Une journée qui se déroule comme celle d’hier, et sans doute comme celle de demain. Sans apporter de satisfactions, sinon celle de se sentir vivant et actif. L’activité ne lui faisait pas peur, au contraire, il aimait sentir que les choses — qu’elles fussent matérielles ou psychologiques — soient modifiées, soient qualifiées par ses actions ou ses décisions.
Il n’était pas malheureux, mais regrettait de ne pas pouvoir s’accorder avec le monde d’aujourd’hui, avec cet univers de consommation effrénée, de recherches orientées vers la distraction, les vacances, les loisirs...
Son maigre salaire ne lui permettait pas de combler ses frustrations, et il rêvait souvent au bonheur que ce serait de disposer une fois dans sa vie d’une manne inattendue et opportune, qui lui permettrait d’assouvir pour un temps, ces tentations qu’il savait futiles, mais qui le rongeaient chaque jour un peu plus.
Les essais qu’il avait faits dans le domaine du jeu n’avaient jamais porté de fruits. Les achats de cartes à gratter, ou les investissements dans le Loto ou le PMU, se montraient parfaitement inopérants. Il savait qu’il ne serait jamais celui dont les médias cachent le nom parce qu’il a empoché le gros lot.
Il devait s’y résigner.
Mais un jour qu’il avait un travail à effectuer dans une église, il crut avoir trouvé le moyen d’avancer dans sa quête.
Alors qu’il venait juste de commencer à asséner de grands coups de marteau sur le cul d’un burin, dans le but de creuser une saignée, il se rendit compte soudain qu’il n’était pas seul. À cette heure matinale, dans un coin sombre de la nef, se tenait un homme, penché en avant, la tête sur ses avant-bras posés sur le dossier du siège devant lui, semblant dormir.
Un peu gêné, notre héros descendit de son échelle, s’avança vers l’homme, qui se retourna à son approche, montrant un visage calme et avenant :
— Je suis confus, lui dit-il, je ne vous avais pas vu, et là, je suis obligé de faire tout ce bruit...
— Ne vous excusez pas, et faites votre travail. Le bruit ne me dérange pas dans ma méditation. Continuez, je vous en prie.
— Pardonnez mes questions, peut-être indiscrètes : vous parvenez à méditer même dans le bruit?
— Bien sûr, rien ne me dérange quand je me concentre sur une pensée, sur un sujet, sur un projet, sur ce que je désire...
— Ce que vous désirez? Mais... est-ce que se concentrer sur un désir permet qu’il se réalise?
— Oui, généralement, si je me concentre suffisamment profondément et suffisamment longtemps, ça fonctionne bien.
— ... mais...
— Je vous en prie, continuez votre tâche, tout va bien.
— Je... vous voulez dire que si moi, je fais comme vous, j’obtiendrai ce que je rêve d’avoir?
— Je pense que vous aurez de bonnes chances de voir vos désirs se réaliser! Essayez! Mais n’oubliez pas que l’on ne gagne pas à tous les coups...
Troublé, mais conscient qu’un monde de possibilités nouvelles s’offrait à lui, il grimpa sur son échelle, la tête pleine de pensées confuses. Petit-à-petit, il se persuada que les paroles de l’inconnu avaient un sens, et qu’il devait essayer à son tour de favoriser le sort, de s’approprier le rêve. Il ne risquait rien à essayer.
Ses pertes récentes aux courses hippiques l’avaient suffisamment marqué pour qu’elles surgissent brutalement et douloureusement dans son esprit surchauffé. Il devait absolument se rattraper, il devait gagner de quoi compenser ses pertes, et même plus...
Pour le prochain tiercé, il avait déjà repéré trois chevaux qui semblaient mériter les meilleurs pronostics, et qui ne lui étaient pas inconnus, car il avait déjà à plusieurs reprises remarqué leurs performances.
— Je vais jouer l’As, le 4 et le 8! Je vais me concentrer sur ces 3 chiffres jusqu’à la course! Nous verrons bien.
Il fit ainsi, s’appliqua à écouter ce qui se disait dans sa tête, tâcha de faire un tri rigoureux dans ses pensées, ne conservant que celles capables de répéter 1,4,8. Oui, 1,4,8. Encore 1,4,8, 1,4,8, 1,4,8...
