le blogadoch2

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samedi 10 novembre 2018

À vélo vers Compostelle 2


 Voici la suite, pour les amateurs...

Lundi 7 septembre : Le Somail-Montréal (70 km)
Après une nuit longue et silencieuse cette fois (même pas une voiture), dans une chambre à l'ancienne, mais confortable, je me réveille à 6 heures et demie. Je prépare les bagages : il faut tout plier et replier pour que ça tienne dans mes petits sacs. Comme le petit-déj n'est prévu que vers 8 heures, heure du passage du boulanger, j'ai le temps de réparer la chambre à air percée.
La patronne du lieu, ne loue que 2 ou 3 chambres, et l'une d'elle occupée depuis plusieurs jours, se libère en même temps que la mienne. Elle me raconte que le jeune homme un peu effacé qui l'occupait, et que je croise, est le fils d'amis à eux, et qu'il s'est retiré ici à la suite d'un passage à tabac qu'il a subi dans une discothèque sans savoir pourquoi, a-t-il raconté. Il a le tour des yeux encore un peu jaune, mais effectivement, il a plutôt une bonne tête.
La note est prête : 185 F + 25 F = 210 F . Le prix est affiché dehors, à côté d'une publicité pour le Routard, où j'ai trouvé l'adresse.

Départ sous le crachin par une petite route qui ne va pas tarder à suivre le canal presque comme un chemin de halage. J'ai le coup d'œil sans avoir les secousses, c'est parfait. Hier avec 45 km de chemin cahoteux, j'ai eu ma dose, les petits pneus de 1,3 pouce, gonflés à 4 kg ne valent rien sur les chemins.
 Le paysage est magnifique et les petits villages qui ont poussé le long du canal sont un régal pour les yeux : Ventenac, Paraza, Roubia.
 A remarquer aussi la belle écluse de l'Aiguille, dont les abords sont décorés (?) de sculptures (??) faites par l'éclusier lui-même, un jovial gros barbu : racines et bois mort travaillés pour ressembler à des animaux ou des personnages monstrueux. Tout en éclusant un coup de flotte, je le regarde sasser un bateau, et je repars.
Pas de pluie. Pas de soleil non plus. Mon ombre n'apparaîtra que quelques instants, pour lécher les herbes du bas-côté, jusqu'à Argens-en-Minervois, où plusieurs villas en construction sont en briques, et non en agglos, comme vers chez moi. Le canal passe au bout de l'agglomération et je le traverse pour continuer mon chemin.

Petites routes sans charme jusqu'à Carcassonne. Puis nationale et longue traversée de la ville, qui, miraculeusement, me mène pile sur la route que je guettais, celle de Mirepoix.
Le vent, de face depuis quelque temps, fraîchit, et me contraint à un petit 10 ou 12 km/h, dans un paysage vallonné rappelant la Touraine. Comme mes forces baissent et qu'il est 1h et demie, je décide de m'arrêter contre un foudre publicitaire, posé au bord de la route. C'est le seul abri contre le vent dans cette taïga méridionale. Au menu: saucisson, fromage et banane.
Après une autre application, sans espoir, de pommade-pour-derrières-de bébés, je repars, et la pluie arrive brusquement avec éclairs, tonnerre et rafales de vent. J'ai revêtu le poncho de Didier, et le passe par dessus le guidon. Mais le vent le fait tourbillonner, j'ai de l'eau dans les yeux, je suis noyé par les gerbes que m'envoient les voitures. Pénible, et pas au point. Je m'arrête dans un abri de bus, après m'être fait une place en repoussant du pied l'amas d'ordures qui s'y trouve. Mais l'orage est bien installé, et comme je n'ai pas très chaud, je perds patience et repars dans la tourmente, bien décidé à atteindre au moins Montréal, en pensant au merveilleux cassoulet au confit de canard que nous y avions mangé, à 5 heures de l'après-midi, avec Claude, quelques années auparavant.
Alors que je peine contre les éléments dans la longue côte qui mène au village, j'aperçois un panneau indiquant un motel juste là, à côté, et l'allée qui y mène descend même un peu ! Dans les circonstances présentes, ça ne se refuse pas!
Le patron jovial m'accueille avec le sourire et, voyant mon équipement, me demande si je livre le "gratuit" local… Il m'invite à rentrer mon vélo dans la chambre, en me disant que depuis qu'il a eu l'équipe de France féminine de cyclisme, il sait ce que c'est. Le restaurant est ouvert, donc ce soir, pas de souci pour dîner.
Bain et sieste réparateurs, alors que la pluie a cessé. Au dîner, j'essaie encore le cassoulet, qu'on me garantit fait par la maison. Il ressemble fort à celui d'hier soir, avec ces espèces de saucisses sans goût, faites à base de … couenne ! Mais enfin, tout cela est fort correct pour le prix : chambre, dîner, petit déjeuner : 245 F.


