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jeudi 21 novembre 2019

Être vieux, c'est quoi?

Être vieux, c’est quoi ? C’est comment ? C’est quand ?
Je me demande si quelqu’un a déjà tenté de répondre à ces questions toutes simples, mais dont les réponses risquent fort la complexité. Du haut de mes 31600 jours (et plus…), puisque vous le demandez gentiment, je vous communique volontiers ma pensée.

Pour un gamin de 10 ans, on est vieux à 40 ans. 
Pour les habitants de la France du Moyen-Âge, c’était vraiment le cas. On imagine mal les conséquences de cet état de fait : 
-       il fallait être indépendant et productif très tôt ;
-       il était normal de se marier à 20 ans, et de se dépêcher de procréer ;
-       les divorces étaient rares, car on n’avait pas eu le temps de se lasser des défauts de son partenaire ;
-       la maladie et la mort, visiteuses naturelles, ne déclenchaient pas un sentiment d’injustice, mais simplement le constat de la normalité ;
-       les rares vieillards de 60 ans et plus, avaient l’avantage et l’honneur d’être respectés comme des reliques du passé : un passé qui, selon la tendance populaire, procurerait l’autorité et la sagesse.

Remontons bien plus loin dans le temps, pour se pencher sur une époque tellement reculée qu’on ne sait comment la définir. Prenons les Chinois de la proto-histoire — cette période floue, plus facile à nommer qu’à dater. Dans des textes datant de plusieurs dizaines de siècles, ils racontent les propriétés fabuleuses de leurs grands ancêtres, qui vivaient des centaines d’années (comme notre Mathusalem?), et qui étaient dotés de qualités remarquables que nous avons même du mal à imaginer. On croit comprendre que pour eux, la télépathie remplaçait le téléphone, et la télé-transportation l’automobile. De quoi être jaloux ! 
Et vivre 900 ans permet quand même de faire pas mal de choses durant son existence ! Mais aussi, à bien y réfléchir, d’augmenter malheureusement la liste toujours ouverte des bêtises, donc celles aussi des remords et des regrets.

Ainsi, Monsieur le Temps, faisant comme bon lui semble, décide donc de nous faire vivre 900 ans ou 40, à sa guise, sans que nous ne puissions rien faire contre ses décisions ? Devons-nous nous estimer heureux de nous approcher aujourd’hui d’une durée d’un petit siècle dans le meilleur des cas ?

Allez ! Pour tenter de donner un sens à la formule "être vieux", remplaçons-la par le mot "vieillesse", ce sera peut-être plus simple. Mais finalement, définir la vieillesse, c’est aussi difficile que définir le temps : on sait ce que c’est, mais on ne peut pas dire ce que c’est. On pourrait signaler que c’est une période de la vie qui s’accompagne de phénomènes évidents mais progressifs comme : diminution, ralentissement, affaiblissement, atteintes morbides, pertes de mémoire… Et toutes ces sortes de choses à la négative connotation. Mais ce n’est pas là une définition à proprement parler.

Pour mieux connaître la vieillesse, il n’est peut-être pas nécessaire de s’attarder sur les déficiences somatiques ou intellectuelles, surtout les premières, que l’on devine difficiles à supporter pour quelqu’un de sportif ou simplement actif. Mais comme elles ont la délicatesse d’apparaître progressivement, on a la possibilité de s’y adapter. D’apprendre par exemple, à trouver les bons points d’appui dans un escalier aux marches étroites, ou la main de sécurité dans les bricolages en haut d’une échelle, comme sur un bateau.
Certaines faiblesses deviennent coûteuses et nous font entrer dans le monde matériel des prothèses. Je ne parle pas du téléphone, qui remplace la lecture de la pensée à distance, ou de l’ordinateur dont étaient peut-être naturellement dotés nos Super-Ancêtres, non tout simplement, de celles qui aident à voir, à entendre, et à mâcher pour certains.
Oui, en vieillissant on a moins de caprices mais plus de besoins. 

