Nombreux
sont les curieux chroniques — qui me ressemblent — prêts à s’intéresser à des
sujets peu académiques, à des notions que les scientifiques et les penseurs modernes
mettent en doute ou réfutent, à des domaines dont on ne sait pas vraiment s’ils
sont à classer dans les légendes ou dans la réalité de l’homme.
Souvent,
ces personnages à l’esprit en éveil ne savent quoi en penser. Parfois, leur
quête les jette à corps et argent perdus dans les bras de gourous, ou de
charlatans à l’affût. D’autres fois, ils restent sur leur quant-à-soi, conscients
de leur frustration.
La
culture n’est pas limitée à telle ou telle branche de la connaissance, et cette
dernière n’a aucune raison d’être cautionnée ou non par la science, pas plus
que par les historiens ou les philosophes, les mathématiciens, ou l’autorité
religieuse. Elle est infinie, et son abord ne pose qu’un seul problème, important,
qui est celui de la vérité : est-ce que ce qui m’intéresse ici est
vrai ? Le rédacteur est-il qualifié pour parler de ça ? Y a-t-il quelque
chose d’oublié, de perdu dans le temps, de déformé par ignorance ou de caché par
calcul ?
Autant
de questions auxquelles il est très difficile de répondre : une aubaine
pour les escrocs de tout genre qui n’hésitent pas à mijoter leur petite salade appétissante,
assaisonnée de formules charmeuses récupérées à droite et à gauche.
C’est
le cas, par exemple, de la sophrologie, de la kinésiologie, du yoga, du tai
tchi tchuan, etc. Le contenu ne correspond plus à ce que désignait le nom à
l’origine. La doctrine de base (indispensable pour savoir ce qu’on fait, et
pourquoi), est absente ou totalement ré-inventée. Seule l’avidité des
officiants est réelle…
C’est
ainsi que la médecine chinoise antique, qui m’est familière aujourd’hui, était
autrefois pour moi bien mystérieuse. Ces histoires de traitements à l’aide
d’aiguilles ne pouvaient pas être sérieuses !
J’avais
raison. Et tort.
C’était
vrai, parce qu’il ne s’agissait à l’époque que d’acupuncture, dont les
promoteurs occidentaux n’étaient pas qualifiés, avaient été mal renseignés, trahis
par des traducteurs qui ne connaissaient rien au sujet.
C’était
faux, parce que la véritable médecine chinoise ne consistait pas en cette
simpliste aiguillo-thérapie qui n’était qu’un assemblage hétéroclite de
procédés que leur origine exotique rendait un peu magiques, parsemés d’erreurs
et de lacunes, sans liens aucuns avec une base traditionnelle, comme cela aurait
dû l’être.
Puis,
j’ai eu la chance de rencontrer LE spécialiste de la médecine chinoise
traditionnelle, Jacques André Lavier, qui en a montré la profondeur et
l’extrême rigueur. Et depuis notre rencontre avec les enseignants et les
chercheurs chinois dont j’ai parlé plus haut*, j’ai la preuve qu’il est sans
doute le seul au Monde à avoir non seulement compris cette science, mais à
l’avoir restaurée presque exhaustivement. L’un n’allait pas sans l’autre. La
mort l’a malheureusement empêché de terminer une tâche commencée 40 années plus
tôt.
Ce
préambule me permet donc de parler légitimement de la véritable médecine
chinoise traditionnelle comme d’une science à part entière, et qu’en bons
cartésiens, nous avons envie de comparer à nos modernes connaissances.
Mais
la comparaison est impossible. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
La
médecine dont il s’agit ici ne porte pas l’attribut traditionnelle par hasard : elle tire son argumentation des
Principes universels sur lesquels s’appuie la Tradition primordiale. Ces
principes sont le résultats de constats, ce ne sont pas des constructions
intellectuelles, ni des théories philosophiques.
L’homme
de la Tradition se savait partie intégrante de son environnement terrestre et céleste,
et pensait devoir en suivre précisément les cycles. Ceux-ci, organisés par le
ciel (rythme circadien, saisons, lunaisons, etc), donnaient à ce dernier une
importance toute particulière qui poussait l’homme de l’époque à vouloir en
respecter les incitations, dont voici la plus banale d’entre elles :
—
"Quand il fait jour, je me lève,
quand il fait nuit, je me couche"…
D’autres
observations de la nature qui l’entourait, avaient permis à l’homme de
comprendre le Monde qui l’abrite, avec sa hiérarchie indiscutable, avec ses facettes qualitative et quantitative.
