Il est temps de repartir pour de nouvelles aventures...
Petit café et biscuits au
bistrot à côté de l'albergue. Il fait très beau, et frais. Des touristes
anglais m'appellent pour me montrer ce qu'ils viennent de trouver : une
pochette transparente munie d'un cordon, contenant la carte de l'étape du jour
pour piétons (17 km). Je demanderai en vain, à tous les marcheurs que je
rattrape si cela leur appartient. Cela me donne l'occasion de m'adresser à des
espagnols, des français, des hollandais, des brésiliennes, des indéterminés…
Finalement, j'accrocherai la carte à la dernière borne de l'étape figurant sur
le plan.
Le chemin fait suite à la route
goudronnée. Il est assez plat et comporte plusieurs aires de pique-nique, près
de petits ruisseaux. Je pense que ce genre d'endroits conviendraient pour une
halte de pèlerins cavaliers : de l'eau, de l'herbe pour les chevaux, et
quelques commodités pour les gens (avant d'arriver à Burgo Ranero).
Bientôt le chemin sera vraiment
une ligne droite jusqu'à l'horizon. Il longe une route en terre non fréquentée,
et est bordé de petits érables récemment plantés. L'horizon est tout rond,
comme la mer au large, et j'ai une pensée pour les piétons qui doivent se
transformer en automates dans ce cadre trop régulier et trop monotone.
Je ne sais si les routes en
terre comme celle que je longe sont fréquentes en Espagne, mais elles sont
parfaitement réalisées. J'en connais le secret, car hier, j'en ai pâti. En cet
endroit, on devait absolument passer sur la route en terre, en l'absence de
bas-côté fréquentable. Elle devint brusquement boueuse, une boue bien collante
que je sentais se plaquer dans les moindres recoins du vélo. Plus loin, je
rattrape un camion arroseur suivi d'un énorme rouleau compresseur. Donc :
gravier, eau et compression, permettent d'obtenir ce beau résultat.
Par contre, avec toute cette
boue, les vitesses ont du mal à passer et les petites roulettes du dérailleur
ne tournent plus guère. Je décide d'offrir un coup de Karcher (en espagnol : agua con pression) à ma monture bien
diminuée. Pour 4 F, je dispose de 2 minutes d'eau chaude sous pression, et
retrouverai un vélo tout rutilant. Pour à peine plus cher, mon intérieur à moi
sera détergé par une bière locale, bien fraîche. Je souris en lisant la marque
sur la bouteille : Mahu, ce qui veut
dire homo en … polynésien. Mais il ne doit guère y en avoir en Espagne (de
polynésiens).
Je continue sur la route
goudronnée jusqu'à Leon, que je traverse en cherchant la direction de
Ponferrada. Puis je lis sur les panneaux, successivement, des noms qui me sont
familiers depuis que je prépare ce voyage, et qui résonnent bien dans ma tête :
Valverde de la Virgen, Villadangos del Paramo, San Martin del Camino, Hospital
de Orbigo…
L'arrivée à Astorga se fera
sans problème, nonobstant cependant une bonne petite côte en finale, car il est
fréquent de trouver villes et villages au sommet de collines.
Je suis de magnifiques flèches
jaunes, qui me mènent … à la sortie de la ville vers l'Ouest! Demi-tour, et
questions à des passants, dont certains me conseillent finement de suivre les
flèches à l'envers. Mais il y a un moment où il n'y a plus rien, et les refuges
ne sont jamais très voyants.
Ces errances me conduisent sur
une place où se déroule une fête populaire : fanfare et tenues folkloriques.
J'ai remarqué que les hommes portaient avec bonheur foulard et ceinture de
tissu rouge, avec une chemise blanche.
J'y arriverai quand même, à ce
sacré refuge, municipal lui aussi. Petit, serré, et très peuplé. Ce soir, on
déménagera même le bureau de l'accueil pour mettre des matelas par terre, pour
les derniers arrivants, des cyclistes.
Le garage à vélos est à 200 mètres d'ici, dans
une très belle construction ancienne qui domine toute la plaine, entourée de
terrasses et protégée par de belles grilles. C'est un centre pour handicapés,
une vraie cour des miracles, mais bien tenu. Les vélos sont garés au fond de la
cour intérieure, sous un escalier.
Pas d'étendoir pour la petite
lessive, seulement un sèche-linge de poupée, posé sur l'appui d'une fenêtre.
Lorsqu'il est libre, j'y fourre ma serviette et mes chaussettes. Au bout d'un
long moment, la serviette est tiède et les chaussettes, plaquées contre le
tambour ont roussi d'un côté et sont toujours humides.
La ville ressemble à celles
déjà traversées, avec ses vieux bâtiments, ses places à arcades, sa cathédrale.
Alors que je m'offre un pot à la terrasse de la grande brasserie, des caméramen
de TV, bardés de batteries, de projos et chargés de lourdes caméras, filment un
personnage officiel à son arrivée en voiture noire, sous bonne escorte. A ce
moment, le campanile de la mairie (beau bâtiment du XVIIème), sonne l'heure, et
je dois être le seul à en sourire : le carillon est certainement très gravement
fèlé et le son émis est celui d'une vieille boîte en fer. Mais cela ne dérange personne,
apparemment.