Nous parlions du siècle d’existence qui nous est accordé, dans le meilleur des cas…
Mais foin de ces chiffres! Avec le bon Saint-Exupéry, rappelons-nous que « nous qui connaissons la vie, nous nous moquons bien des nombres ! »
Entrons dans le champ de foire des "quoi" et des "comment", la qualité n’ayant pas sa place dans les dates : « Les dates importent peu, seuls les événements comptent », rajoute René Guénon.
Quittons donc le monde de la quantité, pour celui, aux reflets chatoyants, de la qualité… 

Et au lieu de lamentations sur la dégénérescence programmée dont nous parlions plus haut, pourquoi ne pas avancer d’autres formules plus constructives, comme : prises de conscience diverses, apparition d’une forme de sagesse, refus de ce qui est factice, développement de la richesse intérieure, intellectuelle, spirituelle, ou encore lucidité dans les rapports humains ? Pourquoi ne pas parler de la tranquillité qui découle de l’inanité de prouver au monde qu’on existe, ou de celle bien plus riche qui nous permet de concevoir clairement notre si naturel statut cosmique, en réponse à nos questions existentielles habituelles ?

Par contre, l’acquisition progressive de cette forme de philosophie personnelle s’accompagne, semble-t-il, d‘une remise en ordre dans les priorités : on préfèrera choisir un casse-croûte entre copains, arrosé d’un petit vin du pays, plutôt qu’une mondaine réception auprès d’une société artificielle et guindée dans sa recherche de respectabilité. On préfèrera l’inutile au pragmatique, le futile au sérieux, l’informel à la rigueur. Mais sans jamais perdre la moindre once de dignité.
Psychologiquement, les vieux peuvent traverser des périodes de tristesse ou d’angoisse en prenant trop profondément conscience du peu de temps qu’il leur reste à vivre. Qu’ils fassent donc comme les taoïstes, et privilégient l’activité de leur propre plan intellectuel, spirituel, pour lui faire prendre le dessus sur le ressenti affectif. 
Alors, dans une lucidité objective, indépendante des émotions, ils peuvent apprécier la légitimité de leur statut cosmique dont j’ai dit un mot plus haut, c’est-à-dire leur place normale, un peu magique, entre le ciel qui les recouvre et le sol qui les porte, entre le Ciel qui domine, et le Sol qui reçoit. 
Et cette prise de conscience, en apportant la sérénité, emplit d’une paix tranquille ce qu’il y a de plus transcendant en eux, sans leur faire regretter un prétendu et inaccessible bonheur, comme celui que promettent vainement la société bien-pensante, l’église, ou la psychiatrie.

En conclusion, on aurait pu tenter de répondre aux deux difficiles questions : c’est quoi la vieillesse? et c’est comment la vieillesse? en une seule phrase vague : c’est différent de la vie d’avant. Une réponse qui n’en aurait pas été une. Affirmer péremptoirement que la question ne se pose pas parce que ce n’est pas pareil, constitue une escroquerie intellectuelle, en effet. Mais la tâche était si ingrate !
La difficulté ne serait-elle pas venue uniquement d’une erreur dans le posé de la question ? La vieillesse n’est pas qu’un état, c’est aussi une tendance. Qui devrait alors se dire “vieillissement“. Et distinguer l’état de la tendance, la vieillesse du vieillissement, nous fait entrer d’un coup dans le domaine de la métaphysique. En effet :
-       un état implique une notion de coexistence avec l’espace : je suis comme ceci ;
-       une tendance est associée au temps qui passe : peu à peu, je deviens
Bon, finalement, il est impossible d’échapper à ce fameux espace-temps, qui ne résout pas non plus la difficulté de la définition … 

Et voilà qu’une dernière question se manifeste : qu’y a-t-il après la vieillesse ?
Comme tous les événements, qui, agréables ou non, sont destinées à se terminer, la vieillesse aussi a une fin : nous ne sortirons pas vivants de cette aventure étonnante qu’aura été la courte existence qu’on nous a imposée. Petite en longueur, certes, mais peut-être a-t-elle été très large, si nous avons su y faire…

Quoi qu’il en soit, un jour viendra, où le dernier signe de notre vie sera, sur l’écran du moniteur cosmique, l’image banale et terrible du graphique devenant rectiligne, accompagné d’un très long piiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii…  comme une onde porteuse qui lancera les 21 grammes* de nos restes informels dans le voyage infini et obligé de la non-vie.



*L'hypothèse de la masse de l'âme, ou théorie des 21 grammes, est émise par le médecin américain Duncan MacDougal en mars1907. Selon cette hypothèse, le corps humain aurait une âme et cette âme aurait une masse estimée à 21 grammes. Au moment de la mort, l'âme s'échapperait du corps humain, qui se retrouverait allégé de ce poids (Wikipedia).
Cette hypothèse n’est pas confirmée, mais cela m’a amusé de la citer.