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mardi 6 novembre 2018

À vélo vers Compostelle...

Aujourd'hui, un léger accès de nostalgie me conduit à revenir sur une toute petite épopée à vélo que j'ai accomplie il y a déjà vingt ans : un voyage vers Compostelle.

Pour la plupart des partants, il s'agit là d'un pèlerinage dévot un peu punitif, destiné à faire amende honorable, et peut-être bénéficier de la grâce divine qui les lavera de leurs péchés. D'autres disent qu'ils veulent “se retrouver" (?), ou “découvrir le Chemin“, sans trop savoir ce qu'ils attendent, ou ce qu'ils cherchent.

Moi, je voulais simplement faire toilette un peu sportivement des soucis et des contraintes liés à mon difficile métier, accumulés pendant 40 ans. Et j'ai choisi Compostelle pour avoir le plaisir de me plonger dans la gloire ancestrale et profane de ce chemin d'initiés, que les chrétiens ont plus tard adapté à leurs croyances.
Et prendre la route le nez au vent, sans précipitation ni contrainte, en retrouvant au passage des symboles de la grande Tradition, me semblait constituer la meilleure façon de marquer la fin de mon exercice, et de fêter mon retour à la vie sereine.

Adepte du vélo depuis des décennies, comme le regretté Jacques Faizant je considère que “le cycliste est un piéton miraculé“. Alors pourquoi se faire du mal et des ampoules en marchant, alors que la jolie petite reine vous tend gentiment son guidon. Elle vous soulagera de votre poids : vos efforts ne serviront qu'à avancer, et plus du tout à vous porter.

Mon vélo est un VTT en titane, mais de simple facture, avec juste une fourche télescopique, mais avec le choix de 24 vitesses. Sa rigidité et sa légèreté le rendent très agréable. Tout équipé de mes petits bagages et d'une bouteille d'eau d'un litre, il ne pèsera que 20 kg.

Les essais durent depuis quelques semaines, j'ai un peu d'entraînement, et j'ai parcouru plusieurs fois plus de 100 km autour de chez moi avec tout l'équipement, pour voir. Et tout se passe bien, sans fatigue ni courbatures. 

Alors, malgré un gros rhume, je pars...


Seule la partie dessinée en rouge constitue le véritable Chemin de Compostelle originel,
considéré comme un Chemin d'Initiation
(Image en provenance du site La Caminade)



LE VOYAGE

Samedi 5 septembre : Arles-Lattes (89 km).
La bicyclette était prête depuis hier, les affaires bien tassées dans le sac arrière (en forme de boîte aux lettres américaine) et le sac de guidon. La banane autour de la ceinture, bien gonflée, elle aussi. Poids du vélo nu : 10 kg. Le même avec porte-bagages et sacs divers, plus le bidon d'un litre d'eau : 20 kg. Pour le cycliste, les chiffres étaient respectivement 79, et 80 avec la ceinture-banane...

Devant l'insistance... générale, j'ai accepté de court-circuiter la première étape, comportant la traversée peu gratifiante de Marseille et de la plaine de la Crau, et de me faire conduire à proximité d'Arles en voiture.
Le faux départ a eu lieu à 8 heures 45 de la maison. Vers 11 heures, en pleine Camargue, le vélo est remonté, chargé, et les photos prises, qui auront bien sûr pour légende :
"En route pour de nouvelles aventures!"
Le temps est très doux et la route belle, un vrai plaisir. Les petits pneus slick ont un excellent rendement sur le goudron, et j'ai l'impression de rouler sur mon vélo de course. Les miasmes de la bronchite devraient vite disparaître.

 J'achète des fruits au bord de la route, mais comment laver le raisin ? Finalement, pas lavé, il est aussi bon…
La route qui traverse la Camargue, est quelque peu monotone, mais j'arrive bientôt à Aigues-Mortes, les derniers kilomètres parcourus sur le bord du canal, ce qui varie un peu le paysage. Mais ici, dans le sol meuble et sablonneux, les petits pneus ne sont pas à leur affaire : on ne peut pas tout avoir. Après le centre-ville, je cherche à continuer ma route le long du canal, mais je me retrouve dans un cul-de-sac, arrêté par l'eau : 3 km pour rien, plus 3 pour revenir. Plus tard, je m'apercevrai que plusieurs canaux ou voies d'eau se croisent, sans pont, ce qui m'aurait de toutes façons arrêté.

