le blogadoch2

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samedi 28 avril 2018

Science Fiction ?



Une nouvelle nouvelle basée sur la SF. Et cette fois, en deux parties, juste pour le suspens...

Dimanche 29 avril 2018 :
Ne voulant pas faire durer le suspens car n'étant pas porté au sadisme (!), je vous présente la nouvelle dans son intégralité... 
Bonne lecture!




Alfred Leroux rêvait d’être écrivain.
Son métier monotone au sein d’une administration somnolente l’ennuyait profondément. Et entre deux imprimés qu’il avait la charge de contrôler, son esprit s’échappait de plus en plus souvent, lorsque dans sa tête se construisait presque à son insu, une jolie phrase, aux mots dansants, qu’il imaginait imprimée en caractères noirs sur le fond blanc de la page d’un de ses livres à succès. Comme celle-ci, par exemple:
"Ébloui par les eaux miroitantes du lac aux éclats brillants, il laissait son esprit flotter dans les dédales fleuris de son imagination..."
Il n’avait pas conscience de la médiocrité de son style, et s’imaginait romancier reconnu :
— Je vois très bien mon nom, Alfred Leroux, en haut de la couverture de mon prochain livre. On penserait que je suis parent avec le célèbre Gaston Leroux, connu des amateurs d’histoires mystérieuses.
Il avait tenté d’écrire un roman, quelques années plus tôt, mais n’avait jamais trouvé d’éditeur. Aujourd’hui, il se sentait plus mûr, plus averti, et se dit qu’il était temps de faire un autre essai. Commencer par une nouvelle, par exemple. Mais dans un domaine peu commun : le monde de l’étrange, des phénomènes mystérieux... Tiens, un récit de science fiction, par exemple! Oui, ce serait parfait!
Mais là encore, comment sortir des sentiers battus, comment ne pas retomber dans les clichés mille fois cités au cinéma, usés dans les bandes dessinées, répétés dans les romans dits SF?
— Il me faut un sujet nouveau, jamais exploité. Quelque chose d’inattendu, d’étrange, et pire, de terrible, de tragique...

Les semaines qui suivirent ne lui permirent pas d’avancer dans sa recherche. Son imagination demeurait stérile, sa muse faisait la grève.
— Je n’ai plus qu’une solution, demander de l’aide...
Le voici devant un coquet petit pavillon de banlieue, au bout d’une impasse donnant sur la campagne toute proche. Un ami de ses parents habitait là. Depuis toujours, on l’appelait : "Monsieur Graminet".
Les tenants de l’aptonymie pourraient penser qu’il est herboriste, ou vétérinaire spécialisé dans le soin de chats obèses. Que nenni! Tout le monde le considérait comme un savant, à cause de ses fonctions passées, dans le cadre du CNRS. On savait qu’il avait été quelque chose comme chercheur, anthropologue, archéologue, historien, sociologue... Mais c’était surtout un puits de science assez peu orthodoxe. Il avait appris à lire avec Homère, et depuis, l’histoire de l’homme le passionnait.
Une réputation particulière le qualifiait, parce qu’il n’hésitait pas à aller à l’encontre des idées toutes faites, et à contredire les fondements mêmes de la formation qu’il avait reçue, lorsqu’il s’agissait de l’histoire de l’humanité. Dans sa longue carrière, cette attitude non conforme à la pensée universitaire, lui avait valu beaucoup d’ennuis et peu d’avancement, comme on peut le supposer. Mais s’il n’en avait tiré aucune gloire, il avait été heureux de garder son indépendance d’esprit et de défendre ses propres convictions.
Encore maintenant, lorsque ce sujet était abordé, il s’animait avec feu, et son indignation presque juvénile faisait oublier les quelques 35000 jours qui pesaient sur ses épaules :
— Ces types qui décident des programmes de recherche, sont tellement formatés, ils ont l’esprit tellement borné, qu’ils ont perdu toute faculté imaginative. Ils ne sortiront jamais du cadre universitaire. Comment leurs recherches peuvent-elles aboutir, s’ils pensent que c’est ce qu’on leur a appris qui contient toute la vérité? Je vous donne des exemples rapides :
-        Nous ne descendons certainement pas du vagin d’une guenon, c'est évident! Mais il ne faut pas contredire cette hypothèse;
-        À l’époque appelée Âge de bronze se sont construits des monuments que l’on aurait du mal à imiter aujourd’hui. C’est sans doute avec un petit burin de bronze et un petit marteau, qu’on a taillé des blocs de 100 tonnes, qu’on les a déplacés, et empilés au millimètre près?
Mais quand je soulève ces objections devant mes collègues, ils me répondent :
 — C’est bien beau, tout ça, mais nous ne savons pas quoi faire de ces constatations. Elles n’entrent pas dans le cadre de nos certitudes universitaires. Alors...