Je dormirai sur la couchette du
haut, "au 3 ème niveau", sans ascenseur, mais avec échelle. Malgré la
promiscuité, la nuit sera très calme.
Jeudi 17 septembre : Astorga-Villafranca del Bierzo (80 km)
Les demeurés n'ont pas abîmé le
vélo et je cherche un coin au soleil pour faire le chargement. Ciel clair et
air frais, car nous sommes à près de 900 mètres d'altitude.
Le bar de la place est ouvert
et j'y retrouve mes nouveaux compagnons cyclistes, prenant leur petit déjeuner.
L'un est fonceur, et très bavard, l'autre plus calme. Ils ont 25 ans, et tout
leur tonus. Le premier veut aller jusqu'à O Cebreiro, ce qui l'obligera à
grimper deux cols assez durs, en fin d'étape. L'autre fera comme moi et s'arrêtera
au Bierzo. Pour justifier sa décision, il me montre le profil de la route sur
son guide, avec une mine de circonstance devant les dents de scie du schéma. Il
arrivera après moi, ayant suivi le Camino piéton, qui aujourd'hui était
cependant à 90% sur la route.
J'attends mon café pendant un
bon quart d'heure, ma commande ayant été court-circuitée par celle de la bande
d'officiels d'hier soir qui couchent ici et réclament juste à ce moment une
douzaine de petits-déjeuners.
Sur la route, il y a de grands
changements dans le paysage, depuis ce matin : les côteaux à céréales ont
laissé la place à des collines peu cultivées qui rappellent ces régions du
Maroc où poussent les arganiers. Ici, les arganiers sont des chênes verts. La
route monte sans arrêt, mais très légèrement. Je traverse des villages presque
préhistoriques, où la rue est bordée de huttes à peine mieux faites que celles
des Gaulois. Elles servent de remises bien sûr, mais sont-elles désaffectées
depuis très longtemps ?
Une grande montée, (en tout, il
doit y avoir 25 ou 30 km d'ascension) à l'excellent revêtement de bitume,
conduit à un col de 1500 m, les Montes de
Leon, point le plus haut du parcours. On ne peut s'empêcher de penser au
Pays de Léon breton, et de trouver un argument supplémentaire en faveur de
l'appartenance de cette région au monde celte.
Ici, se dresse la fameuse Croix de fer (Cruz de hiero) : une croix juchée au
sommet d'un poteau, le tout au point culminant d'un… tas de pierres, apportées
une à une, paraît-il, par les pèlerins, en guise d'offrande expiatoire.
Dans la montée, j'ai eu une
émotion en voyant de loin des personnes arrêtées, dont l'une était allongée sur
la route : accident ? malaise ? En m'approchant, je vois le "blessé"
se relever en tenant à bout de bras son vélo. Il maintenait le vélo sur son
ventre, pendant que son compagnon le réparait! Un chiffon tombé dans le
dérailleur avait tout bloqué et sous l'effort du pédalage, la patte de
dérailleur s'était rompue. Lorsque j'arrive, le dérailleur est supprimé et la
chaîne raccourcie n'autorise plus qu'une seule vitesse. Mais ça marche, et les
deux espagnols de Irun repartent avec d'étonnants chargements brinquebalant sur
des sièges de bébé.
Voici des villages abandonnés,
comme Foncebadon, ou Monjarin. Avec quelquefois un sursaut de vitalité : dans
le premier, une ruine en cours de restauration très active, au bord de la route
: future halte pour pèlerins? Dans le second, une échoppe semi-troglodyte,
encastrée dans la colline, tenue par un "ermite" qui propose mille
services aux pèlerins, et affiche les distances séparant cet endroit des
principaux lieux sacrés du Monde.
La petite route serpente
jusqu'à Acebo, où la fontaine est signalée, merci. La rue principale est fort
étroite et les maisons très anciennes comportent toutes un balcon de bois,
perché au-dessus de la chaussée. Les guides vantent la gastronomie locale, aussi, je ne suis pas
étonné de voir devant un estanco insignifiant, une rangée de sacs à dos, et
quelques vélos : le bon plan du coin, sans doute.
La route croise très souvent le
Camino qui, ici, fait de petites incursions à droite et à gauche, coupant un
virage par-ci, une colline par-là. J'emprunterai pour voir, un de ces sentiers,
l'espérant trialisant. Ce ne sera qu'une sente monotrace tellement envahie par
les bruyères que même les piétons doivent s'y faire griffer les jambes.
Des cyclosportifs sur de beaux
vélos de course me doublent dans une côte, mais le dernier a bien du mal à
suivre le rythme, et je le vois longtemps, à 100 mètres devant moi. Il va même
mettre pied à terre, et, au moment où je vais le rejoindre, il remonte sur son
vélo, et lorsque j'arrive au col, il sera installé avec les autres à la
terrasse du petit café. Ils me crient :
"¡Buon Camino!". Il est vrai que, la distance parcourue depuis le
départ est telle que l'on ne demande plus où l'on va. Quelquefois simplement
d'où l'on vient.
