Pour montrer que je sais être sérieux de temps à autre, pourquoi ne pas aborder aujourd'hui un sujet peu commun : celui de l'origine du chemin de Compostelle.
Beaucoup, sinon tous, considèrent qu'il a toujours été une démarche religieuse, un pèlerinage de croyant, accompagné de souffrances, de difficultés et autres avanies. Comme si la pénitence était le prix à payer pour tenter de se laver de ses péchés, de se sentir régénéré.
Dans la thèse exposée ici, des éléments intéressants laissent penser qu'à l'origine, il en a été tout autrement. Elle expose une hypothèse, celle de...
... l'origine païenne du voyage à Compostelle
"Et d'abord, je
dois te dire que ce chemin de saint Jacques
est aujourd'hui une
tromperie!"
Ainsi s'exprime l'écrivain
bourguignon Henri Vincenot, dans son livre “Les étoiles de Compostelle“. Nous
verrons si cela est exact. Cette citation venant d’un romancier, laisse
présager que mon discours ne recherche pas la caution de l’historiographie
officielle.
Qu'il s'agisse du lieu
particulier de la destination, de son ancienneté, du choix du chemin pour y
accéder, de sa difficulté, des motivations personnelles des voyageurs, nombre
d'éléments intéressants sont liés au voyage vers Santiago. Mais c’est son
origine qui réserve le plus de mystères. Aussi, après Jacques André Lavier,
passionné autant par l’histoire de la civilisation que par celle de la médecine
chinoise, et grâce à ses travaux, il nous est possible, depuis les années 70,
de concevoir l'hypothèse, qu'à son origine, le voyage vers Compostelle n'avait
rien de religieux. Quelques années plus tard, l'écrivain Henri Vincenot allait
développer une thèse identique dans l’ouvrage cité plus haut.
Les premiers dévots prirent
la route de Compostelle aux environs des IXème ou Xème siècles. Les conditions
dans lesquelles se déroulait alors le voyage sont bien connues : la
fatigue, le froid, la faim, les attaques des animaux sauvages et celles des
bandits, la maladie et quelquefois la mort, étaient les compagnes habituelles
des voyageurs, plus pénitents que pèlerins. Et le voyage, à pied, est fort long...
Mais leur motivation était si
forte que peu abandonnaient en route, et la plupart revenaient, lavés de leurs
péchés, mûris par l'épreuve et miraculeusement enrichis par leur rencontre avec
le Sacré, et avec eux-mêmes.
Mais étaient-ils les premiers
hommes à emprunter ce chemin?
La légende
Nous savons que le pèlerinage
de Compostelle est fondé sur une légende établie autour de la dépouille de
Jacques, dit le Majeur. L'apôtre Jacques avait été exécuté vers l'an 44, à
Jérusalem par le gouverneur Hérode dans le cadre de la lutte contre le
christianisme naissant. L’histoire dit que son corps fut alors rapatrié en
Espagne, où l'apôtre avait tenté de faire œuvre d'évangélisation, quelques
années plus tôt.
La légende, plus romantique
mais beaucoup moins réaliste, raconte par contre, que son corps décapité se
retrouva dans une embarcation sans gouvernail, qui dériva depuis le
Moyen-Orient jusqu'à Padroñ, près du cap espagnol Finisterra, cet endroit rude
et mystérieux de la Corogne. La dépouille du saint est alors transportée dans
l'arrière-pays, pour être inhumée sur le plateau granitique, en un lieu qui
s'appellera plus tard campus stella, le camp de l'étoile, expression que
certains donnent pour l'origine du mot Compostella.
Le pèlerinage commença après
qu'un moine bénédictin, nommé Pélayo découvrit ce que l'on prétendit être son
cercueil, au IXè siècle.
Voilà pour les thèses
généralement adoptées. Mais certains éléments permettent de penser que le
voyage en Galice existait déjà sous une autre forme, et avec d'autres
motivations, et qu'il date de la proto-histoire et non des temps
post-bibliques.
« Qu’il y ait eu en Galice un pèlerinage dès l’époque mégalithique
(…), nous en sommes persuadés »,
dit de Gouvenain (in Atlantis n° 279).
L'histoire et la Tradition
Reportons-nous par la pensée
quelques milliers d’années en arrière. Une civilisation pré-celtique semble
avoir existé depuis l’an –2000 approximativement. Elle s’est développée non
seulement en Bretagne, mais aussi dans d'autres endroits comme le Pays de
Galles, la Cornouailles, le sud de l'Irlande, ou la Galice. Ce peuple
pré-celtique (ou celte), auquel il est de coutume d'attribuer un degré de culture
relativement avancé, se trouve ainsi mêlé aux habitants de ce qui deviendra la
Gaule, pour ce qui est de notre pays.
