Un hommage des intellectuels
chinois à un chercheur français autodidacte...
Il y a plusieurs mois, je
promettais aux lecteurs de ce blog le récit de mes aventures… intellectuelles,
en Chine. J’attendais d’en faire part en premier lieu à mes collègues de la
société savante dont je suis membre.
Ce projet de communication
devant l’Académie du Var a avorté pour des raisons qui me sont étrangères, ce
qui me rapproche de mon clavier sans état d’âme, et me conduit à divulguer le
contenu de cette causerie, bizarrement rejetée par le comité de lecture.
Je suis persuadé que, parmi
mes collègues de là-bas, et parmi mes lecteurs d’ici, nombreux sont ceux qui
ont l’esprit suffisamment ouvert pour aller au-devant de nouvelles
connaissances, sans attendre l’aval de certains esprits… frileux.
Je vais donc vous dire aujourd’hui
quelques mots sur une science du ciel appelée tien wenn par les Chinois antiques, telle que l’a reconstituée
Jacques André Lavier. Je vous parlerai ensuite de
l’hommage qu’a réservé à ce personnage étonnant, une grande université de
médecine traditionnelle de Chine.
Ce qui constitue en soi un
événement culturel non dénué d’intérêt, ne serait-ce que par sa rareté.
1.-
Quelques mots sur cette science du ciel :
Les savants chinois de
l’antiquité n’eurent nul besoin d’une formation scientifique pour appréhender
les données de leur environnement, et les causes premières de la manifestation
qui les abritait.
Une simple observation leur
permit de constater la qualité du ciel comparativement au sol, et de se rendre
compte combien le premier était un incessant et puissant émetteur, à
destination d’un sol, inévitable et sensible récepteur.
Après avoir remarqué, comme
nous le fîmes en Occident, l’influence de la lune sur les océans, et celle du
soleil sur les rythmes biologiques, ils se demandèrent si, en plus des
variations climatiques, les jours, ou les saisons ne transmettaient pas aussi
des influx plus subtils, permettant, au printemps la renaissance de toutes choses,
puis la maturation de l’été, et ensuite, l’aboutissement des récoltes et la
préparation de la nature à la froide saison à venir.
Il leur semblait en effet
que le sol, lieu de vie de l’être humain, était l’objet et le réceptacle
d’incitations non seulement météorologiques temporelles et saisonnières mesurables, comme la température, le
degré hygrométrique, le vent ou la pluie, mais recevait aussi d’autres influx
qualitatifs et subtils, d’origine
spatiale.
Cette hypothèse n’est pas
incongrue pour qui a entendu, bien avant l’aube, dans la nuit encore noire, le
réveil des oiseaux, ou le chant du coq, sans parler de l’agitation naissante
dans les étables. Un message autre que quantitatif, autre que l’apparition des
premières lueurs du jour, leur a bien été envoyé, sans doute sur un mode
qualitatif…
Mais comme ce message n’est
pas mesurable par une méthode scientifique, ce phénomène n’a pas lieu d’être
étudié par nos “savants“, qui ne connaissent que ce qui répond à leurs critères.
Et si cette énergie supposée,
si elle vient du ciel, varie avec les saisons, c’est sans doute parce que le
ciel physique (astronomique) est continuellement changeant, et ne nous présente
pas les mêmes zones pendant un temps égal, d’une heure à l’autre, d’un bout de
l’année à l’autre. Nous savons tous que le ciel d’une soirée d’hiver n’est pas
le même que celui d’une nuit d’été, par exemple. Les étoiles présentes ne sont
pas les mêmes. Et les étoiles étant fixes par rapport à la voûte étoilée, ce
sont donc des zones différentes que nous voyons défiler, signalées par des
index reconnaissables : les étoiles.
Pourquoi ne pas s’intéresser
aux différentes zones du ciel, et les comparer aux effets induits sur les
composants de notre environnement? Pourquoi ne pas repérer les étoiles caractéristiques
de chaque saison, afin de mieux identifier les zones du ciel correspondantes,
et d’en reconnaître les effets d’une année sur l’autre?