En marchant vers le petit pavillon, Alfred se dit que, compte tenu de son état d’esprit, monsieur Graminet sera l’homme le plus apte à l’aider à trouver un thème original pour son récit de fiction.
— Content de voir, mon cher Alfred, que tu essaies à ta façon de t’échapper aussi du cadre étriqué de ton métier. C’est bien d’avoir des projets d’écriture, je veux bien t’aider, et te lancer sur quelques pistes originales.
Que dirais-tu d’une histoire contemporaine avec, ou plutôt contre, des extra-terrestres, par exemple? On va faire le tour de ce qu’on peut imaginer comme thèmes...

Quelques heures plus tard, la bouche encore imprégnée du goût d’une vieille fine de qualité, et la tête zonzonnante de tous les thèmes abordés, Alfred prit congé de son vieil ami.
De retour chez lui, bouillant intérieurement de mille idées, il se jette sur son ordinateur et ses doigts courent sur le clavier :

Titre : Mères porteuses pour Aliens

Mise en situation :
       La nuit est noire dans cette campagne des Pouilles. Une ferme isolée. Dans sa chambre au grenier, Angelina, une jeune fille solide de 18 ans s’agite dans son lit : des choses bizarres se passent, comme dans un cauchemar, et lui procurent un certain malaise. Elle croit même, à un moment donné, se retrouver dans une pièce qui ressemble à une chambre d’hôpital, entouré d’êtres blanchâtres qui sentent mauvais.
       Un village du Vaucluse, la jeune Julie sort à demi de son sommeil, car elle a l’impression qu’on est entré dans sa chambre. Mais ses paupières sont lourdes, et elle ne parvient pas à en savoir plus. Malgré elle, elle replonge dans un sommeil peuplé d’êtres bizarres, émettant une odeur nauséabonde.
       Valence, Espagne : au dernier étage d’un immeuble, Rosa, 17 ans, fait un cauchemar : le plafond de sa chambre s’ouvre et elle est aspirée dans un rayon de lumière... Des petits personnages parlent dans sa tête, et la manipulent physiquement.

Suite :
       Ces jeunes femmes se réveillent avec une impression étrange, envahies par un certain malaise physique, mais sont incapables de se rappeler quoi que ce soit. Aucune d’elles n’est inquiète. Cependant Julie est un peu étonnée de se retrouver vêtue d’une chemise de nuit qu’elle n’a jamais vue...

