à ne pas confondre avec la tradition banalement rabaissée au rang de coutumes, ou d'habitudes acquises. 
Et des formules, des lois, ou des applications en seront tirées dans tous les domaines de la vie, et en particulier en architecture sacrée (églises, mausolées), ou profane (fontaines, tours).

Presque sans le vouloir, nous venons d'entrer dans le domaine de la métaphysique, celui des causes premières selon le dictionnaire. Ici, l'on aborde les notions, les idées, ou les concepts en les écartant de leur signification habituelle, mais en les dotant de  caractères et de possibilités plus symboliques que réalistes.

Nous voilà maintenant prêts à concevoir la structure métaphysique de l'Homme.

Il y a quelques dizaines de siècles — la date précise importe moins que les faits — un Sage chinois a choisi de représenter l'Homme-dans-le-Monde, l'homme métaphysique, par un remarquable schéma. Ce penseur,  qui s'appelait Meng Tzeu, fut rebaptisé Mencius par les Jésuites — qui occupaient des postes importants en Chine aux environs du XVII ème siècle. 
Par analogie avec le constat précédent, de l'Homme entre le Ciel en haut et le Sol en bas, Meng Tzeu décrit un être comportant 3 étages lui aussi. Le macrocosme (le cosmos), donnant son modèle au microcosme (l'Homme), ou bien, inversement, le microcosme s'inspirant du macrocosme, permettent de construire un modèle dans lequel on retrouvera le Ciel de l'Homme en haut de sa structure, et la partie la plus matérielle de l'Homme en bas. À mi-hauteur, un niveau intermédiaire particulier. 

Voici le schéma qui représente l'Homme selon Meng Tzeu :



 Il y aurait énormément de choses à dire sur ce schéma, qui vous rappellera certainement des formes approchantes, vues sur des objets sacrés dans différentes civilisations primitives  (Dogons, Amérindiens, par exemple).

Pour l'instant, nous dirons simplement que l'étage supérieur, dessiné comme une coupe ouverte vers le Ciel, pour sans doute mieux en recevoir les influx, est celui de l'intuition la plus pure, de la spiritualité, de l'intellect. C'est le niveau des pensées les plus intellectualisées, mais c'est aussi ici que se construisent les raisonnements, la logique, les calculs. 

À l'opposé, le plan inférieur est ouvert vers le Sol, avec qui il procède à des échanges quantitatifs (apports d'aliments, rejets de déchets). C'est le niveau qui représente le corps, le soma.

Et entre les deux, un plan horizontal, mi-qualitatif, mi-quantitatif, est celui des émotions, des sentiments, en gros de l'affectivité. Il est mis en fonction par les contacts avec autrui.
Un mot sur l'ambivalence de cet étage moyen : il a un fonctionnement de forme qualitative puisque les sentiments (non mesurables) sont divers et bien précis (joie, colère, peur, etc). Mais un côté quantitatif y existe aussi, car l'on peut distinguer des degrés variables dans un même sentiment : une inquiétude est une petite peur, opposée à une panique. Une irritation est une petite colère, bien moins importante qu'une rage destructrice.
Il constitue donc parfaitement un passage harmonieux entre l'étage supérieur (subtil) et l'étage inférieur (matériel). 

Évidemment, dans la vie active, il y a de nombreuses interférences entre les deux étages supérieurs, car le discours de l'Homme a du mal à établir un hiatus très marqué entre des notions purement et froidement intellectuelles, et des concepts plus émotionnels, comme la notion du bien et du mal, par exemple.

Un dernier mot pour signaler que ces 3 plans sont, dans ce modèle, reliés par une colonne centrale qui sert de voie de liaison entre eux. La circulation des données y est à sens unique du haut vers le bas, à l'état de bonne santé tout au moins. 
Mais ceci est une autre histoire...

