Comment le symbolisme et l’utile se rejoignent… Hasard ou
nécessité ?
Pour mieux concevoir, mieux expliquer, et mieux transmettre, l’homme a toujours ressenti le besoin de symboliser les notions difficiles à manipuler, comme celles qui nous concernent aujourd’hui.
Il y a quelque temps, je vous faisais part* de l’utilisation dans les constructions, par les ouvriers initiés du passé, de formes symboliques ayant un rapport avec les principes de la Tradition primordiale.
Il y a quelque temps, je vous faisais part* de l’utilisation dans les constructions, par les ouvriers initiés du passé, de formes symboliques ayant un rapport avec les principes de la Tradition primordiale.
Je vous racontais comment le cercle, le carré et l’octogone,
sont les trois formes qui ont permis à l’homme, en représentant symboliquement
la hiérarchie Ciel-Homme-Sol de conforter sa place légitime entre le Ciel qui
le domine et le Sol qu’il maîtrise, et de tenter ainsi, dans ses créations, de
respecter la meilleure harmonie avec la manifestation**
dont il est l’un des protagonistes.
Pour illustrer différemment le contenu de cet ancien article,
voici une anecdote historique, ayant un rapport avec l’aventure de la marine à
voile.
Un petit rappel
Revenons un instant à la grande Tradition. Nous savons que les
principes primordiaux à l’origine de cette dernière, avaient été “suggérés“ à
l’homme par l’observation de la nature***. Les événements célestes, rythmés comme
la succession du jour et de la nuit, le déroulement répété des saisons, l’avaient
poussé à sacraliser le Ciel, élément remarquable par sa puissance.
- Le Ciel, représentant la qualité, sera traditionnellement symbolisé par un cercle, qui mieux
que toute autre figure, schématise la course cyclique des astres autour de
nous, selon un rythme régulier. Un cercle est également l’élément d’une
demi-sphère, comme nous apparaît la voûte céleste, au-dessus de nous.
- Par opposition, c’est le carré qui symbolise le Sol, qui
lui est quantitatif. C’est l’Espace de l’Homme. Les exemples les plus marquants
en sont les limites de son champ, les angles de sa maison, les 4 directions
cardinales, tous éléments universels et indiscutables de l’étendue.
- L’octogone est sans doute la seule des trois figures à
devoir quelque chose à la réflexion, plutôt qu’au seul constat. On imagine bien
qu’elle convient mieux qu’un pentagone ou qu’un heptagone pour figurer le terme
moyen, à mi-chemin entre le carré et le cercle, lui-même considéré dans toutes
les traditions comme soumis à un système duodénaire (à base de 12).
Nous avons donc :
4 +
12 = 16
et
16/2 = 8
La suite 4/8/12 est donc légitime.
Et par suite, la disposition hiérarchique de ces symboles
géométriques est toute définie : le cercle représentera le haut et le
carré le bas, alors que l’octogone figurera le plan moyen.
On devine sans effort ce que permet ici l’application de
l’analogie : le cercle représentera le Ciel, le carré le Sol et l’octogone,
l’Homme, réellement situé entre les deux.
Dans le précédent article, nous avons vu des exemples de constructions
réalisées selon cette hiérarchie, des églises, des fontaines, des tours, par
les ouvriers qui avaient la Connaissance des lois de la Tradition, et pouvaient
les appliquer dans leurs œuvres : c’était le cas des Compagnons, par
exemple…
Venons-en à la marine
à voile.
Les bateaux au long cours les plus répandus au temps passé,
étaient les voiliers dits “à phares carrés“ (à voiles carrées, comme les caravelles,
les frégates…). C’étaient les bateaux de commerce, ou ceux des pirates, ou encore
ceux des explorateurs. Ils étaient fabriqués par des ouvriers souvent initiés, qui savaient les secrets
permettant d’assurer une certaine harmonie entre l’objet construit et le cosmos,
en appliquant les Lois du Ciel.
L'Hermione
Nous allons voir que très curieusement, le symbolisme et le
pragmatisme se rejoignent dans cette création utilitaire que constitue la
construction d’un voilier, fut-il le plus rudimentaire qui soit. Ce qui semble
avoir été le cas de ces navires, la plupart du temps construits hâtivement et
grossièrement.
Sur les voiliers d’aujourd’hui, les mâts sont posés sur le
pont et sérieusement haubanés pour résister à la force du vent.
À l’époque, les mâts étaient emplantés dans le fond du navire,
dans une cavité cubique creusée dans la massive contre-quille. L’extrémité
inférieure du mât était bien sûr ajustée à cette forme et taillée selon une section carrée, qui permettait une bonne
tenue, et promettait la plus grande résistance aux efforts à venir.
La partie haute du mât recevait les voiles et les vergues,
qui devaient pouvoir être orientées selon toutes les angulations possibles pour
se prêter à la direction du vent. Il valait mieux que le fût soit, en cet
endroit, parfaitement cylindrique, donc de section
circulaire.
Un point important était constitué par la traversée du pont
par le mât. Par gros temps le pont était balayé par les vagues et l’eau s’infiltrait
par tous les espaces mal colmatés, comme celui qui aurait pu se trouver autour
du mât. Imaginons notre mât jaillissant de la soute comme un arbre : à
cause des légères déformations dues aux efforts exercés par le vent, il était très
difficile de rendre la traversée du pont étanche.
Une solution consistait à coincer de l’étoupe ou des
chiffons maintenus en place à l’aide de petites planchettes enfoncées en force autour
du mât.
L’expérience a montré que la meilleure étanchéité était
obtenue lorsqu’il avait été, pour l’occasion, sculpté en cet endroit selon une
section polygonale. C’est la forme de l’octogone qui fut choisie. On peut imaginer
qu’une section carrée par exemple, aurait présenté des angles trop marqués pour
être convenablement calfatés. Une forme polygonale plus multiple aurait
augmenté les exigences de précision, et aurait obligé à utiliser une plus
grande quantité de planchettes, donc de créer plus de hiatus entre deux
planchettes.
C’est l’octogone qui a été choisi.
Carré, octogone, cercle… le compte y est. Et dans le bon
ordre ! Mais quels motifs avaient réellement présidé à ces choix ?
- était-ce le pragmatisme des constructeurs ? Parce
qu’il fallait empêcher le mât de tourner dans son emplanture, parce qu’il
fallait que les anneaux de ragage, les cordages, les bômes et les vergues se
positionnent sans heurts dans toutes les positions exigées par la
navigation ? Parce qu’il fallait à tout prix trouver un moyen de bien maintenir
l’étoupe et éviter les intrusions de l’eau autour du mât ?
- ou bien était-ce une soumission à la Tradition ? Parce
que le mât, symbolisant par sa verticalité l’Axe
du monde, se devait, plus que tout autre élément du bateau, de respecter
les grands principes, et porter en lui les symboles universels ? Des
symboles qui, par leur présence sur cette partie importante du navire, par la
hiérarchie subtile qu’ils contenaient, ne pourraient que favoriser une relation
harmonieuse de l’homme avec les éléments sacrés du cosmos, avec les limites
métaphysiques de la manifestation.
Comme vous devez vous en douter, je n’ai pas l’autorité
nécessaire pour répondre à cette question.
*Voir l’article :
** Manifestation : entité métaphysique qui désigne
ce qui est contenu entre les limites Ciel et Sol, donc l’Homme, et les
inter-relations qui existent entre eux trois.
*** Voir l'explication de ce fait dans la deuxième partie de l’article :