Restant
à l’affût des phénomènes cosmiques, l’Homme commençait ainsi à se construire un
mode de pensée particulier, connu sous le nom de Tradition primordiale, ou
grande tradition, universellement répandue. L’homme va établir, pour s’y
conformer, des lois de correspondance à partir de ses observations. En Chine, la tradition va alimenter le taoïsme. En
Occident, elle va perdurer jusqu’au Stoïcisme, qui disparaîtra en même temps
que se répand le christianisme.
Dans cet état d’esprit, les auteurs
du Nei Tching Sou Wen (le plus ancien livre connu sur la physiologie), laissent
entendre que, sans le Ciel, l'homme ne pourrait vivre longtemps. Ils expriment
ainsi la nécessité des influx célestes pour le maintien en vie de l'individu, ou
pour la pérénnité de l'humanité tout entière — alternative qu'il nous est
impossible de trancher, étant donnée notre ignorance quant à la capacité de
l'être, ou celle de l'humanité, à continuer une vie normale, c'est-à-dire qui
réponde aux critères définis par la tradition, en cas de privation totale et
durable de contact avec le Ciel.
Bien sûr, les influx en provenance du Sol
sont aussi nécessaires et indispensables. L'homme trouve enfin sa position métaphysique entre le ciel qui le domine et le sol qui le soutient.
La
médecine chinoise antique est un exemple de science construite à partir d’une telle
connaissance intuitive. Elle ne peut se
résumer à une liste de recettes, une succession de procédés thérapeutiques. Son
autorité n’est assurée que par ses références à la Tradition : sa
complétude n’est obtenue que lorsque sa mise en œuvre est faite sous le
contrôle de la connaissance des notions qui lui servent de fondement.
De son côté, une
science moderne est le résultat d’un savoir, un savoir qui change selon
les expérimentations réalisées, ou les résultats statistiques, un savoir qui
s'extravertit au point de simplifier pour mieux vulgariser, et dont une des
motivations principales est l’adaptation des éléments naturels (donc du Sol) au
bénéfice de l'homme.
C'est donc la connaissance,
qui sert de support à toute science traditionnelle : elle est stable comme le
sont ses principes, et exprime les possibilités de l'homme qualifié, tel qu’il
l’était à l’époque, légitimement porté à entretenir d'harmonieux rapports avec
l'environnement (que les métaphysiciens appellent la manifestation), dans le cadre d'une connaissance initiatique. Une phrase de l'ouvrage Uranologie
chinoise de Jacques André Lavier, résume ces divergences :
— "Les anciens Chinois visaient
à connaître, alors que notre scientifique contemporain veut savoir."
En ce qui concerne
les moyens d’action utilisés par ces deux sciences, on peut dire que la
médecine scientifique moderne veut agir sur la maladie, sans tenir compte de
principes extérieurs qui n’entrent pas dans le cadre de ses préoccupations.
Quant à la médecine traditionnelle, elle a pour objectif de faciliter chez le
malade la réalisation ou la préservation de toutes ses possibilités physiologiques
ou mentales, en lui permettant de retrouver une conformité avec les rythmes cosmiques,
afin que son organisme parvienne à régler ses problèmes — aidé en cela par des
manœuvres thérapeutiques spécifiques, la plupart du temps choisies par analogie
avec le macrocosme.
Remarquons au
passage l’importance que prend ainsi cette “science du Ciel“ appelée Uranologie,
dont je parle par ailleurs*.
Je voudrais faire
remarquer, par comparaison, la pauvreté de l’acupuncture
basique, mise en évidence par ce qui précède : l’acupuncture ne se suffit
pas en tant que médecine, car elle n’est qu’une arme thérapeutique, que ses
vulgarisateurs n’avaient pas, faute de connaissances suffisantes, rattachée à une
doctrine originelle.
En conclusion, et d’une
façon plus générale, on conçoit mieux maintenant, pourquoi ces deux catégories
de sciences (traditionnelle et moderne), ne peuvent se comparer. En outre, il
faut rappeler l’importance que prend ici le statut particulier de l’homme
primordial, totalement imprégné dans la nature, rasséréné par la conscience de
son état privilégié légitime au sein de la manifestation, par l’assurance de son
avenir et de sa finitude dans un monde familier dont il était une partie
constitutive.
On ne peut que constater que ce qui nous différencie de lui, est
incommensurable.
*Voir mes articles :
- L’uranologie
chinoise de retour à la maison.
-
L’uranologie nous concerne-t-elle ?
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