le blogadoch2

le blogadoch2

vendredi 3 novembre 2017

Quand j’étais petit, le pain d’épices était meilleur…


Juger de la confiance à accorder à notre mémoire gustative fait partie de ces challenges mille fois répétés dans les conversations sur la qualité de la vie passée comparée à celle d’aujourd’hui. Comme s’il y avait plusieurs vies pour chacun de nous, comme si nous étions capables d’être à la fois juge et prévenu…


Il y a de multiples façons de commenter la vie, de la jauger, de la proposer, de la regretter. Qu’elle le soit par monsieur Toulemonde, le psychiatre Machin, le philosophe Dupont, le journaliste Durand, le politicien Truc. Chacun d’eux, chacun de nous, à sa façon, en donnera une image différente, plus ou moins acceptable pour l’autre.

L’homme de la rue (les féministes ne m’en voudront pas de ne pas utiliser conjointement l’expression “la femme de la rue“, trop spécifique des bas-quartiers à mes yeux), parlera le plus souvent en termes d’affectivité, et nous dira ce qu’il a ressenti. 
Les autres utiliseront leur bagage scolaire ou universitaire pour décider de ce qu’il faut retenir d’important de la période que nous avons consacrée jusque là à respirer l’oxygène cosmique. Ils utiliseront le vocabulaire qui leur est familier, les raisonnements de leur logique, et citeront les a priori transmis par leurs maîtres, pour montrer tout ce qu’ils ont retenu de leur grande culture. Ils impressionneront un auditoire assez vaste, celui qui n’a pas réalisé que la culture n’est qu’une formation, et qu’elle est à la portée de tous ceux qui acceptent d’être formatés. 
Mais qu’ils soient intelligents ou stupides, ils resteront dans le même état en sortant de leurs chères études.

Quelqu’un a dit : “L’avis d’un crétin célèbre deviendra un avis célèbre, mais restera l’avis d’un crétin“. 


Cependant, comme vous le savez, en chacun de nous existe une petite voix qui sait la vérité, et qu’il est bon d’écouter parfois, faute de pouvoir l’interrompre. Pour ma part, j’avoue que j’y suis resté sourd pendant très longtemps, allant même jusqu’à ne pas me douter de son existence pendant de longues années.

Mystère du vieillissement, ou principe de précaution, c’est depuis que je suis entré dans mon hiver temporel, que je l’entends le plus distinctement. Elle “parle“ sans arrêt, cette petite voix, et parle encore. De tout, de rien. Elle préfère les extraits de pensées informels à la rigueur d’une idée construite. Elle adore le coq-à-l’âne, et saute les périodes comme elle franchit les espaces : à la vitesse de l’éclair. Elle va de droite à gauche et confond toute logique. Mais comment lui reprocher ce manque de précision lorsqu’on apprécie la liberté et l’informel dans tout ce qui est du domaine de l’esprit ?

En effet, par opposition, la succession des jours nous a appris comment gérer notre soma pour qu’il nous serve le plus longtemps possible sans trop se plaindre, sans trop nous pénaliser par des dysfonctionnements que certains appellent des symptômes, ou même des maladies. 
Quelqu’un écrivait (la petite voix ne me dit ni où ni quand), qu’à partir de 30 ans, toute personne normalement constituée devrait avoir trouvé un mode d’alimentation et de comportement corporel qui ne lui soit pas néfaste. C’est ainsi que nous devrions avoir appris à régler nos manières de nous alimenter, de faire de l’exercice, de travailler, ou de prendre du repos. Dans ce domaine, il vaut mieux éviter la fantaisie. Notre organisme n’aime pas.

Par contre, pour connaître la sérénité et… le plaisir de la compagnie de la petite voix, par exemple, il n’existe rien de mieux que d’habituer son esprit à une activité autarcique, indépendante de la société et de ses dictats, et de lui suggérer un fonctionnement totalement informel. ­


La petite voix parle pour moi, et ce qu’elle me dit, est différent de ce que disent les petites voix personnelles de mes voisins. La mienne est spéciale, car elle appartient à l’être unique que je suis. Elle n’arrête pas de dire des mots et des phrases, d’exprimer des pensées et des jugements, des interrogations et des doutes, des espoirs et des regrets. Malheureusement, avec le temps qui passe, dans son monologue, les remords et les regrets occupent plus de place que les espoirs et les projets.

Je crois bien qu’elle ne s’arrête pas de fonctionner lorsque je dors ! Je me demande si elle ne se transforme pas, dès le sommeil venu, en aliment-pour-rêves. Il y a bien des aliments-pour-chats, ou -pour-chiens. Alors, elle abandonne la VO et assure la post-synchronisation pour les personnages de mes rêves, ou de mes cauchemars. Au petit matin, dans le flou du demi-réveil, elle reprendra peu à peu ses habitudes, avec quelques dérapages bien compréhensibles.

Elle picore des idées par-ci, par-là, dans hier et dans avant-hier, et peut-être même dans ce que sera demain. Mais il y beaucoup plus d’hiers que de demains, des hiers qu’elle se plaît à faire revenir au jour, alors que je les croyais disparus.