Et si l’on admet qu’une
saison est à l’origine d’un type d’énergie particulier, le maximum de cette
énergie devrait être atteint lors de la pleine saison, c’est-à-dire au solstice
ou à l’équinoxe. Des périodes bien précises que les Chinois anciens
considéraient fort logiquement comme le milieu des saisons, des jalons répétés
chaque année, qu’il fallait identifier.
On comprend alors pourquoi,
il y a plusieurs milliers d’années, l’Empereur Yao décida d’envoyer des
astronomes dans les 4 provinces cardinales, au moment de ces jalons
saisonniers, en leur demandant de choisir une étoile facilement reconnaissable
qui se trouverait au méridien, à minuit, pendant la nuit du solstice ou de
l’équinoxe. Je rappelle que les étoiles étant fixes par rapport à la voûte
céleste, cette étoile servirait ensuite d’index pour désigner telle ou telle
partie du ciel.
Voici donc résumée la
première étape d’une réflexion qui allait mener à la création de cette science
chinoise du ciel, que Jacques André Lavier a appelée uranologie chinoise, pour la distinguer de l’astronomie déjà très
bien connue des proto-Chinois, ou de la peu sérieuse astrologie aux 12 animaux
symboliques, créée plus tardivement par les nomades.
La pensée taoïste, en
vigueur à l’époque proto-historique qui nous concerne, utilise le symbolisme
pour exprimer des notions pas toujours évidentes, et pour faciliter aussi
l’établissement de parallèles analogiques. Les deux principaux systèmes
symboliques étant le yin-yang et les
Cinq Eléments ; l’analogie en étant l’instrument.
Il était donc facile, par analogie de voir ce qui se passe, non plus en une année de 4 saisons, mais au durant un nycthémère, cette période de 24 heures comprenant
une journée et une nuit, au cours de laquelle le ciel fait un tour complet autour de la Terre (ou semble le faire).
Ce qui a permis d'identifier, dans la
voûte céleste “qui défile autour de nous“, 4 zones qui défilent en 6 heures environ chacune,
que l’analogie peut rapporter aux 4 Éléments chinois dits
périphériques, qui sont : le Bois, le Feu, le Métal et l’Eau. La
Terre, Élément de référence n’étant pas concernée ici (ou bien elle est
concernée toute l’année, ce qui revient au même).
Le rapprochement de ces 4 zones
célestes avec les Éléments chinois est d’autant plus facile que les saisons
sont déjà symboliquement rapportées aux Cinq Éléments :
- Le printemps au Bois :
dynamisme et pousse des végétaux ;
- L’été au Feu : canicule,
maturation ;
- L’automne au Métal :
récolte, début de l’endormissement de la nature ;
- Et l’hiver à l’Eau :
sidération dans l’immobilité hivernale.
Puisqu'il ne s'agit plus de l'année, mais du nycthémère, on trouvera une analogie avec les saisons dans la division du nycthémère en 4 périodes : matin (Bois), journée (Feu), soirée (Métal) et nuit (Eau).
Le raisonnement a dû se
poursuivre de la façon suivante : si ces 4 zones célestes bien spécifiques
existent et sont actives, elles doivent donc agir également quelques heures à
chaque nycthémère, lorsqu’elles passent dans notre firmament.
Prenons l’exemple de
l’étoile du printemps : lors d’un nycthémère de printemps, l’étoile
indiquant le printemps (Regulus) montera haut vers le zénith et restera
longtemps dans le ciel, alors que, au cours du même nycthémère, celle de
l’automne, 12 heures plus tard, n’y fera qu’un bref passage, au ras de
l’horizon. Et rappelons-nous que la zone céleste indiquée par Regulus est
toujours censée envoyer de l’énergie de type Bois-symbole, le Bois étant l’Élément
associé au printemps.