On peut se demander pourquoi
il est concentré dans ces cinq zones maritimes? Ces régions sont
semblables géographiquement (ce sont des avancées terrestres dans la mer),
semblables géologiquement (elles sont constituées principalement de granit).
Elles sont le lieu de la même activité spirituelle : le druidisme. On ne
peut s'empêcher de remarquer également, qu'on y joue du biniou ou de son clone,
la cornemuse.
Ces gens semblables, en
ces cinq endroits comparables, auraient-ils une origine commune? Cette origine
est-elle la conséquence d'un même événement?
Il n'est pas interdit
d'imaginer qu’un peuple, installé soit dans une contrée septentrionale, comme
la mythique Borée, soit plus occidentale, comme la mystérieuse Atlantide de la
légende, ait été victime d'une catastrophe d'importance planétaire… Et une
catastrophe de cette importance peut persister dans la mémoire collective sous
le nom de déluge, par exemple.
Les cinq péninsules
granitiques
Les embarcations des
survivants finissent par accoster en des endroits rocheux, particulièrement
solides, semblant à l'abri des aléas géophysiques : les cinq péninsules
précitées.
L'arrivée par la mer de
rescapés de cette catastrophe "universelle", a donné lieu, ici et
dans d’autres parties du Monde, à des récits légendaires faisant état d'un
débarquement, et donnant une grande importance au rôle de la barque, comme l'a
fait l'arche de Noé dans notre civilisation :
- en Inde, il existe un Noé
qui s'appelle Ranou;
- en Chine, il est nommé Pan
Kou;
- dans l'Atlas, il existerait
une légende parlant d’un débarquement;
- chez les Mayas, on cite des
faits semblables.
Ces multiples Noé seraient
donc les noms symboliques des peuples rescapés d’une même catastrophe, inscrite
dans les annales de la tradition universelle. Ils sont amenés à s'intégrer aux
populations autochtones, qui peuvent être moins évoluées. En Europe, ce sont
eux qui dresseront les mégalithes, en ces endroits qu'ils vénèrent pour la
sécurité qu'ils y ont trouvée, pour pérenniser des rites en rapport avec la
science de leurs grands anciens. Ces lieux “de qualité“ seront bientôt le but
de voyages initiatiques païens. Comme le dira Vincenot, ces premiers pèlerins "allaient recueillir l'héritage…
l'héritage des Grands Hommes venus de la mer!…" (H. Vincenot in Les étoiles de Compostelle).
Les Celtes, peuple de ces péninsules
Nous dirons que ces
arrivants, ces grands hommes venus de la mer, étaient les fondateurs de la
civilisation celte. Encore proches de la tradition primordiale, ils savaient la
nature des liens qui les liaient au cosmos. Ils se considéraient comme les
éléments constitutifs d'un monde parfaitement ordonné, qui leur permettait de
donner un sens au sacré, et où ils trouvaient à la fois la raison de leur
existence et, bien sûr, l'espérance de leur salut, dans une finitude utile au
sein de Mère Nature. Une conception qui fut encore défendue bien plus tard par
les stoïciens.
Le ciel leur enverrait
toujours des influx qui guideraient leurs activités et leurs pensées. Ces
incitations, parce qu'elles venaient d'un milieu échappant à leur emprise, à
leur volonté et à leur mesure, leur paraissaient puissantes, nobles et bonnes.
Pour eux, ce Ciel qu’ils craignaient et respectaient était l'image du sublime,
de la perfection, du divin. Pour y trouver leur place, et assurer leur salut,
ils devaient vivre en harmonie avec lui.
De là, une
"adoration" qui rend plausible la création d'un prestigieux voyage
initiatique, vers un lieu particulier, sur un itinéraire qui — pour être en
harmonie avec lui — aurait la particularité de représenter au sol un ou des
éléments les plus spectaculaires du ciel astronomique. C'est la Voie lactée qui
fut choisie, elle qui trace son chemin lumineux dans les nues, jusqu'à la Croix
du Sud.