Un corollaire de cette conception de la structure de l'Homme est que la félicité mentale, psychologique et même somatique, réside dans un développement harmonieux des trois plans constitutifs. La notion chinoise de juste milieu s'applique parfaitement ici, et conseille de ne pas privilégier un plan au détriment des autres. Le philosophe ermite qui a coupé les ponts avec la société, et qui néglige son hygiène alimentaire, n'est pas à imiter. Pas plus que la pipelette larmoyante continuellement assoiffée d'indiscrétions romantiques sur les grands de ce monde, ou que le culturiste uniquement préoccupé par le volume de ses muscles

Quoi qu'il en soit, la simple connaissance de cette conception particulière de l'être humain, nous permettra, de manière évidente, de mieux comprendre certains comportements, ou certains discours de nos contemporains. Elle nous évitera peut-être des erreurs ou des bévues, dans la mesure où il n'est pas toujours anodin de trop laisser parler son cœur.**






*J'utilise volontairement des majuscules pour signaler la qualité métaphysique de ces notions. Le Ciel n'est pas le même que le ciel météorologique, par exemple, et le Sol est ici considéré l'élément de base, le support de la vie terrestre, plus noble que le sol du parterre. Pour l'Homme, la majuscule permet en plus de montrer la connotation générique du mot.

**Que les personnes intéressées n'hésitent pas à me faire part de leurs commentaires, ou de leurs questionnements. Je tâcherai d'y répondre dans la mesure de mes connaissances.

mercredi 17 septembre 2014

Juste en passant...

Je n'apprendrai rien à mes collègues du quatrième âge, qui savent comme moi combien le temps rapetisse avec les années. Lorsque nous avions 10 ans, une année représentait un bon dixième de la vie, et même plus, si l'on exclut la période de la très petite enfance, où la conscience du monde se dessinait à peine. 

Voyez ce qu'elle est devenue à 80 balais... Un petit quatre-vingtième de vie! Normal que tout ça paraisse bien court.

Voilà pourquoi je n'ai pas assez de temps pour m'occuper de mon blog comme ses gentils lecteurs le méritent.

Pour me faire pardonner en attendant mon retour studieux, je leur offre quelques photos prises avant l'orage, des annonces de l'automne.

À bientôt!




(photos DCO)

mercredi 3 septembre 2014

Une moto de 14 ans est-elle une vieille moto?

— Et moi je te dis qu'elle est neuve, cette moto!
— Mais non, on n'en fait plus depuis des années des Seven Fifty, je t'assure. C'est une ancienne, peut-être bien retapée.

La discussion entre les deux jeunes hommes, allait bon train devant une magnifique moto d'un émail noir et brillant, qui tentait de cacher sous les ailettes de son bloc-moteur les sorties rutilantes de ses échappements.
Il faut dire, que pour ceux qui aiment un certain classicisme dans l'aspect d'une moto, la CB Honda 750 RC42A, prénommée Seven Fifty, est un beau morceau.

Bien proportionnée, elle montre un réservoir opulent mais racé, et expose sa mécanique comme en vitrine. Pas de carénage de plastique aux angles vifs et aux couleurs criardes, pas d'yeux en amandes, pas de clignotants minuscules.

Ici tout est franc, solide, et plaisant à regarder.
À écouter aussi, car le merveilleux 4 cylindres, encore à carburateurs, ronronne comme un matou, et tourne comme une douce turbine. Mais ça, ce n'est pas sensible à l'arrêt.

Nos amateurs, tournant autour de la belle ne savaient pas qu'ils avaient raison tous les deux. Ou tort tous les deux.
La moto en question était neuve, comme son aspect le prouvait. Comme le disait aussi le compteur qui affichait 4500 km. Mais elle était ancienne — et non vieille — car fabriquée en 2000.

Elle sortait d'une léthargie confortable de 14 ans, sous une douce couverture, dans le garage d'une dame soigneuse. Révisée deux fois en vue d'une utilisation projetée, elle reprit à chaque fois son sommeil. 
Finalement, elle atterrit chez mon motociste, munie d'une étiquette indiquant un prix de scooter.

Comme elle me fit les yeux doux, nous partîmes ensemble après que j'aie refusé de la voir si mal chaussée : pensez, des pneus encore munis de leurs poils, mais à leur âge interdits de rouler, sous peine d'ennuis sérieux.

Voyez comme elle est belle, ma vieille moto neuve, avec ses BT 23.

J'en connais qui vont surveiller les avis de décès...

M'en fous, en attendant, elle et moi passons des moments exaltants ensemble.
Pas belle la vie?