Les panneaux routiers étant faits pour les voitures, par définition pressées, je me retrouve sans le vouloir sur une route qui ressemble à une autoroute, et qui ne figurait pas sur ma carte un peu ancienne. Elle ignore totalement le bord de mer. Tant pis!
Je retrouve le rivage un peu plus loin, après avoir cependant traversé La Grande-Motte sans apercevoir le moindre bout d'eau bleue. Sans doute fallait-il chercher les panneaux "Plage" ou "Port" et faire le détour ?
A Carnon, après un sandwich-camionnette, je pique vers l'intérieur des terres en direction de Lattes (une banlieue de Montpellier) où je compte trouver un choix d'hôtels. Las, bien qu'il ne soit que 16 heures, tous ceux que je vise sont complets, car nous sommes samedi.
Et j'ai déjà mal au fondement!

Je finis par en trouver un dont le patron, au téléphone m'annonce un prix de 180 F. Il s'avèrera que j'ai mal compris, c'est un motel, à 380 F. Après bien des difficultés, j'y arrive enfin. J'ai demandé ma route cinq ou six fois, même à des gendarmes (c'est tout dire), mais les gens d'ici ne savent pas du tout expliquer, ce doit être génétique* …
Le patron, un Bônois, me permet de rentrer le vélo dans la chambre. Après un petit casse-croûte puisé dans les provisions achetées en route, je m'endors rapidement. 

Je suis réveillé très désagréablement à 3 heures du matin par des pulsations hyper-basses que je n'identifierai que quelques secondes plus tard comme provenant de la discothèque voisine. Impossible de se rendormir avec ces infra-sons terribles sur un rythme de techno.
Finalement, je finis par téléphoner à la police de Montpellier, qui me dirige sur la gendarmerie de Lattes. Malgré plusieurs appels, le bruit continuera jusqu'à 6 heures pile. Quand les boum-boum s'arrêtent enfin, je me rendors d'une masse jusqu'à 8 heures.
Au petit déjeuner, le patron qui avait été réveillé par mes soins vers 4 heures, me demande alors de relater ma mésaventure sur un papier. Ce que je fais volontiers. Mais je ne saurai jamais si c'est pour ma catharsis personnelle ou pour en faire vraiment usage dans le cadre d'un contentieux qu'il me dit avoir avec cette discothèque. Petite nuit!

Dimanche 6 septembre : Lattes-Le Somail (132 km)
Départ à 8 heures 45 et vaine recherche de "l'ancienne petite route". Les explications du patron ne sont pas plus fiables ce matin que celles qu'il m'a données hier au téléphone pour trouver son hôtel, et je me retrouve sur la voie rapide, encore une fois. Le monde moderne donne une priorité absolue à ces routes directes, à tel point qu'on ne voit plus de panneaux sur les routes secondaires, les plus adaptées aux vélos.
C'est ainsi que je roule sur une sorte d'autoroute ennuyeuse, dont le bas-côté n'est pas très bon, pendant plusieurs kilomètres. Seule distraction — si l'on peut dire — le nombre incalculable de lapins écrabouillés par les autos. Ils sont secs et plats comme du carton, ce qui laisse penser que la saison faste est passée. À raison de 1 tous les 10 mètres, cela fait quand même pas mal de gibier enlevé à la convoitise des chasseurs. Parmi cette marqueterie tragique, de temps à autre, une couleuvre (de Montpellier, bien sûr).

Finalement, je parviens à rejoindre le bord de mer où s'étend une magnifique plage de sable blanc pendant des kilomètres. Pas un brin de vent, la mer fait au bord une vaguelette de 10 cm et brille comme un miroir. Il y a très peu de monde, mais beaucoup de Harley-Davidson depuis ce matin, bizarre.
Quelques kilomètres plus tard, sur une route à double voie, j'ai l'explication de cette invasion motocycliste : derrière plusieurs voitures roulant au ralenti et munies de gyro-phares, défile une caravane de quelques centaines (ou milliers ?) de Harley, brillant au soleil de tous leurs chromes. 

Après Agde et Sète, la route se continue, assez ennuyeuse, jusqu'à Villeneuve-les-Béziers. Où je découvre le canal du Midi. Je suis sa rive sud sur un petit chemin goudronné au début, qui va me faire traverser tout Béziers. Je ne quitterai plus ce lé pendant plus de 40 km, croisant de nombreux cyclistes, surtout près de la ville.
Quel calme et quelle douceur! Les bateaux vont à 10 à l'heure, très dignes. Je peux rouler à 18 ou 20 km/h sous les grands platanes, dont malheureusement les racines affleurent souvent : aïe mes fesses!