Monsieur Graminet?  Excusez-moi de vous déranger de si bonne heure. J’ai écrit une bonne partie de la nuit. Mais j’ai un problème : comment peut-on expliquer que ces femmes n’ont, non seulement aucun souvenir, mais surtout ne ressentent aucune angoisse? Et même, d’après votre suggestion, qu’elles seraient plutôt sereines? Et ne trouvent pas très anormal d’avoir changé de vêtement de nuit...
— Ah, tu as trouvé la faille. Eh bien, disons par exemple, que si elles se sentent bien, c’est en rapport avec leur épistaxis.
Alfred, sidéré :
— Leur... é-pis-ta-xis?
— Oui, elles ont toutes, au réveil un peu de sang séché à la narine droite.
— Et...
— Et cela vient du fait qu’on leur a planté un trocard dans les fosses nasales, perforé le vomer, pour insérer à la base du cerveau, une puce électronique. À partir de ce moment, elles sont sous la domination des Aliens, qui peuvent non seulement les contrôler, mais influencer leur douleur, leurs affects, leur mémoire, leur comportement.
— Mon Dieu! Quelle imagination! Votre réputation n’est pas usurpée, monsieur Graminet! Merci, je note tout ça, c’est génial comme idée...

Développement
Ainsi, les Extra-terrestres peuvent continuer leurs petites affaires sans que les victimes n’aient simplement la possibilité de se rappeler ce qui leur est arrivé. Et si, confusément, elles en gardent quelque souvenir, leur conditionnement fait qu’elles n’éprouvent aucun besoin de s’en étonner, aucune nécessité de le faire savoir.
Pourtant, des informations répétées concernant ce sujet se sont répandues, et des chercheurs curieux — à l’image de monsieur Graminet sans doute — se sont intéressés de près à ces prétendus enlèvements. Pour avoir le maximum de renseignements, ils ont proposé aux victimes de se prêter à une ou plusieurs séances d’hypnose sous contrôle médical. Dans tous les cas, les détails de leur aventure ont afflué, ont précisé et confirmé ce que l’on imaginait sans pouvoir y croire.

— Monsieur Graminet, c’est encore moi, Alfred. Comment peut-on décrire le processus de l’enlèvement physique, alors que ces jeunes femmes dorment dans une chambre close? Est-ce que les Aliens cassent la porte ou la fenêtre?
— Mon petit, il faut que tu fasses fonctionner un peu ton imagination! Je ne sais pas tout... Tu pourrais peut-être suggérer que les Aliens, s’ils ont des vaisseaux si rapides, si performants, si silencieux, si maniables, s’ils arrivent à franchir ce qui sépare notre monde du leur, c’est sans doute parce qu’ils ont des possibilités extraordinaires que nous ne connaissons pas.
Ce n’est pas parce que notre savoir et notre science ont des limites, que l’univers doit se plier à ces limites.
Sans doute qu’un toit, un mur, ou une porte ne les arrêtent pas… Invente!

Alfred retourna à son manuscrit :
L’évolution de ces êtres venus d’ailleurs est tellement en avance par rapport à la nôtre que l’on peut imaginer qu’ils ont la possibilité de pénétrer à l’intérieur des maisons, sans rien casser (à développer, AL).

Julie, pendant la séance d’hypnose raconte :
— Je suis entraînée hors de mon lit... Je me revois... noyée dans une lumière bleutée, qui m’emporte comme en m’aspirant...
J’ai une autre image... d’une chambre blanche... pleine de lumière, une impression d’activité, on me touche... on pénètre mon ombilic... Pendant ce temps, on parle dans ma tête, comme pour me rassurer. Mais il se passe... beaucoup... de choses...
— Vous êtes dans cette pièce blanche, et on vous manipule, on vous parle. On pratique sur vous une cœlioscopie. Souffrez-vous?
— Non, pas vraiment, mais ce n’est pas agréable... je sens “qu’on me fait des choses“...
— Avez-vous vu des êtres?
— Oui, des petits avec la tête qu’on dessine toujours... un gros crâne... un visage étroit, des yeux immenses tout noirs. Je crois qu’avec eux, il y avait aussi des très grands... presque filiformes. Et cette odeur! Une horrible odeur...
— Maintenant, on vous ramène à votre lit. Vous souvenez-vous de votre retour?
Les sujets, même sous hypnose, ne se souviennent pas de leur retour quelques heures plus tard.
— Non, je me suis réveillée... un peu vaseuse, dans mon lit. Je ne sais pas comment... Et cette chemise de nuit...
— Ce n’était pas votre chemise de nuit?
— Non, pas du tout! Ce n’est pas la mienne!
— Avez-vous constaté des traces sur votre corps?
— Du sang séché à la narine droite... et quelques marques... comme si on avait appuyé très fort avec les doigts... sur mon menton.
— Et votre ombilic?
— C’est vrai, il a été à peine sensible pendant quelques heures.
On demande ensuite à la jeune femme, si elle a subi un seul, ou plusieurs enlèvements :
— Je ne sais pas. J’ai des souvenirs qui se heurtent...
— Ces événements ont eu lieu il y a presque un an maintenant. Après votre enlèvement, avez-vous constaté un arrêt de vos règles?
— Oui... pendant 3 mois environ.