(photos DCO)



mardi 26 août 2014

Arriver à pied par la Chine...

Non, c'est faux, j'ai pris l'avion comme tout le monde.

Mais la préparation des documents pour le congrès, la réalisation du voyage, la fatigue qui en est résultée, m'ont tenu très éloigné de mon blog.

Il faudra que je vous raconte...



photos CDO

dimanche 8 juin 2014

Un cri... d'amitié

J'avais promis de vous parler de cette sculpture un peu extraordinaire, surtout par sa genèse, et par ce qu'elle représente pour moi.

J'avais découvert un panneau de particules, oublié dans un coin de mon atelier. Sa surface présentait de curieuses stries orientées en tous sens, car il avait servi de martyr pour la découpe de certains matériaux, lors de la construction de ma maison. Il y a plus de 20 ans.

Le maçon, Jean-Claude, était devenu un ami, chez qui j'appréciais les efforts pour bien faire, la recherche d'astuces ou l'acceptation de sacrifices pour éviter de gonfler la facture.

Maintenant à la retraite, il a perdu sa femme, et souffre d'une grave maladie.

Devant la méchanceté du destin, il ne restait plus qu'à l'aider à crier sa colère...

Ce que j'ai fait, en transformant le témoin de son travail en une forme d'art iconoclaste.




"Le cri"
(photo DCO)

Après avoir passé une couche de peinture noire, j'ai ramassé un bout de tôle de cuivre que j'ai tordue pour en faire une face ulcérée.

Ce montage en hommage à Jean-Claude, je l'ai appelé "Le cri". Il a été exposé lors du dernier Salon d'art de l'Académie du Var*.


*Vous pouvez consulter le site de l'Académie du Var, une société savante, comme on disait autrefois. Mais je crois que les photos des œuvres exposées ne sont pas encore postées...

Soyons simples...

Vu dans le Figaro du 6 juin dernier :



— C'est dans le journal, donc c'est vrai, Bébert!

vendredi 30 mai 2014

Permis ou permission ?


Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je me suis souvent demandé ce qui, parfois, passait par la tête de ceux qui éditent les lois.

Ainsi, il est interdit de faire éclater des pétards.
Il n'est pas interdit d'en vendre.
Le législateur — comme on dit, lorsqu'on ne sait pas bien qui est responsable de la Loi — ne semble pas se soucier le moins du monde de la contradiction. Si personne ne peut les utiliser, à qui les vendre, alors?
À l’inverse, il est permis de consommer de la drogue, mais interdit d’en détenir ou d’en vendre. Alors, à qui l’acheter ?

Dans un autre domaine, lorsqu’un automobiliste commet des infractions graves, il lui arrive parfois de se faire retirer le permis de conduire.
— Ce bonhomme est un danger public, s’écrie, offusqué, le représentant de la loi. Il a brûlé des feux à répétition, passé plusieurs fois des stops sans ralentir, et régulièrement il a  largement dépassé les vitesses imposées. Il faut l’empêcher de commettre d’autres infractions graves qui mettent la vie d’autrui en danger. Il est préférable de lui retirer son permis de conduire, ainsi, il ne risquera plus de sévir !




Dans l’absolu, le raisonnement se tient. Lorsqu’un médecin fait des bêtises, on peut lui interdire d’exercer, et c’est normal. Mais voilà, si le praticien est éloigné des malades et ne peut plus leur nuire, notre automobiliste par contre, peut, en toute légalité, revenir sur la route au volant d’une petite cylindrée, pour laquelle « on » a décidé que le permis de conduire n’était pas nécessaire.
— Ah, bon ! Les autres usagers de la route seraient-ils maintenant sous la protection d’un Saint Christophe omnipotent ? Ou bien notre « criminel »  serait-il soudainement devenu très sage ?

Avant de poursuivre, voyons ce que veut dire exactement l’expression permis de conduire. Selon Wikipedia :
« Le permis de conduire est un droit administratif de circuler donnant l'autorisation de conduire  sur une route publique un ou plusieurs véhicules tels que voiture, motocyclette, cyclomoteur, camion ou autobus, dans une zone géographique donnée, généralement un pays. La délivrance du permis de conduire peut être soumise selon les cas et les lois locales à un test d'aptitude à la conduite de niveau de difficulté variable ainsi qu'à des exigences d'âge minimal. En cas d'accident, l'absence de permis du conducteur impliqué entraîne l'annulation de l'assurance, et les coûts sont à la charge de l'individu. Des sanctions pénales sont également prévues ».