Mardi 8 septembre : Montréal-Saint Girons (108 km)
A 13 heures, je déjeune au bord d'une petite route près de Foix. Une voiture toutes les 10 minutes, il fait un temps radieux. Je suis au soleil, presque couché contre un talus herbeux. Au menu : épi de maïs volé dans un champ, saucisson, bananes, et mûres de la haie voisine. La route a été éprouvante, avec un vent venant le plus souvent de face. C'est le vent du pays, "autan" emmerdant que le mistral. Il fait payer cher son rôle de chasseur de nuages. La pluie du départ n'a pas duré longtemps.
Je m'arrête à Mirepoix pour renouveler la provision de bananes et de pommes. Ce qui m'amène au cœur de cette magnifique ville moyenâgeuse, avec ses vieilles rues et sa place bordée de galeries en bois, qui jouent le rôle d'arcades devant les magasins.
Il n'y a presque plus de vignes par ici. La campagne est vallonnée, bien verte, avec des prairies, des champs de maïs et des bois. Beaucoup de petits villages viennent distraire la vue du pèlerin condamné à la grande route droite. Mais j'ai repéré une petite route blanche (blanche sur la carte Michelin) qui longe une rivière, nous allons voir ça…
Mon attente n'est pas déçue : la petite route qui (après une bonne montée), s'ouvre sur la vallée cachée, est adorable, avec ses belles prairies et ses rares maisons proprettes. Légèrement en descente, elle permet un petit 30 km/h sur le 42/11. Un vrai plaisir! On arrive, par Aigues-Juntes, au Mas-d'Azil. La "grotte", creusée à travers la montagne par le torrent, a été utilisée par les hommes qui ont construit la route à côté de la rivière, dans le tunnel naturel. Quelques projecteurs ne parviennent pas à mettre en valeur comme il le mériterait, ce site extraordinaire.
Ensuite, j'aurai droit à une longue montée sans > sur la carte, mais pénible quand même, à cause du vent, toujours présent. La fatigue aidant, on se dit parfois que le cartographe s'est trompé et qu'il aurait dû dessiner la route comme une arrête de poisson, avec des >>>> en quantité.
En approchant de Saint-Girons, la route redescend quelque peu, et permet d'admirer tranquillement de jolis ponts sur le Salat.
Je trouve un petit hôtel en ville, style 1930, où le patron gare mon précieux vélo à côté de sa moto, dans son garage personnel. Il est 17 heures, il fait doux, presque chaud. La ville est animée. De vieux bâtiments trempent leurs fondations dans le Salat qui coule par dessus des digues en faisant beaucoup de bruit. Fâché avec la cuisine locale, je dînerai d'une pizza grande et d'une bière fraîche. Dessert : cornet de glace au bord de la rivière, alors qu'il fait encore grand jour, car je me trouve déjà bien plus à l'Ouest, où le soleil tarde à arriver!