Angelina, la petite paysanne des Pouilles, a raconté qu’elle avait le souvenir que ses règles avaient été interrompues à 5 ou 6 reprises, au cours des dernières années.

Depuis la nuit des temps, de la même façon, des centaines de milliers de femmes gravides subissent le même sort. Et certaines, de multiples fois, comme la jeune Italienne.
Des chercheurs passionnés par le sujet, ont mis sur pied un questionnaire comprenant de multiples questions indirectes, qu’il ont adressé à des milliers de jeunes femmes, prises au hasard. Les réponses ont laissé supposer, qu’à leur insu, un certain nombre d’entre elles avaient été enlevées.
Il semblerait que les Aliens préfèrent les filles aux yeux verts appartenant au groupe Rh moins. Allez savoir pourquoi...

Ainsi, pour une raison que nous ignorons, les envoyés de ces autres Mondes utilisent les jeunes femmes de notre planète comme des mères porteuses. Ils ont trouvé un moyen de créer de nouveaux êtres en combinant une semence mâle avec les gonades des femmes de la Terre (développer, AL).
Ils reviennent deux ou trois mois plus tard récupérer le foetus, qu’ils ont sans doute le moyen d’élever “en couveuse“. Les jeunes femmes retrouvent leurs règles, et sans doute avec l’aide de la puce implantée dans leur cerveau, “oublient“ l’incident.

— Bonjour, monsieur Graminet, je reviens vous voir avec le brouillon du squelette de ma nouvelle. Je voudrais que vous en preniez connaissance. Bien sûr, je vais broder pour faire monter l’angoisse du lecteur, et meubler le tout avec des faits un peu “gore“...
Je pense que ça va plaire. En tous cas, merci beaucoup, vous avez une sacrée imagination!
Monsieur Graminet chausse ses lunettes et lit avec attention, pendant qu’Alfred sirote sa fine.

— Alors, qu’en pensez-vous? Il y a un concours de “Nouvelles de Science Fiction“, en ce moment, je suis certain d’être sélectionné!
— Non.
— Comment “Non“ ?! Grâce à vous, le thème est justement fantastique, c’est ce qu’il faut pour un concours de science fiction, non? Et puis, ce n’est pas trop mal écrit, je me suis appliqué, je crois avoir fait des progrès. Et vous pensez que je ne serai pas sélectionné au concours de science fiction?
— Vous ne le serez pas.
Alfred, stupéfait :
— Et pourquoi? Puis-je savoir, s’il vous plaît?
Monsieur Graminet prit le temps de replier le document, d’ôter ses lunettes, et de finir son verre, avant d’annoncer tranquillement  :
— Parce que ce n’est pas de la science fiction.




M. Graminet a-t-il raison?
Quelques éléments peuvent peut-être vous aider à vous faire une opinion, dans l'article : "Les sources de M. Graminet".







vendredi 20 avril 2018

Le Temps, l’Espace, et les Neuf Provinces…





Si l’on me demande si je sais ce qu’est le Temps, je répondrais “oui“.
Si l’on me demande d’expliquer ce qu’est le Temps, j’en serais incapable.
(cité par Jean d’Ormesson).