Donc le permis est bien une permission de conduire. Alors, il semblerait logique que la suppression du permis entraîne l’annulation de la permission qui va avec.
—   Mais non, vous n’avez rien compris, monsieur ! Le délinquant a le droit de conduire sur la voie publique une petite auto de moins de 50 cc de cylindrée. La loi l’y autorise, car la voiture ne dépasse pas le 45.
—   Ah, bon. Mais qui nous dit qu’il ne dépassera pas les limitations à 30 à l’heure, comme celles qui se trouvent souvent devant les écoles ? Un gamin renversé à 45 à l’heure ne risque-t-il plus rien ?

La loi, censée nous protéger, autorise  cependant notre danger public à aller tuer. Dans la légalité. La mort sera moins dure, sans doute, car les chocs auront lieu à une vitesse plus faible.
La famille des tués sera bien consolée de savoir que ce monsieur avait la permission de rouler au volant d’une auto, bien qu’il n’ait pas le droit de conduire.

D’une façon générale, la condamnation qui a amené la suspension du permis de conduire se contredit si elle laisse une personne jugée si dangereuse, à continuer à fréquenter la voie publique. De deux choses l’une :
—    ou bien le conducteur n’est pas dangereux au point de lui interdire  de conduire ;
—   ou bien, il l’est vraiment, et à ce moment, il n’a plus le droit de piloter le moindre engin à moteur, comme on a interdit le stéthoscope au médecin véreux. Car les éléments qui ont motivé la condamnation sont les mêmes qu’auparavant : un chauffard d’une part, et la voie publique d’autre part. Et l’on a vu le résultat de cette rencontre.

Mais peut-être ne faut-il voir ici qu’un excès de zèle du tribunal, légitimé par l’acharnement des pouvoirs publics à vouloir sécuriser à tout prix l’usage de l’automobile, fut-ce par la menace et par l’exemple.
Les avocats spécialisés feraient bien de se pencher sur ce point : le choix, le degré de la sentence semblent bien présenter des failles susceptibles d’être exploitées.

D’une façon générale, on constate que les législateurs de tout poil s’acharnent à tenter d’améliorer la sécurité routière, qui ne fait pourtant plus que (formule détestable, je sais) 3000 morts par an, alors que les accidents domestiques en font 20 000 dans le même temps, sans émouvoir quiconque.
Allez comprendre…

— Mais, me direz-vous,  on ne peut pas comparer ! Les risques domestiques sont immenses! Voyez le nombre de personnes qui trouvent la mort dans leur lit…


samedi 17 mai 2014

Balade en Seven en Cévennes...


— Alors, pas un mec qui s'arrête pour vous aider?
Dans mon dos une portière a claqué et maintenant cette voix de femme, agréable, mais un peu inquiète.
Je suis encore penché en avant, le dos collé à ma moto, en train de tenter de la redresser*, mais la fin du mouvement se déroule mal, car si j'ai bien la poignée droite et le frein serré dans la main gauche, j'ai du mal à trouver une bonne prise pour l'autre main, à cause de la sacoche cavalière qui recouvre le cadre de la moto. 
Je sens bientôt l'engin de 230 kg qui finit de se redresser. La béquille latérale sortie, nous nous faisons face. Elle sourit lorsque je la remercie de son aide et que je lui dis que ces acrobaties ne sont plus de mon âge.
Faites comme moi, dit-elle, prenez une CB 500, c'est plus léger.
J'ai donc à faire à une motarde, ce qui explique son comportement altruiste.
Oui, mais une moto ce n'est pas fait que pour tomber :
Je sais, mais j'aime bien les 4 cylindres, et la Seven Fifty est une merveilleuse moto.