Fort de ces constats, les
savants proto-chinois considérèrent alors comme légitime d’imaginer l’existence
d’une résonance harmonique entre le ciel émetteur, et l’homme, lui-même partie
intégrante de la manifestation, et l’un des “récepteurs“ terrestres obligés.
Les fonctions biologiques de
l’être humain étant réparties elles aussi selon les Cinq Éléments symboliques (analogie), il devenait
évident de considérer que ces influx subtils, de même nature, provenant du
ciel, pouvaient avoir des effets sur la physiologie de l’homme.
Un corollaire de cette
conclusion est du domaine de la thérapeutique, et peut s’exprimer ainsi : en cas d‘atteinte pathologique, le médecin
chinois traitera l’Élément malade en tenant compte de la position dans le ciel
de la zone énergétique correspondante, elle-même signalée par l’astre de la
saison. Il faudra donc donner le soin:
- pendant
la croissance de l’astre vers le méridien si l’Élément présente une carence
(pour bénéficier d’un apport supplémentaire d’énergie, un peu comme dans le mouvement d'une marée montante),
- ou
au contraire, pratiquer le soin pendant sa décroissance ou en son absence, si
l’Élément est en excès (pour aider à diminuer la quantité d'énergie morbide, marée descendante).
Je ne suis pas certain que
les Sages chinois de l’antiquité aient raisonné de cette façon schématique,
mais c’était pour moi une façon simple de vous faire aisément comprendre les
principes de base de la thérapeutique uranologique chinoise.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette science, dont seuls les premiers
éléments semblent simples…
Je n’ai parlé ici,
volontairement, que des étoiles. En réalité l’uranologie chinoise compose aussi
avec les 5 planètes qui étaient visibles
à l’œil nu pour les proto-Chinois (Jupiter, Mars, Saturne, Vénus, Mercure),
et avec nos deux luminaires, le soleil et la lune.
2.- L’uranologie de
retour à la maison
Après ce petit tour d’horizon
sur les principes de l’uranologie chinoise, abordons maintenant la seconde
partie de mon exposé, qui concerne les rapports du chercheur chinois
d’aujourd’hui avec cette science antique.
Ce n’est plus tout à fait votre
cas maintenant, mais, que les occidentaux du XXIè siècle ne connaissent rien de
l’uranologie chinoise antique, est un fait banal et, ma foi, bien normal.
A l’opposé, nous, les élèves
de Jacques André Lavier, avons été très étonnés de constater que les
enseignants de la médecine traditionnelle chinoise des plus prestigieuses
universités chinoises, non seulement avaient d’énormes lacunes dans le domaine
de la médecine traditionnelle chinoise en général, mais ignoraient tout de
cette science du ciel, en particulier. L’entropie dans la transmission de
l’information, et certains événements politiques ayant eu raison d’elle, comme
de beaucoup d’autres notions traditionnelles qui furent volontairement et
drastiquement occultées par une certaine politique totalitaire.
Aujourd’hui, alors que la
Chine cherche sa voie et sa place dans un monde nouveau pour elle, on mesure la
volonté des universitaires de ce pays de rechercher les jalons perdus de leurs
sciences antiques, auxquelles ils attachent une importance intellectuelle,
affective, et peut-être économique. (Ils ne négligent pas pour autant la formation
universitaire classique des praticiens de la santé, comme partout dans le
monde).
Ils se sont déjà intéressés
à certains documents qui avaient été sauvés et abrités par des réfugiés partis
pour Taïwan, ce petit bout de Chine échappé au communisme, et resté lié de ce
fait à une certaine tradition, mais il semble que ces données aient été mal
utilisées et déformées.
Ils connaissaient aussi les
travaux de certains occidentaux, qu’ils ont traduits en chinois pour l’occasion
(on imagine l’accumulation des erreurs lors de ces traductions successives !),
et s’y intéressèrent de plus près au cours d’un premier forum consacré à un
vulgarisateur très approximatif de l’acupuncture chinoise, mais cependant célèbre
en Occident, qui, au siècle dernier, faisait partie du corps diplomatique
français en Chine et se passionna pour la technique des aiguilles (Soulier de
Morant). La plupart des acupuncteurs occidentaux d’aujourd’hui se sont fiés à
ces écrits, dont les travaux de Jacques André Lavier ont montré les énormes insuffisances
et les erreurs nombreuses.