Le temps qui passe est associé au ciel et aux mouvements des corps célestes que l’homme voit défiler au-dessus de lui. Des astres lointains, chargés de mystère, qui semblent se déplacer contre la voûte céleste, cette espèce de dôme hémisphérique.
L’Espace est plus abordable, surtout parce qu’autour de lui, l’Homme le voit, le touche, le parcourt, le modifie.

Pour en parler plus facilement, les penseurs parmi lesquels se placent les métaphysiciens — avides d’explications concernant les “causes premières“ — ont utilisé les nombres en leur attribuant des spécificités symboliques. Ici, on ne joue plus avec eux pour faire de la mathématique. On les qualifie en fonction des caractères des notions qu’ils sont censés représenter.

C’est ainsi que le nombre qui s’associe au Temps est le 6, et que l’espace est représenté — en Chine, l’explication est simple — par le nombre 5.

Notre compère Jacques André Lavier a bien étudié tout ça et nous apprend comment les choses se sont passées, en Chine antique, tout au moins. Mais les données traditionnelles comme celles-ci, qui concernent partout et toujours, les préoccupations primordiales de l’Homme pensant, sont universelles. Simplement, grâce aux documents chinois, mieux connues.

Il va nous montrer comment les conceptions relatives à ces deux “paramètres“ universels, ont évolué au cours du temps. Et comment la Tradition créée par les tenants purs et durs du 5, peut accepter d’utiliser le 6 pour compléter sa vérité.



Revenons au ciel :
Quand l’Homme* parvient à se détourner de ses tâches matérielles et de ses préoccupations alimentaires, il lui arrive de lever les yeux vers le ciel, sans doute à la recherche d’une dimension qui lui manque confusément.
                                     “Je ne crois pas en Dieu. Mais il me manque“,
a dit quelqu’un.

 Pratiquement, il le voit comme une immense voûte autour de lui, sur laquelle se déplacent des astres. Le premier de ces corps célestes est le soleil, qui décide de l’alternance et de la durée des jours et des nuits. Il apparaît à l’Est, se trouve au méridien en milieu de journée, et disparaît derrière l’horizon ouest.
 En tenant compte de la saison en cours, l’homme peut évaluer l’heure de l’instant, en jugeant de sa position dans le firmament.
Après la période nocturne, le soleil se lèvera à nouveau, au même endroit que la veille, ou presque. Comme tous les autres astres visibles, il semble avoir décrit un cercle, dont une partie en dehors de notre vue.
À cause de cela et compte tenu de la forme apparente de la voûte céleste, dans la plupart des civilisations, on associera le passage du temps à un mouvement circulaire, symbolisé par le compas pour les francs Maçons, par exemple.
Le nombre relatif au cercle est traditionnellement le 12. On dira que cette  conception du temps obéit à un système duodénaire.

Ce fut le cas en Chine également. Cependant, les études de Jacques André Lavier ont montré que la conception circulaire du temps fut adoptée tardivement dans ce pays.
Voici comment les Chinois de l’antiquité concevaient le déroulement du temps :

Ils étaient majoritairement sédentaires**. Cultivateurs, ils pouvaient passer leur vie sans connaître le village voisin. Leurs repères étaient spatiaux, comme les 4 points cardinaux, les 4 murs de leur maison, les 4 limites de leur champ.

Cet Espace-ci dont nous parlons (Espace avec un E majuscule), ne peut exister qu’en fonction de l’Homme, car c’est à partir de ma position que je peux dire : 
— Ce pic rocheux  est à l’Ouest !
Ce qui signifie en réalité :
— Le pic est à l’Ouest de l’endroit où je me trouve.
Si maintenant je parcours 100 kilomètres vers le Nord, je ne pourrai situer ce pic que de la façon suivante :
— Le pic en question se trouve au Sud.
C’est pourquoi les métaphysiciens disent que l’Homme qualifie l’Espace. Par sa présence, il lui donne un statut particulier, comme il offre à une perspective un nouvel aspect lorsqu’il s’est déplacé quelque peu par rapport à elle.