J'avais quitté la grande route pour visiter un hameau voisin, attiré par la petite église. Un bâtiment tout beau, qui venait sans doute de faire toilette, sur une placette claire et ensoleillée comme dans un pays du Sud (le petit hameau de la Cadière**) :




De retour au stop de la grande route, le guidon tourné à droite j'attends pour démarrer. Quand vient mon tour, les automatismes de mes mains se déclenchent pour un acte mille fois répété. Mais je ne devais pas être en première, et l'accélération n'est pas suffisante pour la dose d'embrayage que j'ai délivrée. Tout à la fois, la moto hoquète, cale et se couche (en douceur parce que je la retiens le plus possible). 

Je m'étais retrouvé à cheval au-dessus d'une masse inerte, illégitimement vautrée dans le gravier.

Pas de dégâts, à part quelques griffures. Ma gentille secouriste parle beaucoup, elle est plus émue que moi. Avant de partir vers sa voiture, elle m'inonde d'effluves de Mintos en s'inquiétant pour ma santé.

Je suis à deux pas du Vigan, où j'ai hâte de rejoindre la route qui mène au Col du Minier. Une ancienne course côte dans les années 60. Je n'ai que de bons souvenirs de cette épreuve magnifique de 20 km, qui me laissait essoufflé par le stress, et trempé jusqu'aux os par la transpiration. Mais dans un bonheur incommensurable, après un quart d'heure de glissades au ras des falaises et au bord des précipices, au volant de petits bolides à moteur arrière comme la Dauphine 1093 ou la berlinette Alpine.




La petite route déserte d’autrefois est aujourd’hui élargie et très fréquentée, et les frondaisons masquent les ravins d’antan. J’ai du mal à retrouver mes marques, mais certains virages me sont encore familiers, comme le dénommé « la cravate », interminable, dans lequel je n’avais pas osé passer la 4ème. Dans un déchainement de décibels, l’aiguille du compte-tours avait atteint 8300 tours, mais le 1300 Gordini avait bien résisté à cette maladresse. Un démontage plus tardif avait montré cependant que les soupapes étaient allées embrasser les pistons sur la tête...
Je sais que ce jour-là mon classement ne devait pas être trop mauvais, puisqu'il s’était traduit par un joli chèque glissé dans une coupe argentée…

Plus loin, la route vers les sommets est faite pour déchaîner les enthousiasmes et faire rugir les moteurs. De belles courbes qui invitent à l’abus, sinon à l’intempérance… Tout en restant dans un cadre très proche des vitesses autorisées.
Les prises extrêmes d’angle jouent le même rôle que les glissades en Alpine, et sollicitent nos surrénales pour un débit accru d’adrénaline.
Les reprises en sorties de virage n’ont rien à voir avec celles que nous accordaient parcimonieusement nos voitures d’antan. Ma moto, qui a 18 ans et 81000 km, accélère tout de même comme la meilleure des Porsche, et je ne sais pourquoi, j’ai toujours la manie de vouloir le vérifier… 



Après un salut au monde d'en-bas depuis l'observatoire du Mont Aigoual, je rejoins mes potes partis la veille, qui ne m'attendaient plus. À deux, ils occupent une chambre à 3 couchages (lits superposés).
Sur mon instigation, la jeune femme de l'auberge m'accompagne jusqu'à leur porte et leur demande :
— J'ai un client de dernière minute, accepteriez-vous de partager votre chambre avec lui?
— (Hésitation...)
L'un d'eux avance la tête et m'aperçoit :
— Ah, mais c'est lui!
On s'embrasse comme si on ne s'était plus vus depuis 10 ans, 
— Alors, raconte!
Je raconte que j'avais cru ne pas pouvoir me libérer au dernier moment, mais que tout s'est débloqué.

Ils me disent leurs petits plaisirs de la journée dans l'ombre des gorges et au soleil des crêtes, et pour l'un, les joies que lui procure sa nouvelle BMW 1200S Adventure, un monstre rutilant de technologie parfaitement maîtrisée.

Nous sommes dans l'un de nos spots favoris, l'auberge du Chanet, à Nivoliers, sur le Causse Méjean, loin de tout, dans un joli petit hameau. Le patron nous a accueilli avec une chaleur réservée aux vieux amis, et les repas seront à la hauteur de nos souvenirs, dans la salle-à-manger voûtée. Une toujours excellente adresse.

