Nous avons tous des liens privilégiés avec notre facteur, bien qu'il soit parfois le messager de mauvaises nouvelles. Mais c'est ainsi, depuis les débuts de la Poste.
Aujourd'hui, je suppose que je devrais — pour obéir à une mode imbécile — parler plutôt de "préposé".
— Préposé, mais à quoi ?
— À la livraison du courrier, pardi !
— Ah, bon.
C'est vrai que "facteur" ne veut rien dire de précis non plus, et n'était peut-être pas le meilleur mot pour désigner un distributeur de missives et de colis.
Bref, notre facteur bienaimé a parfois de bien curieux collègues. Je ne parle pas de ceux, que j'espère peu nombreux, qui détournent des colis, car la nature humaine n'étant pas parfaite, je suis certain, à la suite de nombreuses expériences vécues, qu'il en existe, malheureusement.
Non, aujourd'hui, je veux vous parler de celui-ci, que je suppose idiot, ou bien dissipé, ou bien ivre, ou bien sérieusement distrait, ou bien encore comme un malfaisant voulant nuire au système en place. Son attitude, irréfléchie et imbécile, va à l'encontre de toutes les croyances qui prêtent aux bons facteurs des dons particuliers qui leur permettent de trouver les destinataires les plus cachés, ou de déchiffrer les écritures les plus difficiles.
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Voici l'histoire : mon ami Robert, écrivain amateur, mais ardent défenseur de la langue occitane, écrit, à l'usage des enfants, des contes en deux langues. La page de gauche est en français, celle de droite, la plus noble, est en Occitan. (Pour la petite histoire, je suis celui qui met en pages, dessine la couverture et les illustrations de ces petits fascicules, et qui les édite).
Récemment, Robert, dans son désir de mieux faire connaître cette langue de son enfance, si importante à ses yeux, a décidé d'adresser un exemplaire de son dernier conte au Ministère de la Culture, à Madame Bachelot.
Comme on peut le constater, l'adresse est la bonne, sauf que l'arrondissement n'est pas 75000, mais 75001. Je suppose que le facteur fantasque, certain du fait qu'il n'y avait pas de rue du Faubourg Saint Honoré dans le 75000, a brusquement cessé de réfléchir. Sans doute que cela est possible pour un facteur. Car ne lui est pas venue l'idée de transformer le dernier 0 en 1, et de remettre la lettre dans une boîte, à l'intention de ses confrères du 75001...
Pour répondre aux questions qui vous viendraient à l'esprit, la perte quasi totale de la vision chez Robert, le conduit à cette écriture énorme et maladroite, mais lisible cependant. Le "Na" à la place de "Madame", est la contraction, en Occitan, de "Dona", pour "Dame".
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Voici enfin à quoi ressemble un de ces petits ouvrages :