Et si l’Espace est en relation de dépendance si étroite avec l’Homme, ce dernier doit être considéré comme étant partie prenante dans le symbolisme de l’Espace. C’est pourquoi, pour la Tradition, le chiffre de l’Espace est le 5 :
4 directions + 1 homme = 5. 
On dira que l’Espace obéit à un système dénaire, c’est-à-dire un système qui a 10 pour base.

Pour ces sédentaires totalement ancrés dans l’espace, il fut naturel de  jalonner l’année selon 4 repères stellaires, relevés au moment des équinoxes et des solstices. Ces derniers permirent de définir les 4 saisons, ces événements chaque année renouvelés, qui transformaient leur champ sous leurs yeux.
Le nycthémère (période de 24 heures que nous appelons parfois jour), lui, se composait de 4 périodes :  la matinée, le milieu du jour, l’après-midi, et la nuit, et comptait 10 heures.
Jacques André Lavier nous confirme :
"C'est en termes d'espace que la Chine traditionnelle jalonna le temps, et toute conception "circulaire" de celui-ci n'a pu être qu'importée".

Cette sorte d’antagonisme entre les conceptions dénaire et duodénaire, pourrait apparaître comme illégitime aux yeux de la Tradition. Mais en réalité ces modes de pensée n'étaient pas divergents, mais complémentaires, ainsi que pourrait le montrer une étude plus poussée. Un élément qui permit sans doute aux conceptions sédentaire, fidèle au système dénaire, et nomade, attachée au duodénaire, de trouver des bases communes de réflexion, est constitué par la notion des "Neuf Provinces". 
Cette notion acquit une certaine importance dans les concepts intellectuels de la Chine proto-historique. 

Voyons ça :
L’homme est à sa place (une place de sédentaire, bien sûr) au milieu de son champ, ou dans sa maison :

 

Imaginons qu’il veuille s’agrandir — d’une manière harmonieuse par rapport à l’Espace qui l’abrite. Il peut légitimement doubler son terrain par une extension vers l’Est. Il pourra faire la même chose vers le Sud, puis vers l’Ouest, et pour finir vers le Nord.
Son nouveau champ, agrandi de façon équilibrée et logique par rapport aux règles spatiales, aura cette forme, qui ressemble à une croix :



Par analogie, si l'on se place à l'échelon du pays, le carré central représenterait symboliquement la capitale, et les 4 autres, les provinces cardinales. Cette structure polygonale comporte déjà 12 cotés extérieurs.
Notons, au passage, que nous sommes parvenu au nombre 12 (nombre "circulaire" s'il en est), sans faillir au symbolisme du carré, cher aux sédentaires.

Maintenant, si nous imaginons dans chacun des angles de la croix, 4 autres carrés qu’on pourrait appeler sous-cardinaux, nous obtenons l'image symbolique des Neuf Provinces.


Si l’on entoure la figure formée par ces 9 carrés par un cercle, et que l'on prolonge jusqu'au cercle les limites des petits carrés, on obtient bien une division du cercle en 12 parties.
Ce cercle, ainsi disposé autour du carré, symbolise les relations nomades/sédentaires, qu'il s'agisse d'un apport de l'extérieur par des nomades, ou d'une attaque de pillards encerclant les champs des agriculteurs, sans oublier l'usage analogique qui en est fait en médecine traditionnelle chinoise***.