Les guides annoncent une
descente dangereuse, par le chemin. Les Ponts et Chaussées locaux en font de
même à destination des cyclistes circulant sur la route. Les 15 km demandent de
bons freins, bien sûr, mais ne sont pas plus difficiles à négocier que nos
descentes de petits cols de par-ici.
Molinaseca est un joli village
au bord de la rivière, avec des maisons à vérandas plus récentes, de belles
villas avec pelouses, et un vieux quartier pittoresque.
Par contre, la longue montée
sur Ponferrada est sans intérêt, tout comme celle qui mène à Villafranca del
Bierzo, 20 km plus loin.
À Ponferrada (nom venant d'un
pont en fer jeté sur la rivière au XIème siècle), il ne faut pas rater le
magnifique château des Templiers, très bien conservé, au point culminant de la
ville. L'utilisation du fer dans les constructions était très rare à l'époque,
mais les mines de fer toutes proches, et la volonté de l'évêque du coin ont fait
le reste. Ce pont existe toujours, mais il est noyé sous du moderne béton.
J'arrive au refuge à 15 heures
30, c'est une albergue municipal, un
petit bâtiment à étage, un peu en dehors et au-dessus du village. Il y avait
aussi un gîte privé en face de la vieille église, mais l'approche n'en était
pas très engageante, avec de nombreuses pancartes faites à la main, un style un
peu trop baba cool à mon goût. Depuis, je sais qu'il est cependant fort
sympathique.
Il fait très chaud, mon linge
sera vite sec. Je descends au village à pied faire quelques emplettes. Et
toujours des cafés avec terrasses, proposant des bocadillos (sandwiches-baguettes) et aussi des… sandwiches (sandwiches au pain de mie).
Je trouve du raisin muscat très engageant, et je m'en ferai une ventrée, de
retour au refuge.
Les maisons sont grises, comme
l'ardoise des toits. Les habitants semblent un peu fermés, et des slogans
peints réclament une reconnaissance de leur identité. Souvenir de la période
faste mais courte du XIIème siècle où Villafranca fut capitale de la région
pendant une douzaine d'années ? Je crois plutôt à un état d'esprit assez
répandu (comme chez nous), concernant l'indépendance régionale. Car la province
de Leon affichait déjà "Leon
solo", et en Galice, les panneaux routiers seront corrigés à la
peinture pour supprimer "El"
ou "La" devant les noms de
lieux, et les remplacer par "O"
ou "A", comme le veut le
patois local.
Vendredi 18 septembre : Villafranca del
Bierzo-Sarria (80 km)
La route de Lugo (nom à
rapprocher de celui de Lug, divinité celte) est très large et commence par un
faux-plat, dans la vallée creusée dans la montagne par un torrent. On passe
d'un pont à un autre, et certains constituent de magnifiques exploits
techniques, très hauts au-dessus du lit de la rivière. Mais cela ne suffit pas,
on superpose à cette série d'œuvres d'art, une autoroute, qui va certainement
exiger des crédits pharamineux. D'immenses piliers de ponts circulent sur des
remorques sans fin, des collines sont rasées, des ravins comblés. On assiste au
concours du viaduc le plus haut, du pont le plus long, ou le plus acrobatique,
à raison de un par kilomètre. Le péage ne sera certainement pas donné.
Et je monte de plus en plus. Le
sommet sera Piedrafitta, la traduction de pierre
fitte, pierre levée, qui se dit en breton men hir. S'il y en avait une (et il devait forcément y en avoir une
ici), il y a longtemps qu'elle a disparu. Elle devait marquer l'entrée en
Galice (terre celte par excellence), comme celle qui se dresse encore à Dol en
Bretagne, à la limite entre la Normandie et la Bretagne.
Après une petite collation
bananesque, je quitte la route de Lugo et prends la direction de O Cebreiro. La
montée continue, et je chevauche de vertes collines, qui abritent des petits
villages, plus vivants que ceux d'hier. La côte fera en tout une trentaine de
kilomètres.
La fin de l'étape ne sera pas
de tout repos, avec une invraisemblable série de montées et de descentes,
jusqu'à Sarria. Petite ville assez coquette, dans la plaine, avec de beaux
magasins.
Le refuge est en pleine ville,
dans le quartier ancien. Bien équipé, moderne, mais les couchettes sont bien
serrées! Au rez-de-chaussée, la salle à manger a une paroi de rocher. Le
responsable me conduit dans un garage appartenant à un "señor" qui demande 200 pesetas (8 F), pour le vélo. Je
pense que le "señor" et
lui-même ne font qu'un. Pas d'importance, ma monture est bien à l'abri. Dans le
garage, se trouve une camionnette C15 immatriculée en Charente, dont le
propriétaire est parti d'ici à pied vers Saint-Jacques. Certains pèlerins font
le voyage en plusieurs années, couvrant chaque fois une partie du Camino.
(à suivre, si vous le voulez bien...).
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