— Alors, pas un mec qui s'arrête pour vous
aider?
Dans mon dos une portière a claqué et maintenant
cette voix de femme, agréable, mais un peu inquiète.
Je suis encore penché en avant, le dos collé à ma
moto, en train de tenter de la redresser*, mais la fin du mouvement se déroule
mal, car si j'ai bien la poignée droite et le frein serré dans la main gauche,
j'ai du mal à trouver une bonne prise pour l'autre main, à cause de la sacoche
cavalière qui recouvre le cadre de la moto.
Je sens bientôt l'engin de 230 kg qui finit de se
redresser. La béquille latérale sortie, nous nous faisons face. Elle sourit
lorsque je la remercie de son aide et que je lui dis que ces acrobaties ne sont
plus de mon âge.
— Faites comme moi, dit-elle, prenez une CB 500,
c'est plus léger.
J'ai donc à faire à une motarde, ce qui explique son
comportement altruiste.
Oui, mais une moto ce n'est pas fait que pour
tomber :
— Je sais, mais j'aime bien les 4 cylindres, et
la Seven Fifty est une merveilleuse moto.
J'avais quitté la grande route pour visiter un
hameau voisin, attiré par la petite église. Un bâtiment tout beau, qui venait
sans doute de faire toilette, sur une placette claire et ensoleillée comme dans
un pays du Sud (le petit hameau de la Cadière**) :
De retour au stop de la grande route, le guidon
tourné à droite j'attends pour démarrer. Quand vient mon tour, les automatismes
de mes mains se déclenchent pour un acte mille fois répété. Mais je ne devais
pas être en première, et l'accélération n'est pas suffisante pour la dose
d'embrayage que j'ai délivrée. Tout à la fois, la moto hoquète, cale et se couche
(en douceur parce que je la retiens le plus possible).
Je m'étais retrouvé à cheval au-dessus d'une masse
inerte, illégitimement vautrée dans le gravier.
Pas de dégâts, à part quelques griffures. Ma
gentille secouriste parle beaucoup, elle est plus émue que moi. Avant de partir
vers sa voiture, elle m'inonde d'effluves de Mintos en s'inquiétant pour ma
santé.
Je suis à deux pas du Vigan, où j'ai hâte de rejoindre
la route qui mène au Col du Minier. Une ancienne course côte dans les années
60. Je n'ai que de bons souvenirs de cette épreuve magnifique de 20 km, qui me
laissait essoufflé par le stress, et trempé jusqu'aux os par la transpiration.
Mais dans un bonheur incommensurable, après un quart d'heure de glissades au
ras des falaises et au bord des précipices, au volant de petits bolides à
moteur arrière comme la Dauphine 1093 ou la berlinette Alpine.
La petite route déserte d’autrefois est aujourd’hui élargie et très fréquentée, et les frondaisons masquent les ravins d’antan. J’ai du
mal à retrouver mes marques, mais certains virages me sont encore familiers,
comme le dénommé « la cravate », interminable, dans lequel je n’avais
pas osé passer la 4ème. Dans un déchainement de décibels,
l’aiguille du compte-tours avait atteint 8300 tours, mais le 1300 Gordini avait
bien résisté à cette maladresse. Un démontage plus tardif avait montré cependant que les soupapes étaient allées embrasser les pistons sur la tête...
Je sais que ce jour-là mon classement ne devait pas être trop mauvais, puisqu'il s’était
traduit par un joli chèque glissé dans une coupe argentée…
Plus loin, la route vers les sommets est faite pour
déchaîner les enthousiasmes et faire rugir les moteurs. De belles courbes qui
invitent à l’abus, sinon à l’intempérance… Tout en restant dans un cadre très
proche des vitesses autorisées.
Les prises extrêmes d’angle jouent le même rôle que
les glissades en Alpine, et sollicitent nos surrénales pour un débit accru
d’adrénaline.
Les reprises en sorties de virage n’ont rien à voir
avec celles que nous accordaient parcimonieusement nos voitures d’antan. Ma
moto, qui a 18 ans et 81000 km, accélère tout de même comme la meilleure des Porsche,
et je ne sais pourquoi, j’ai toujours la manie de vouloir le vérifier…
Après un salut au monde d'en-bas depuis
l'observatoire du Mont Aigoual, je rejoins mes potes partis la veille, qui ne
m'attendaient plus. À deux, ils occupent une chambre à 3 couchages (lits
superposés).
Sur mon instigation, la jeune femme de l'auberge
m'accompagne jusqu'à leur porte et leur demande :
— J'ai un client de dernière minute,
accepteriez-vous de partager votre chambre avec lui?
— (Hésitation...)
L'un d'eux avance la tête et m'aperçoit :
— Ah, mais c'est lui!
On s'embrasse comme si on ne s'était plus vus
depuis 10 ans,
— Alors, raconte!
Je raconte que j'avais cru ne pas pouvoir me
libérer au dernier moment, mais que tout s'est débloqué.
