le blogadoch2

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samedi 26 mai 2018

Le gant perdu

Je me suis trompé pendant plusieurs années, en pensant que cette nouvelle figurait sur le blog. Elle était restée en suspend après la pitoyable fin de mon premier blog, machiavéliquement organisée par Overblog.
La voici donc, ressortie des cartons. C'est maintenant une nouvelle "ancienne", si l'on peut dire. 



     Le 4-cylindres de la 750 ronronnait de sa puissante douceur habituelle. Sous les frondaisons cévenoles, et dans les bonnes odeurs champêtres, je laissais l'engin me bercer de ses vibrations veloutées, dans les balancements voluptueux que vous offrent avec tant de désintéressement, les petites routes secondaires.
     Devant moi, mon complice du jour allait. Malgré le casque, je percevais quelque peu les respirations particulières de son flat twin. L'allure était soutenue, mais pas sportive, nous offrant les avantages de la traversée facile de l'espace, combinés avec l'agréable décontraction qui accompagne une conduite coulée.
     Bien sûr, de temps à autre, lorsque par exemple, la chaussée se faisait plus lisse et les courbes plus harmonieuses, la tentation était trop forte de commettre quelques jolies trajectoires, bien tendues, bien penchées et bien enchaînées. Et nous pliait à son caprice.    
     Pour l'instant le rythme était plutôt celui d'une agréable communion avec l'espace, une réconfortante sensation de vivre intensément cette petite page de notre existence, d'une façon plaisante, dynamique et contemplative à la fois.
     Au loin, dans le bout de ligne droite, un objet au milieu de la chaussée. Tiens, bizarre,  normalement,  j'aurais dû entendre dans  l'interphone  quelque  chose comme : 
     — Attention, caillou!
     Bof, doit être dans la lune, il n'a pas dû faire attention… Mais ce n'est pas un caillou, c'est un gant. Un gant noir de motard, encore sculpté à la forme de la main.
     Il doit être déjà loin l'infortuné motard, qui va être contraint de jeter le gant restant, peut-être encore en bon état. Quoi de plus frustrant que de jeter un gant tout neuf, juste parce qu'il est séparé à jamais de son jumeau?  Et, généralement, on ne perd jamais qu'un seul gant, pas les deux. Alors, avant la séparation définitive, on range le survivant avec l'espoir ténu de peut-être retrouver l'absent.
     On ne peut quand même pas porter comme les gamins, un cordon qui les réunit par l'intérieur des manches! Perdre les deux, ce n'est pas possible, ça n'arrive jamais. Si le gars avait perdu les deux, je n'aurais pas hésité à les ramasser. Pour les rendre. Ou pour les garder peut-être, car comment retrouver justement le propriétaire?
     Mais s'il n'est pas loin, le perdeur, et que je le rencontre, je pourrais le lui rapporter, si je le ramasse… Et puis quoi, s'arrêter pour un gant unique? Est-ce qu'on s'arrêterait pour ramasser une chaussure, par exemple? Pour un bonnet, une casquette, un chapeau, je veux bien. Mais un objet séparé de son indispensable pareil, est perdu pour tous. Il est impossible de trouver deux gants semblables, en deux endroits différents. Il y a donc très peu de probabilités d'en reconstituer une vraie paire. Mais enfin, j'aurais peut-être dû...
     — Arrête de penser au destin des objets perdus, et profite plutôt du moment!
     Elle n'a pas tort, ma petite voix intérieure, car le temps de ces réflexions s'est écoulé en terme de distance, et maintenant, de toutes façons, c'est trop tard, l'objet perdu, ne sera pas trouvé, et il est déjà loin derrière.
     Nous continuons de rouler de longues minutes sur cette route déserte, accumulant toutes ces petites joies que vous accorde la balade à moto par beau temps dans un cadre agréable. Une vingtaine de kilomètres ont été parcourus depuis l'incident du gant. J'ai perdu de vue mon compagnon de route. Sans doute a-t-il accéléré après avoir succombé à une petite soif d'adrénaline, pendant que je rêvassais dans les derniers lacets du col.
     Justement, j'y arrive, au col, et je vois la BM vide de son cavalier, posée sur la béquille latérale, sur le large terre-plein. Lui, est allé jusqu'au milieu de la chaussée, se baisse et revient vers moi en tenant un objet dans la main :
— Regarde, j'ai trouvé un gant de motard!



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