Mercredi 9 septembre : Saint Girons-Montgaillard (113 km)
Temps magnifique mais frais. Départ à 8 heures 25 par la petite route peu fréquentée qui longe le Salat sur sa rive droite : dans le sens de la descente. Encore une très jolie vallée, et une belle moyenne parmi les bois et les près trempés de rosée.
J'ai vu sur la carte qu'à Antist ("Il est d'Antist!"), il faudra tourner à gauche. Lorsque j'arrive au panneau du village, je constate sans surprise qu'un rigolo a rajouté un D devant le nom du village.
Plus tard, je m'arrête à Montrejeau et déjeune au soleil, au bord de la Garonne, à côté du pont, en partageant mon pain avec les poissons.
Lorsque je reprends la route, j'ai une mauvaise surprise : la rue monte, monte, au moins >> et sur la digestion, ça fait mal. Je comprends la raison du mont dans le nom de la ville.
 La route vers Capvern est très agréable, ainsi que la petite route blanche qui suit. Je suis heureux de voir mon ombre m'accompagner consciencieusement depuis ce matin. Beau temps et plaisir de rouler, bien que ces petites routes se préoccupent peu des pourcentages dans les montées. Les bosses sont terribles, mais les voitures rares. Paysages verts, verts, verts, vaches avec sonnailles, et … odeurs. L'herbe des prairies est vraiment exubérante, elle recouvre les bords du bitume : on a l'impression que si les hommes n'intervenaient pas les routes seraient carrément phagocytées!
Après m'être perdu quelque peu dans les croisements sans indications, et avoir poussé parfois le vélo dans des raidillons infernaux, je débouche finalement sur la grand'route près de Bagnères de Bigorre. Montée raide en ligne parfaitement droite, sur 1 ou 2 km. Dur, dur. Au sommet, il y a un bar qui doit s'appeler "Bar de la côte", ou quelque chose comme ça. Je cède à la soif et avale 2 demis avec grand plaisir. La jeune fille remplit mon bidon d'eau glacée que je ne tarderai pas à finir également.
D'ici, je téléphone à l'hôtel de Montgaillard, cité par le Routard. C'est à une dizaine de kilomètres. Après trois essais, j'abandonne, et malgré l'absence de réponse je décide de dépasser Bagnères et de pousser jusque là-bas. L'adresse indique : avenue du 11 Novembre. Après avoir parcouru les quelques rues du triste village, je demande mon chemin. On me dit que c'est à la sortie du village. En réalité, c'est en pleine campagne, au carrefour des routes de Luchon et de Bagnères.
Les patrons sont âgés et n'ont plus guère de motivation. La dame me prévient qu'elle ne fait pas de restauration. Mais plus tard, elle m'invitera à m'asseoir à une table, en me disant qu'elle doit faire la cuisine pour des parents, alors, un de plus… Jambon cru, melon, radis, côte de porc et spaghettis, fromage, gateau de patisserie, vin rouge du pays. Que demander de plus ?
Je me rends compte que je n'ai pas beaucoup d'espèces, et que l'hôtel ne doit pas accepter la carte bleue. Aussi je décide de ne pas prendre de petit déjeuner, n'ayant pas envie de retourner à Bagnères chercher de l'argent, au moment de partir.
Mais le lendemain, malgré mes dires, la dame me pousse manu militari vers "ma" table où m'attend "ma" serviette, une baguette de pain frais, un croissant, des confitures maison et du beurre. Elle m'apporte le café en me disant qu'après les malheurs qu'elle a eu, l'argent ne compte pas. Je lui devrai 26 F, même après avoir raclé le fond de mes poches. Sachant que je vais à Compostelle, elle me demande en échange, de dire une prière pour sa fille de 53 ans, récemment disparue, et qui tenait l'hôtel.
Elle tient à remplir mon bidon d'eau du frigidaire, et ne cesse de me demander si j'ai tout ce qu'il me faut! Merci, madame Lahaye, on aimerait rencontrer plus souvent des gens comme vous.

(à suivre).

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