Je viens de découvrir, dans une ancienne revue, ce condensé de l'histoire de la moto. Il s'arrête en 1985, époque où a été écrit l'article, qui finit d'ailleurs sur une note pessimiste à propos du marché du deux-roues.
Je ne puis résister à l'envie de vous le présenter, car, si on connaît généralement assez bien l'histoire de l'automobile, ou celle de la bicyclette, la biographie de la motocyclette est moins évidente. Pour moi, elle commençait approximativement à Harley Davidson...
La lecture de ce petit texte va nous prouver combien j'avais tort. Et combien les choses ont évolué depuis 30 ans.
Il y a cent ans
presque jour pour jour (c'était le 10 novembre 1885) roulait la première moto.
Est-ce en raison de sa nationalité allemande que l’événement passe inaperçu
chez nous ? En
cette fin de XIXe siècie, seuls trois pays industriels pouvaient donner
naissance à la moto. Mais en Grande Bretagne régnait alors une réglementation —
finalement abolie en 1896 — qui, imposant à tout véhicule motorisé d'être
précédé d'un cheminot portant drapeau rouge, allait laisser le pays à l'écart
de cette «révolution» dans la locomotion.
Comme en
automobile, c'est donc entre la France et l'Allemagne qu'allait se jouer la
partie ; et si la France prenait une certaine aisance avec quelques vélocipèdes
à vapeur(dont celui de Perreaux en 1868), et autres tricycles, c'est finalement
à Gottlieb Daimler que l'on doit le premier deux-roues à moteur à combustion
interne. La moto pour Daimler n'était pas une fin en soi : à la lumière de ce «laboratoire roulant» il allait très vite se tourner vers l'automobile, tant il
faut bien reconnaître que les motorisations de l'époque s'accomodaient mal de
l'équilibre chancelant des deux-roues. Il faudra encore attendre quelques
années les applications pratiques du principe, avec par exemple la Millet de
1892 : c'est plutôt le tricycle qui à cette époque se taille la part du lion,
notamment grâce au Marquis de Dion.
En partant du premier plan, nous trouvons :
La Daimler 1885, l'Hildebrand Wolfmuller 1894, la première BMW R32 de 1923,
et la BMW K 100RS 1983. (photo Auto moto Retro)
Ce
n'est qu'en 1894 qu'apparaît la première moto de série. Heinrich Hildebrand et
Alois Wolfmuller produisant alors quelques centaine de (très imparfaits)
bicyclindres. Werner, en France, leur emboîte le pas dès 1896, avec le
cyclomoteur à traction avant baptisé «motocyclette», qui en 5 ans va sortir à
3.600 exemplaires, et le pas décisif est franchi par ses mêmes frères Werner,
lorsqu'ils donnent à l'engin la configuration qu'il a encore aujourd'hui, celle
d'un vélo dont le moteur prend place à l'endroit du pédalier. Nous sommes alors
en 1901, la moto peut décoller.
A
cette époque, on peut affirmer sans chauvinisme aucun, que la moto est suisse,
belge, tchèque à la rigueur, mais aussi allemande et surtout française. Mais
les Anglais et les Américains vont rapidement refaire leurretard, et lorsque la
première guerre mondiale éclate, on a déjà assisté à un certain gel de
l'architecture : au foisonnement d'idées du tout début de siècle se sont
imposés les principes les moins irrationnels, selon l'implantation fondamentale
de Werner. Principal apport du moment : la généralisation des suspensions
avant.
L'immédiat
après-guerre voit se dessiner les grandes tendances ultérieures : grande
richesse technique de l'Italie (mais sans réelle ouverture sur l'extérieur),
forte industrialisation de ['Angleterre et de l'Allemagne, et déjà repli de fa
France sur des machines plus utilitaires que sportives : essentiellement
tournée vers les moteurs adaptables (dans les années 20), les BMA (bicyclettes
à moteur auxiliaire, dans les années 30), ou le cyclomoteur (après guerre), la
France ne produira plus qu'exceptionnellement des machines nobles, encouragée
par une législation locale favorisant les petites cylindrées légères et
économiques.
L'âge
d'or des années 20 est donc dominé par l'Angleterre, c'est la pleine maturité
de la moto, l'époque où elle est à la fois sportive et économique. Avec la
crise de 1929, lorsque les automobiles produites en grande série atteindront
des prix très compétitifs, la moto se tournera de façon plus décisive vers le
sport, la France s'éclipsera alors discrètement...
Au
point de vue technique, on note (comme d'ailleurs en automobile), une charnière
décisive en 1927 : le réservoir d'essence, jusqu'ici coincé entre les tubes du
cadre, trouve sa place définitive à cheval sur l'épine dorsale de celui-ci. Et
d'une année à l'autre (sinon du jour au lendemain) cela changera du tout au
tout, l'allure des motos.
Dans
les années 20, le frein avant est devenu courant, la transmission par chaîne a
supplanté la courroie, la lubrification a été activée par une pompe, les freins
sont passés du patin au tambour, mais c'est dans le courant des années 30 que
la moto prendra sa forme mature : développement des suspensions arrière,
commande de boîte de vitesses au pied et non plus à main, allumage par vis
platinées, lubrification en circuit fermé. On peut dire qu'à la veille de la
seconde Guerre Mondiale, toute la technique moderne est inventée,
principalement sous l'impulsion des Allemands et des Italiens.
Au
lendemain de la guerre, les quatre grands européens se répartissent les rôles :
l'Allemagne reste à la pointe de la technique, l'Angleterre joue à fond la
carte de la production industrielle, sans trop penser à innover,l'Italie fait
de superbes motos mais les garde pour elle... et la France se lance à fond dans
le cyclomoteur, une forme de motocyclisme ignorée de tous les livres retraçant
l'Histoire de la Moto mais industriellement non négligeable. Jusque dans les
années 50, la moto prend peu à peu sa forme actuelle, avec entre autres la
standardisation des fourches télescopiques et des bras oscillants à
amortissement hydraulique.
Hélas,
la fin des années 50 voit se reproduire le phénomène des années 30 :
l'automobile, toujours plus économique, vole la clientèle sage de la moto, et à
la relance des années 40 succède le grand sommeil des années 60. La
marginalisation durera jusqu'à la fin de la décennie, lorsque le Japon,
exploitant au mieux le filon «moto-loisir» prendra la place prédominante qu'on
lui connaît aujourd'hui. Les années 70 seront marquées par la récupération du
retard technique accumulé durant les «sixties», dans tous les domaines : la
moto subira dans cette période la plus profonde mutation de son histoire, avec
l'avènement des freins à disques, de l'électronique (allumages, injections,
etc), des roues coulées et surtout la révolution plus profonde qu'il n'y paraît
des plastiques, inimaginables auparavant, pour l’habillage en général.
Malheureusement,
la surenchère dans le futile, couplée à la crise des pays industrialisés,
mènera la moto au bord du gouffre dans les années 80 : les ventes chuteront de
moitié de 81 à 85, conduisant la moto dans la crise la plus grave de son histoire,
guerres mises à part. Les constructeurs, pris de court, n'ont pas encore su
trouver l'antidote à cette décadence, mais le nombre de permis passés, comme le
bon maintien des immatriculations d'occasions, permet de croire en des
lendemains plus chantants : le besoin, ou en tous cas l'envie, de moto demeure,
il suffit (si l'on peut dire !) de retrouver un sens de la mesure qui permettra
à tout un chacun de re-goûter aux joies saines et pures du motocyclisme. La
moto ? Blessée seulement !
Merci à Auto-moto
Retro, de novembre 1985.