Les savants celtes — et, plus
particulièrement ceux de Bretagne comme nous le verrons — n'avaient plus qu'à
élire dans leurs provinces, une région qui se prêtât géographiquement à cette
réplique. On peut imaginer qu'une fois trouvé l'endroit, la mise en
correspondance harmonique fut chose aisée, car leurs connaissances
astronomiques étaient apparemment fort étendues. Pour preuve l’agencement des
constructions mégalithiques datant de cette période, comme les alignements de
pierres en Bretagne ou les arrangements circulaires de Avebury ou de Stonehenge
en Angleterre, qui ne trouvent d'explication qu'en tant que représentations de
positions sidérales particulières, ou de phénomènes astronomiques importants.
Oui, le chemin de Compostelle est bien une image de
la Voie lactée!
Quitte à utiliser un poncif,
nous dirons qu'il semble bien qu'ici, le chemin soit plus important que la
destination géographique finale, que nous ne connaissons pas. Ce voyage
initiatique païen devait certainement se prolonger jusqu'à l'océan, jusqu'au
bout du monde connu, car il n’avait aucune raison de s’arrêter avant.
La partie de la route la plus
importante d'un point de vue traditionnel, symbolique, analogique, commence aux
Pyrénées : elle portera plus tard le nom de camino frances. Pour ce qui est des
voies d’approche du chemin vers Compostelle, l'itinéraire le plus court ou le
plus commode sera utilisé.
Les chemins de
Compostelle
C’est la partie en rouge sur
la carte, qui est à l'image de la Voie lactée. La légende dit que Charlemagne a
fait le voyage, en suivant la Voie lactée, jusqu'au tombeau du saint. Et chacun
d'entre nous a entendu parler du "chemin des étoiles", autre nom de
la Voie lactée.
C'est à partir d'ici que les
créateurs païens du Chemin, ont utilisé une symbolique analogique, pour que le
sol se qualifie, devienne sacré, par la grâce de l’harmonie ainsi créée.
Il existe en effet des
correspondances notables entre le chemin au sol et celui de la Voie lactée :
1.- Un examen grossier de la
Voie lactée, particulièrement à son "début", montre qu'elle est
constituée d’une multitude d’étoiles, appartenant à plusieurs constellations.
En métaphysique, toute multiplicité rappelle celle qui règne au bas de la
pyramide, lieu de la quantité, du chaos, dans une totale opposition avec la
super-qualification attribuée à l’Unité principielle située dans le pyramidion.
Au sol, cette multiplicité se
retrouve concrètement : elle est représentée par les nombreuses routes banales
qui convergent, en provenance de France et d'ailleurs, vers le début du camino.
Ces voies d'approche
n'entrent pas dans le système analogique Ciel-Sol mis en place.
2.- Plus loin, en avançant et
en affinant l’observation de la Voie lactée, on s'aperçoit qu'elle est comme
divisée en deux parties contenant les constellations de l'Aigle et du Cygne.
Au sol, par analogie,
figurent deux itinéraires convergents : l'un, qui correspond à la constellation
de l'Aigle, et qui passe par le col de Roncevaux, et l'autre, que l'on peut
rapporter à celle du Cygne, qui emprunte le col de Somport.
Il existe d'ailleurs une
analogie toponymique en la dénomination d’une cité de la région : elle se
nomme Oca (qui veut dire l'oie, un palmipède comme le cygne). De la même façon,
le nom de la proche vallée de Anso vient du latin anser qui signifie oie.
3.- La Voie lactée voit ses
deux branches Aigle et Cygne se rejoindre aux environs de l'étoile Deneb. Sur
le terrain, les voies se réunissent aujourd’hui à l'agglomération de Puenta la
Reina, et se rejoignaient sans doute autrefois dans une autre ville proche, qui
fut une étape très importante : Estella, qui veut dire Étoile.
4.- La Voie lactée continue
avec la constellation de Cassiopée, autre nom de la druidesse Iria (qui
rappelle le nom de la ville Iria Flavia, une ville de Galice qui fut importante
avant la naissance de la ville de Compostelle).
Les constellations suivantes
semblent se rapporter analogiquement à d’autres villes du parcours : Persée,
dit "le libérateur" à Burgos, Capella à la ville de Leon, les Gémeaux
à Villafranca, la constellation du Taureau à Lugo (d’ailleurs le nom Lugo est à
rapprocher du personnage celte Lug).
À Santiago, correspond la
constellation d'Orion qui fait allusion à un personnage armé, remarquable par
son fameux baudrier. Serait-ce ce guerrier mythique qui sera choisi par les
chrétiens du temps de la Reconquista, pour symboliser Saint Jacques dans son
avatar de "tueur de Maures" : le Santiago Matamoros ?