 













On peut supposer que ce raisonnement a permis aux tenants de la Tradition de passer, dans certains domaines, d'un système dénaire à un système duodénaire, en adoptant une démarche légitime, basée sur l'analogie.
Ce passage semble dû aux influences nomades, qui modifièrent peu à peu les conceptions purement traditionnelles, fermement sédentaires, basées sur les critères spatiaux.
Il ne faut pas oublier que les nomades étaient, à cause de leur mode de vie, sous la coupe du temps, plus que de l’espace. Ils ne possédaient pas de territoire, ne faisaient que parcourir, et souvent piller, celui des autres.
L'influence du temps était telle chez eux qu'ils comptaient leurs déplacements en jours, et non en distances. Ils maintenaient une certaine activité nocturne pour surveiller leurs troupeaux, ou dévaliser les résidents, ce qui leur laissait le loisir d’apprendre le ciel nocturne, et leur a permis de bâtir leur calendrier sur les lunaisons.
Ce sont eux qui sont à l’origine du système duodénaire pour le décompte des heures, et des mois. Et aussi, dans un autre domaine, à cause de l'inquiétude constante du lendemain, que leur imposait leur mode de vie parfois aléatoire ou criminel, ils inventèrent un système prétendûment divinatoire, le fameux horoscope chinois, qui n'a rien de traditionnel.

Cette analyse de la notion des Neuf Provinces, explique, s'il en était besoin, la relative compatibilité des deux conceptions, sédentaire et nomade, associées d'ailleurs dans l'image de l'homme total, comme nous l’avons vu**.



NOTES 

* Si cette formule fait bondir quelque sotte féministe, c’est qu’elle n’a pas pris conscience de sa propre inculture.

** Voir mon article :

***Le concept symbolique des Cinq Éléments est accompagné en médecine traditionnelle chinoise de la notion des Six Énergies, ce qui permet de comparer  parfois l’agression de la ville que constitue l’organisme, par les microorganismes pathogènes, pillards nomades.

Enfin, l’agencement du carré symbolisant la Terre à l’intérieur d’un cercle rappelant la voûte céleste, est très utilisé en Chine depuis la nuit des temps, notamment dans les anciennes pièces de monnaie :






Nouvelles notes (26 04 18)


À propos des repères "stellaires"
La légende dit que c'est l'empereur Yao qui demanda à ses astronomes — rappelons que la Chine antique était très évoluée dans l'étude du ciel — de choisir parmi les étoiles les plus notables, une étoile, présente à minuit au méridien, le jour du solstice (d'été ou d'hiver), ou le jour de l'équinoxe (du printemps ou de l'automne).
Ce sont ces 4 étoiles, dites étoiles de Yao qui servirent de repères pour le décompte du temps annuel.

À propos du jalonnement du temps par l'espace, 
Signalons que de tout temps, jusqu'à aujourd'hui, le temps est jalonné par des moyens spatiaux, comme le déplacement de l'aiguille sur un cadran.
Avant cela, il y avait eu le niveau de l'eau écoulée dans la clepsydre, la fonte du cierge gradué, etc.
Rappelons la cordelette enflammée insérée entre les orteils du coureur de Marathon, pour limiter ses courts repos.

Ainsi, le 5 et le 6 symboliques fraternisent, et cohabitent pour nous indiquer le passage du temps. 


*
Pour les curieux, dans un domaine plus "large", j'ai fait l'hypothèse d'un Espace double, dans lequel un Espace-Sol est différent d'un Espace-Ciel. Ce dernier pouvant répondre au 6 comme l'Espace "normal" le fait au 5.

Il m'a toujours paru stupéfiant que 2 notions aussi distinctes, aussi chargées de symboles, que le temps et l'espace, puissent parfois s'interpénétrer, se dédoubler, se confondre, utiliser le même langage, comme dans l'astrolabe par exemple. Relire à ce sujet : le-ciel-va-plus-vite-que-le-soleil

C'est comme si on me disait que être et avoir avaient les mêmes potentialités, les mêmes rôles, les mêmes finalités.