Ils me disent leurs petits plaisirs de la journée
dans l'ombre des gorges et au soleil des crêtes, et pour l'un, les joies que lui
procure sa nouvelle BMW 1200S Adventure, un monstre rutilant de technologie parfaitement
maîtrisée.
Nous sommes dans l'un de nos spots favoris,
l'auberge du Chanet, à Nivoliers, sur le Causse Méjean, loin de tout, dans un
joli petit hameau. Le patron nous a accueilli avec une chaleur réservée aux vieux amis, et les repas seront à la hauteur de nos souvenirs, dans la salle-à-manger
voûtée. Une toujours excellente adresse.
Nivoliers :
Contrairement aux prévisions, le temps a été
parfait, et nous n'avons pas eu droit au feu de cheminée. Par contre une
ambiance des plus animées, auberge et gîte complets jusqu'au dernier bas-flanc.
Avec, le deuxième soir, deux douzaines de joyeux motards d'Angers, qui partiront en caravane, tard dans
la nuit pour leur hôtel à Florac.
Le lendemain, nous allons zig-zaguer jusques aux
landes de l'Aubrac. Je sais que nous croisons le chemin de Compostelle, aux
abords de Nasbinal, lorsque je vois se détacher sur le ciel menaçant un couple
de marcheurs aux grandes jambes, maigres silouhettes silencieuses, comme
sorties de nulle part.
Dans cet espace aride et désert, une photo aurait
été fascinante, mais il m'est toujours impossible d'agresser de mon objectif
des gens qui ne demandent rien, comme ceux-ci, que je n'avais aucun droit de
déranger dans l'intimité de leur effort.
Un peu avant c'est l'image lointaine de deux
pêcheurs, figés au bord d'un ruisseau paresseux qui serpente dans la prairie.
Nos errances nous mèneront de petites routes en
toutes petites routes, certaines ne pouvant guère laisser passer un camion.
Mais que de beaux paysages!
Sur cette photo, prise de la main gauche, les 3 motos sont présentes...
Juste pour faire l'original, je me paie une panne
d'essence dans la montée d'un petit col, alors qu'il était décidé de s'arrêter
au super-marché du village suivant.
— Pas de problème, je passe sur la réserve.
Mais, surprise, le robinet est déjà en position "Réserve". Bien sûr, la moto ne démarre pas, même après avoir été
secouée et penchée. Comme je m'étais arrêté un peu avant pour une photo, mes
complices, déjà loin, ne peuvent pas être prévenus.
Je décide de faire demi-tour et de descendre en
roue-libre au village où nous avons déjeuné. Une factrice dans sa Kangoo jaune
m'assure qu'il y a une station-service juste en bas de côte, dans la rue transversale où je n’aurai à
pousser la moto que sur une centaine de mètres. Ce qui se vérifie. Je m'attends
verser dans le réservoir une quantité d'essence peu habituelle, 22 ou 23
litres. Mais surprise, à 16 litres le réservoir est à ras-bord!
Un mystère que je n'ai pas encore éclairci. Je sais
que le robinet d'essence sur cette moto est une vraie usine à gaz. Il est possible que le
passage de l’essence ne soit pas assuré si il était en position
« Réserve » à l’avance.
Je reprends la route sans découvrir mes lièvres de
copains, qui seront rejoints après plusieurs tentatives de contacts
téléphoniques.
Pour le reste, je ne puis vous décrire les beautés
que nous avait réservées la nature. Si vous voulez les connaître, il faut y aller, la
France est si belle lorsqu'elle n'est pas trop habitée.
En ce moment, les fleurs jaillissent en prairies, en
massifs et en buissons, et ajoutent à leur parfum les éclats de leur palette.
Les falaises et les rochers qui ont vu la préhistoire, vous salueront au
passage, les ruisseaux chanteront pour vous les légendes d’antan. En plus de
leur convivialité, les aubergistes ajouteront à leur menu les conseils précieux pour les itinéraires à venir…
Et sur les routes blanches de la carte Michelin,
vous ne verrez pas plus d’une auto toutes les 10 minutes. Un véritable mais
bienvenu anachronisme.
Oui, allez-y ! N'attendez pas votre hiver comme moi...
*Pour les non-pratiquants, je dois préciser qu’une
moto se redresse plus facilement si l’on lui tourne le dos et que l’on la
pousse vers le haut avec les reins en dépliant les jambes, en utilisant ainsi la force des cuisses.
Cette technique exige cependant que la moto soit freinée, qu'elle ne glisse pas pendant le redressement, et que les deux mains trouvent une excellente prise. De frêles
motardes parviennent ainsi à relever des motos de 300 kg.
(Photos D.C.O.)
**M'apercevant de mon erreur, je rectifie : le village s'appelle La Cadière de ..., et non Cabriès !
**M'apercevant de mon erreur, je rectifie : le village s'appelle La Cadière de ..., et non Cabriès !
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