Après une petite halte auprès des étonnantes 9 écluses en escalier de Fonserane, où j'échange mes impressions avec un couple d'Anglais qui connaît très bien la région, je reprends ma route, le long de ce canal ludique. De nombreux canards, sauvages, mais pas farouches, habitent ici. Des gens leur jettent de la nourriture. Ils s'appellent en poussant des coins-coins puissants et cocasses qui rappellent ceux des cartoons.

Un petit problème se pose chaque fois que je rattrape des piétons qui ne m'entendent pas arriver. Le chemin est, la plupart du temps, assez large et comporte deux traces comme si des voitures y passaient. Le reste est recouvert d'une herbe très épaisse. Habituellement je ralentis fortement et m'approche en toussant (facile avec ma bronchite), ou en faisant grincer les freins quand ils le veulent bien. Mais presque toujours, je dis "Pardon, pardon…". Une fois, je m'approche d'un groupe de jeunes dames avec leurs enfants, en m'apprêtant à utiliser une de mes méthodes habituelles. Mais avant que j'aie signalé mon approche, une fillette me voit et s'écrie "Maman! Un vélo!". Aussitôt c'est la débandade et tout le monde se croise et se recroise. Alors que je pensais pouvoir passer entre le groupe et l'eau, je suis forcé de faire un brusque écart pour éviter quelqu'un et je tombe dans l'herbe, en douceur, mais tout près du bord, au grand affolement de ces dames, qui me voyaient déjà dans l'eau!


 Le canal du Midi
(Photo Joffrey Photographie)

Quelquefois, des bateaux sont amarrés à de gros piquets de fer enfoncés pour l'occasion dans le sol de la berge. Mais un plaisancier sans scrupules, avait fixé une de ses amarres à un arbre, et le cordage coupait le chemin à un mètre de haut. Seul un petit mouchoir blanc indiquait l'obstacle. Je descends de vélo pour passer dessous en imaginant ce qu'aurait été le choc dans la poitrine contre ce cordage de 2 pouces de diamètre, si je n'avais pas aperçu le petit signal… Un peu léger, comme comportement. 

Il faut quelquefois changer de rive, le chemin de halage n'ayant pas toujours été entretenu. Je passerai même dans un tunnel tout noir, sur un "trottoir" tellement étroit que les poignées de guidon raclent le mur et la balustrade. Je vois arriver une petite jeune fille qui va sans doute rejoindre le galopin aperçu un peu avant à coté de sa mob. Elle ne me laisse pas le temps de me ranger et passe par dessus la rampe, au-dessus de l'eau, pour me croiser. Ce tunnel se termine par un escalier très raide que je dois escalader, le vélo sur le dos. Le chemin passe par-dessus le tunnel et change de rive.

Plus loin encore, le chemin n'est plus qu'une petite trace glissante au bord de l'eau : il faut éviter les ronces et ne pas tomber dans le canal qui a rongé la rive. Je passe une fois ou deux à pied, et j'attrape une épine.
Je change de chambre à air près du joli pont de Pigasse, et me fait rattrapper par les bateaux que j'avais doublés. Plus tard, d'une de ces péniches, un italien me demandera si le pneu a bien été réparé.

Je sors mon portable pour téléphoner à la dame de la chambre d'hôtes du Somail et lui dire que je serai un peu en retard. En réalité, je le serai beaucoup plus que prévu… Car, par la suite, le canal se divise en deux branches, et dans le clair-obscur des sous-bois, je ne m'en rends pas compte, je continue sur la rive du nouveau canal qui va vers le Sud, alors qu'il aurait fallu traverser sur un pont et continuer à suivre le canal du Midi. Je m'en aperçois en arrivant dans un village que je n'avais pas vu sur l'itinéraire prévu sur ma carte. Bon, pas grave. Je demande mon chemin, et rejoins en tâtonnant (pas de plaques mais de nombreux croisements de petites routes au milieu des champs) le village du Somail à 19 heures. 


Le Somail

(Photo Joffrey Photographie)
 

Le cadre est magnifique : vieilles maisons couvertes de lierre, quais, plusieurs restaurants, de nombreux bateaux de croisière fluviale sont amarrés dans le canal comme dans un port. Les poissons sautent pour leur dîner de moucherons. Le calme absolu.
Douche, petite lessive et restau. Je me laisse influencer par la région et prends un cassoulet. Choix néfaste : aucun goût. Conserve ?
Le portable est muet, ici, le réseau Itinéris ne passe pas. Je téléphone à Claude d'une cabine et retire un peu d'argent auprès de "l'affreux caissier" du coin, comme on appelle les distributeurs de billets aux USA (Uggly tellers). 

(à suivre)


*En 1998, les GPS et les téléphones intelligents étaient fort rares...

Pour compléter votre information, vous pouvez aller lire cet article

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