Nivoliers :



Contrairement aux prévisions, le temps a été parfait, et nous n'avons pas eu droit au feu de cheminée. Par contre une ambiance des plus animées, auberge et gîte complets jusqu'au dernier bas-flanc. Avec, le deuxième soir, deux douzaines de joyeux motards d'Angers, qui partiront en caravane, tard dans la nuit pour leur hôtel à Florac.



Le lendemain, nous allons zig-zaguer jusques aux landes de l'Aubrac. Je sais que nous croisons le chemin de Compostelle, aux abords de Nasbinal, lorsque je vois se détacher sur le ciel menaçant un couple de marcheurs aux grandes jambes, maigres silouhettes silencieuses, comme sorties de nulle part. 
Dans cet espace aride et désert, une photo aurait été fascinante, mais il m'est toujours impossible d'agresser de mon objectif des gens qui ne demandent rien, comme ceux-ci, que je n'avais aucun droit de déranger dans l'intimité de leur effort.

Un peu avant c'est l'image lointaine de deux pêcheurs, figés au bord d'un ruisseau paresseux qui serpente dans la prairie.



Nos errances nous mèneront de petites routes en toutes petites routes, certaines ne pouvant guère laisser passer un camion.
Mais que de beaux paysages!



Sur cette photo, prise de la main gauche, les 3 motos sont présentes...


 En route vers l'Aubrac et son ciel menaçant :



Juste pour faire l'original, je me paie une panne d'essence dans la montée d'un petit col, alors qu'il était décidé de s'arrêter au super-marché du village suivant.
Pas de problème, je passe sur la réserve.
Mais, surprise, le robinet est déjà en position "Réserve". Bien sûr, la moto ne démarre pas, même après avoir été secouée et penchée. Comme je m'étais arrêté un peu avant pour une photo, mes complices, déjà loin, ne peuvent pas être prévenus.

Je décide de faire demi-tour et de descendre en roue-libre au village où nous avons déjeuné. Une factrice dans sa Kangoo jaune m'assure qu'il y a une station-service juste en bas de côte, dans la rue transversale où je n’aurai à pousser la moto que sur une centaine de mètres. Ce qui se vérifie. Je m'attends verser dans le réservoir une quantité d'essence peu habituelle, 22 ou 23 litres. Mais surprise, à 16 litres le réservoir est à ras-bord!
Un mystère que je n'ai pas encore éclairci. Je sais que le robinet d'essence sur cette moto est une vraie usine à gaz. Il est possible que le passage de l’essence ne soit pas assuré si il était en position « Réserve » à l’avance.

Je reprends la route sans découvrir mes lièvres de copains, qui seront rejoints après plusieurs tentatives de contacts téléphoniques.

Pour le reste, je ne puis vous décrire les beautés que nous avait réservées la nature. Si vous voulez les connaître, il faut y aller, la France est si belle lorsqu'elle n'est pas trop habitée.
En ce moment, les fleurs jaillissent en prairies, en massifs et en buissons, et ajoutent à leur parfum les éclats de leur palette. Les falaises et les rochers qui ont vu la préhistoire, vous salueront au passage, les ruisseaux chanteront pour vous les légendes d’antan. En plus de leur convivialité, les aubergistes ajouteront à leur menu les conseils précieux pour les itinéraires à venir…
Et sur les routes blanches de la carte Michelin, vous ne verrez pas plus d’une auto toutes les 10 minutes. Un véritable mais bienvenu anachronisme.

Oui, allez-y ! N'attendez pas votre hiver comme moi...


*Pour les non-pratiquants, je dois préciser qu’une moto se redresse plus facilement si l’on lui tourne le dos et que l’on la pousse vers le haut avec les reins en dépliant les jambes, en utilisant ainsi la force des cuisses.
Cette technique exige cependant que la moto soit freinée, qu'elle ne glisse pas pendant le redressement, et que les deux mains trouvent une excellente prise. De frêles motardes parviennent ainsi à relever des motos de 300 kg.
(Photos D.C.O.)

**M'apercevant de mon erreur, je rectifie : le village s'appelle La Cadière de ..., et non Cabriès !