Puis, l’animateur de ce
mouvement, le professeur Hor Ting, nanti d’un diplôme français d’anthropologie
et de sociologie, et proche de l’enseignement de la médecine traditionnelle
chinoise en Chine, eut vent des travaux de Jacques André Lavier. Il rencontra
sa fille, et mit avec elle sur pied, en juin 2014, le second forum de médecine traditionnelle chinoise
occidentale à Kunming (Yunnan), ville de 6 millions d’habitants, comptant
plus d’une douzaine d’universités.
Les élèves de Jacques André
Lavier, dont je suis, acceptèrent d’animer ce forum, et de venir y parler de ce
qu’ils avaient retenu de l’enseignement du patron.
C’était surtout pour eux une
façon de rendre hommage à l’inventeur
(au sens archéologique du terme) de la médecine traditionnelle chinoise, à cet
homme exceptionnel, lisant le chinois à 10 ans, qui avait consacré sa vie entière à un travail d’une
qualité et d’une ampleur uniques au monde.
Et c’est parce que j’étais
l’auteur d’un ouvrage concernant l’uranologie, que l’histoire m’a désigné pour
être, auprès des chercheurs chinois, le rapporteur en la matière.
Mon exposé ouvrit la séance
du dimanche matin. Complétant le dossier envoyé auparavant, déjà traduit en
chinois et connu des auditeurs, il ne devait durer que 15 minutes un peu
protocolaires, suivies de 10 minutes pour les questions éventuelles. L’intérêt
de l’auditoire (composé de chercheurs, de professeurs et d’étudiants chinois),
fut tel que je suis resté au pupitre pendant plus d’une heure, alors que les
discussions et leurs traductions fusaient. Lorsque j’eus rejoint ma place, le
professeur Hor Ting est descendu me serrer la main pour me remercier.
En conclusion, voyons
quelques images de cet événement inhabituel, au cours duquel quelques
Occidentaux passionnés et étonnés, révèlent aux intellectuels chinois,
attentifs et reconnaissants, une partie de leurs connaissances perdues.
Au cours de la séance de
clôture, il a été décidé par les représentants de l’enseignement universitaire
chinois d’ouvrir officiellement un programme de recherche anthropologique sur
la médecine traditionnelle chinoise telle qu’elle est pratiquée en Occident par
l’École Lavier.
Juin 2015 : Ce programme de recherches est officiellement ouvert depuis quelques semaines et englobe les structures d'enseignement et de recherche créées par Jacques André Lavier, et toujours en activité.
Pour terminer sur une note
amusante, je dois vous confier qu’après avoir vécu ces moments rares, lorsque
nous avons rencontré dans les rues de Kunming, des Français qui nous ont dit
être venus en Chine pour apprendre la médecine traditionnelle chinoise, nous
n’avons pas pu nous empêcher d’éclater de rire, un peu cruellement.
Cet article
était surtout destiné à rendre hommage à ce personnage hors du commun, mon
regretté ami Jacques André Lavier, qui sera bientôt plus connu en Chine que
dans son propre pays.
Pour ceux qui seraient
intéressés par un complément d’information sur cette étonnante science antique,
je signale l'existence de mon livre « Les
Ciels de l’Homme » . Le sujet,
largement inspiré des travaux de Jacques André Lavier, replace l’uranologie
dans le contexte de la médecine chinoise traditionnelle, et est suivi d’une
courte réflexion personnelle sur l’inévitable dichotomie de l’espace (une particularité spatiale inédite que je découvre en me référant au mode de pensée taoïste).
Une nouvelle édition est en cours de rédaction, et sera disponible à l'automne*.
(Photos D.C.O)
*Édition disponible ici - 30 € fdp inclus - Contact par "Commentaires" ci-dessous.