Pour les dévots, le voyage
s'arrête à Santiago de Compostelle, mais pour le spéculatif en quête
d'initiation, il continue matériellement jusqu'à l'océan. Mais au-delà de cette
limite imposée par la nature, la Voie lactée elle, se continue par la
constellation du Grand chien qui comprend Sirius, la plus brillante des étoiles
du ciel, puis, sous l'horizon, elle se prolonge jusqu'à la Croix du Sud, étoile
certainement englobée dans le système analogique que nous venons de décrire,
car elle était visible de l'hémisphère nord, il y a plusieurs milliers
d'années, à l'époque où se situe vraisemblablement la création de ce
cheminement.
Il existe bien des liens entre Bretagne et Galice
Il semble donc bien que
l'instauration de ce chemin initiatique soit l'œuvre des Celtes, et comme nous
l’avons suggéré, particulièrement des Celtes de Bretagne. En effet, on trouve
de nombreuses similitudes sémantiques entre des noms de lieux bretons et
galiciens. Par exemple :
1.- À l'entrée de la Galice,
le Camino passe par la ville de Piedrafitta. Piedrafitta pourrait se dire pierre
fichée verticalement, c’est une sorte de poteau de signalisation, qu'en France
on appelle men hir ou pierre longue, ou encore peyre fitte. Il y en a une à Dol
de Bretagne, à la limite entre la Normandie et la Bretagne. À Piedrafitta, il
devait certainement y en avoir une aussi.
2.- Autres ressemblances
entre des dénominations de lieux :
- Finistère, région extrême
de la Bretagne est le même mot que le cap Finisterra, tout proche;
- la dénomination de la ville
de Leon en Espagne rappelle celle du Pays de Léon en Bretagne, ou des monts
Leonnoy en Pays de Galles.
- Le Mont Aro en Espagne,
correspondrait aux monts d'Arrée en Bretagne.
- Noya en Espagne est le
pendant de Noyal, Noyal-Pontivy en Bretagne.
- Pontevedra est l'équivalent
de Pontivy.
- Muros, fait penser à
Mûr-de-Bretagne.
- Il existe une analogie
supplémentaire entre le cap Finisterra de Galice et la Bretagne: en effet, de
la même façon dans les deux endroits, des restes de connaissance, issus de la
tradition celtique, rappellent que cette avancée du rivage occidental est la
fin du Monde, la fin de la Terre, et que l'océan abrite ici la barque du
passeur qui va emmener les morts vers l'autre monde. Et ce lieu porte le même
nom dans les deux endroits : Finistère ou cap Finisterra…
3.- Dans ces péninsules de
même culture celtique, d'autres coutumes sont semblables, comme l'érection des
mégalithes.
- En Bretagne,
on trouve des milliers de pierres levées ;
- En Galice, il y en a,
mais peu, et elles sont de petite taille (76 dolmens) : peut-être faut-il
penser que cette petitesse méridionale a été voulue, pour faire opposition au
gigantisme des mégalithes du Nord (en particulier ceux du Sud de l'Irlande).
En conclusion, l'hypothèse d’une origine païenne pour l'aventure galicienne, semble
acceptable, et elle n'enlève rien aux religieux qui ont su restaurer le
pèlerinage pour l'adapter aux sensibilités spirituelles de l'époque. Il faut
savoir que les thèses issues de la grande Tradition, construites autour de
l'autorité et de la perfection du cosmos, avaient, depuis pas mal de temps,
cédé la place à une nouvelle conception du salut, adoptée avec enthousiasme,
autour d’un Dieu plus proche de l'homme, un Dieu anthropomorphe, bienveillant et
protecteur : le christianisme.
Quoi qu'il en soit, pour qui
se préoccupe d'élargir le cadre de ses réflexions, ou encore de satisfaire son
libre arbitre, le côté originel, païen, métaphysique, du voyage vers Compostelle,
avec son lourd contenu symbolique, ne doit pas être occulté, mais plutôt
considéré comme un complément spirituel non négligeable.
Et si, par bonheur, le
voyageur concerné parvient à se mettre en résonance à la fois avec le ciel
physique et avec ses répliques symboliques, il aura conscience de poser ses pas
sur un des chemins de la Connaissance, et saura qu'il est bon que la légende
n'ait pas été tout à fait perdue.
Bibliographie
- Jacques André LAVIER : causeries dans le cadre du GEROS (1976).
- Henri VINCENOT: Les étoiles de Compostelle - Denoël
éditeur (1982).
- de GOUVENAIN, in Atlantis ,n° 279.