En cette époque pleine de contraintes et de menaces à destination des automobilistes, il est intéressant de se remémorer le monde automobile tel qu'il était "avant". Et comment le phénomène "collection" s'est petit-à-petit installé, avec l'augmentation du pouvoir d'achat.
"Avant", c'était quelques décennies en arrière, en cette époque bénie où le conducteur n'était pas considéré comme un voyou lorsqu'il utilisait la puissance de sa voiture, ni comme un pollueur s'il avait le pied un peu lourd, ou s'il pilotait une grosse cylindrée. La vitesse n'était pas hors-la-loi, et les constructeurs ne la cachaient pas. À l'époque, on ne rétrécissait pas les voies, et l'on supprimait les courbes gênantes et les dos-d'âne. Incroyable, mais vrai!
Restrictions vs collectionnite...
Le
nombre de collectionneurs de véhicules anciens semble augmenter chaque jour, si
l'on en juge le nombre de publications qui sont consacrées à ce hobby, la
quantité de structures proposant des pièces de rechanges, le volume des
transactions entre particuliers sur le net et ailleurs.
Dans le monde de l'automobile, les choses étaient bien
différentes autrefois. Après la seconde guerre mondiale, l'acquisition d'une
voiture constituait un véritable exploit. C'est pourquoi toutes les voitures pouvant rouler étaient sur la route; les modèles d'avant-guerre connaissaient
une seconde ou énième jeunesse, et terminaient leur carrière sur les rotules.
Très peu de personnes pouvaient se permettre de conserver au garage une
voiture-potiche.
Dans
les années 50, on pouvait acheter une Bugatti 34 chez un ferrailleur pour le
prix du métal ou guère plus, car il n'y avait aucune demande pour un engin non
adapté à un usage quotidien, et pour lequel les pièces de rechange étaient
encore plus difficiles à trouver. Un de nos jeunes amis en avait achetée une
dans une casse, et après quelques réparations sommaires la conduisait à
180 à l'heure sur les routes libres de l'époque, dans les explosions et les
flammes de l'échappement, en attirant la curiosité des passants et les foudres
des policiers lancés à sa poursuite sur leurs rudimentaires copies de BMW.
Lorsque
la production automobile retrouva un rythme plus normal, la rotation entre les
véhicules neufs et d'occasion se régula petit-à-petit. Il devint plus aisé de
suivre les progrès des nouveaux modèles en changeant régulièrement de véhicule.
Petit-à-petit la collectionnite allait faire ses premières victimes. Mais seuls
quelques fortunés ou originaux avaient l'idée de conserver leur ancienne auto,
ou d'en acheter une pour la garder au fond du garage. Je me souviens avoir été
très étonné d'apprendre qu'une connaissance gardait sa vieille 403 Peugeot, "pour
son petit-fils". Quelle drôle d'idée! Une 403, symbole de la voiture
familiale utilitaire, fabriquée à des centaines de milliers d'exemplaires,
allait donc connaître un sort digne d'une Talbot ou d'une Delahaye. Une nouvelle époque s'ouvrait.
Cependant les autos anciennes continuèrent de rester discrètes et peu recherchées. C'est ainsi qu'en
1969, je vendis ma berlinette Alpine après qu'elle m'eut comblé de
joies, parce que j'avais un creux dans mon budget et qu'elle avait
suffisamment souffert pour être normalement remplacée. Je pensais qu'elle le
serait rapidement. Les choses ne se sont pas passées comme prévu, et sa place
au garage ne fut plus occupée que par des véhicules plus utilitaires que
ludiques. Le marché de la voiture de collection n'existait pas, et de toutes
façons, je n'avais pas la possibilité matérielle de programmer une très
hypothétique plus-value en retardant la vente. Car le moment voulait qu'une
voiture perdit de la valeur au fil des années, fut-elle de noble origine.
Aujourd'hui,
en dehors de toute préoccupation spéculative, doit-on se lamenter d'avoir
franchi un pas, dans ce monde où le progrès technique nous enchante, nous
séduit et nous fait consommer? Doit-on regretter les véhicules anciens que les
performances des plus modernes rendent totalement obsolètes?
Les
avancées techniques, dans l'automobile comme dans d'autres domaines, sont tout
bonnement extraordinaires lorsqu'on y réfléchit bien. Moi qui ai connu
l'époque où l'on allait téléphoner à la Poste, et où l'on recevait les nouvelles urgentes des mains d'un petit télégraphiste, j'ai maintenant en poche un
adorable engin qui se prend pour un ordinateur miniature quand on le connecte
au web, qui capte des photos à 8 millions de pixels (j'ai rangé mon APN qui ne
dépasse pas les 5 millions), qui a une mémoire de 16 Go, qui fait le GPS, la
calculette, le bottin, le magnétophone, le dictionnaire, le sonomètre, la console de jeux, la lampe torche, entre autres, et qui permet aussi de téléphoner parfois. Même à l'autre bout de la planète, et quand bon me
semble.
Nos
automobiles, quant à elles, sont devenues puissantes, économes, sûres,
confortables, silencieuses, prévenantes... De quoi se réjouir, non? Comment
regretter les anciennes, qui ne dépassaient pas le 130 si elles étaient
berlines familiales, ou le 150 en version "sport"? Qui consommaient
10 à 12 litres aux 100 à 80 à l'heure, et vous secouaient les tripes dans un
concert de rossignols, ne freinaient plus en bas d'un col, et tentaient de
quitter la route à la moindre occasion.
Je
vais vous dire ma pensée : on a le droit de ne pas les regretter compte tenu
des incommensurables qualités des véhicules d'aujourd'hui. Mais, lorsqu'on aime
les challenges d'une manière générale, leur absence nous prive de sensations
brutales mais excitantes, franches et sincères, qui tenaient de leurs
réticences à être performantes. La conduite sportive des voitures du milieu du
siècle passé constituait souvent un véritable défi. Mais comme tous les défis,
il était fait pour être relevé. Par les conducteurs amateurs de sensations
fortes. Il l'est aujourd'hui par les amoureux de voitures anciennes, tout au
moins par ceux qui ont le courage de les pousser au bout de leurs possibilités,
en faisant fi du risque de les casser.
Bien
sûr, tous les collectionneurs ne se retrouvent pas dans ce portrait
rudimentaire, et l'on ne peut reprocher à certains de prendre le plus grand
soin de l'objet matérialisé de leurs rêves, surtout lorsqu'il leur a coûté beaucoup
de soins et beaucoup d'argent.
Mais
il n'en reste pas moins que nous sommes nombreux à attendre de notre auto
du moment, plus de contacts virils ou de sensations génératrices d'adrénaline,
que de confort, de silence et de trop molle facilité. Plus de rudesse et de
réactions vives, que de douceur et d'ESP.
Un
roadster anglais qui sautille sur les bosses et qui décolle des quatre roues
sur un petit dos-d'âne emportera nos suffrages, pour peu que la route à faire
ne soit point rectiligne. Une berlinette Alpine, légère comme une paille, nous
emportera vers un univers merveilleux et grisant, dans des glissements
volontaires politiquement incorrects, et les rugissements des deux double-corps Weber, bien
plus assoiffés que cela n'est permis aujourd'hui.
Monsieur
le Progrès, après nous avoir faussement fait croire que vous déteniez le secret
du bonheur, allez vous cacher derrière le monceau de nos désillusions, et pour
un moment, fi-chez-nous-la-paix ! On jouit…
Extrait de "Dits d'autos", de l'auteur.
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