N’étaient-ils pas bel et bien morts, ces degrés du passé ? Morts comme le petit enfant que j’ai été, mort comme l’adolescent, mort comme l’adulte devenu, dont aucun des deux premiers n’avaient imaginé l’image précise ?

Qu’importe, les voici qui revivent sur l’écran blanc de la page électronique, sous la dictée de la petite voix, parés de toutes les caractéristiques du merveilleux. Elle parle d’autrefois, voyons ce qu’elle dit…


Par bonheur, l’enfance simple qui fut la mienne, s’est déroulée par beau temps, et ne m’a pas laissé de souvenirs douloureux. La petite voix papillonne parmi ces anciens jours de soleil, au goût de miel. Elle me promène, depuis les étreintes consolantes de ma mère, jusqu’aux bras de mon père, qui me hissait avec aisance tout en haut, près de sa tête, où je me retrouvais, aussi “grand“ que lui, assis sur l’étagère solide de son coude replié.

Ah, tiens, maintenant elle parle de vélo ? Oui, bien sûr, le vélo neuf, en récompense de mes réussites scolaires. Un vélo à la peinture rouge métallisée, avec le guidon de course tout chromé, des jantes rutilantes et des pneus à l’odeur entêtante. Avec 4 vitesses ! Un vélo neuf ! Mon père plus heureux que moi, ce qui est difficile à imaginer. Pour tous, du bonheur en fer, peinture et caoutchouc, mais du bonheur avec un grand B, grand comme une lettrine… Un vélo qui se trouve encore à deux pas, dans mon garage, vieux de 70 ans.

Le beau vélo tenu de ma main tremblante, devant la Chenard et Walcker familiale, en attendant qu’on puisse le glisser à l’arrière, papillons de roues démontés.


Nous quittons le magasin du “cycliste“, avec ses vélos pendus au plafond par la roue avant. Traversons la ville, encore étonnante pour un enfant de la campagne, à cause de la rumeur diverse qu’elle émet. Les grincements du tram dans le virage, sa cloche manipulée d’une semelle impatiente par le wattman. Wattman ! Quel mot bizarre! Aussi drôle aujourd’hui qu’étonnant à l’époque.

Les bruits des sabots des chevaux attelés aux charrettes de livraison, les chocs métalliques de leurs roues ferrées sur les pavés, et les cris de leurs auriges affairés. Sur la grande place, nous passons devant les brasseries d’où s’échappent des odeurs d’anis et de fraise (ou bien est-ce un effet de mon imagination ?). 
Ces grands cafés, rutilants de porcelaines et d’azulejos, aux tables bordées de chrome parmi les fauteuils de rotin vernis de toutes les couleurs. L’un de ces établissements disposait d’un petit orchestre fort apprécié par le chaland. Pas égoïstes pour deux sous, les musiciens jouaient “forte“, afin que le plus grand nombre profite de leurs flonflons entraînants. Parfois, nous étions de ceux qui se prélassaient dans les beaux fauteuils, et avions le rare plaisir de siroter une grenadine, aussi belle à voir dans le grand verre, que douce à déguster avec lenteur, pour la faire durer. Le père, lui, s’offrait un “bock“ glacé, une gâterie dont il était privé dans le bled.


C’est vrai que les découvertes se succédaient, et nos yeux d’enfants ne semblaient pas avoir assez de place pour emmagasiner toutes les choses nouvelles qui entraient dans notre monde, pour le construire. 
Certains assurent que l’accumulation de nos découvertes enfantines était si importante qu’elle donnait à la journée une dimension exceptionnelle, la remplissant tellement qu’elle paraissait très longue à nos yeux neufs. Des journées de cette qualité, longues d’expériences nouvelles, faisaient ralentir le temps. Puis, les années passant, et devenant de plus en plus avares en informations inédites, l’adolescent et l’adulte, de plus en plus “avertis“, constateront que le temps ne fait que s’accélérer. Jusqu’à la vitesse supersonique qu’il acquiert aux yeux des vieillards blasés, dont je suis aujourd’hui. 


Mais, se demande la petite voix en repensant au titre, pourquoi, en dehors de tout ça, durant l’enfance, les choses étaient-elles plus belles, les aliments meilleurs et les boissons plus douces ? Pourtant, parmi les leçons de la vie, nous connaissions le triste, et le pas-bon : le chagrin lors de la mort d’un proche, et dans le registre du goût, l’acidité du citron, l’amertume de la peau d’orange, ou celle, terrible, des fines membranes qui se collent aux graines de rubis de la grenade.

Pourquoi la pâte de fromage en portions triangulaires, dont la boîte était illustrée d’une vache joyeuse, était-il aussi bon que le meilleur des Comtés, ou le plus fameux Emmental d’aujourd’hui ? Pourquoi le jaune de l’œuf a-t-il perdu son goût d’amande, et le beurre sa saveur de noisette ?


Et pourquoi le pain d’épices était-il tellement meilleur ?