Inutile de préciser qu’il eut beaucoup de mal. Sa petite voix intérieure, par la force de l’habitude, s’empressait de divaguer d’un sujet à l’autre, d’une pensée à l’autre, d’un imaginaire à l’autre.
— Mais non, il faut penser : 1,4,8, 1,4,8...
La nuit venue, il posa sa tête un peu zonzonnante sur l’oreiller qui lui murmura les chiffres fatidiques, inlassablement, jusqu’à la bienvenue anesthésie par le sommeil.
Le matin le trouva un peu flottant, concentré et taiseux. Comme un automate, il se rendit à l’arrêt d’autobus. Plus tard, il faillit rater sa station, et descendit précipitamment. Il s’avança trop vite pour traverser, et dans sa distraction ne vit pas le danger. Il se fit renverser par un camion qui dépassait le bus encore arrêté.
Le choc fut terrible. Il se retrouva à terre dans un univers de douleurs, un monde rougi par son sang, dont il avait le goût salé dans la bouche. Dans le choc, la plaque d’immatriculation s’était en partie détachée, et se balançait devant ses yeux prêts à chavirer.
Avant de perdre conscience, comme à travers une brume dansante, il parvint à distinguer, entre les lettres, le chiffre 1, puis le 4, et aussi le 8.
— 148... 1, 4, 8,... Ça marche, ce truc! furent ses derniers mots.
Il n’était pas malheureux, mais regrettait de ne pas pouvoir s’accorder avec le monde d’aujourd’hui, avec cet univers de consommation effrénée, de recherches orientées vers la distraction, les vacances, les loisirs...
Son maigre salaire ne lui permettait pas de combler ses frustrations, et il rêvait souvent au bonheur que ce serait de disposer une fois dans sa vie d’une manne inattendue et opportune, qui lui permettrait d’assouvir pour un temps, ces tentations qu’il savait futiles, mais qui le rongeaient chaque jour un peu plus.
Les essais qu’il avait faits dans le domaine du jeu n’avaient jamais porté de fruits. Les achats de cartes à gratter, ou les investissements dans le Loto ou le PMU, se montraient parfaitement inopérants. Il savait qu’il ne serait jamais celui dont les médias cachent le nom parce qu’il a empoché le gros lot.
Il devait s’y résigner.
Mais un jour qu’il avait un travail à effectuer dans une église, il crut avoir trouvé le moyen d’avancer dans sa quête.
Alors qu’il venait juste de commencer à asséner de grands coups de marteau sur le cul d’un burin, dans le but de creuser une saignée, il se rendit compte soudain qu’il n’était pas seul. À cette heure matinale, dans un coin sombre de la nef, se tenait un homme, penché en avant, la tête sur ses avant-bras posés sur le dossier du siège devant lui, semblant dormir.
Un peu gêné, notre héros descendit de son échelle, s’avança vers l’homme, qui se retourna à son approche, montrant un visage calme et avenant :
— Je suis confus, lui dit-il, je ne vous avais pas vu, et là, je suis obligé de faire tout ce bruit...
— Ne vous excusez pas, et faites votre travail. Le bruit ne me dérange pas dans ma méditation. Continuez, je vous en prie.
— Pardonnez mes questions, peut-être indiscrètes : vous parvenez à méditer même dans le bruit?
— Bien sûr, rien ne me dérange quand je me concentre sur une pensée, sur un sujet, sur un projet, sur ce que je désire...
— Ce que vous désirez? Mais... est-ce que se concentrer sur un désir permet qu’il se réalise?
— Oui, généralement, si je me concentre suffisamment profondément et suffisamment longtemps, ça fonctionne bien.
— ... mais...
— Je vous en prie, continuez votre tâche, tout va bien.
— Je... vous voulez dire que si moi, je fais comme vous, j’obtiendrai ce que je rêve d’avoir?
— Je pense que vous aurez de bonnes chances de voir vos désirs se réaliser! Essayez! Mais n’oubliez pas que l’on ne gagne pas à tous les coups...
Troublé, mais conscient qu’un monde de possibilités nouvelles s’offrait à lui, il grimpa sur son échelle, la tête pleine de pensées confuses. Petit-à-petit, il se persuada que les paroles de l’inconnu avaient un sens, et qu’il devait essayer à son tour de favoriser le sort, de s’approprier le rêve. Il ne risquait rien à essayer.
Ses pertes récentes aux courses hippiques l’avaient suffisamment marqué pour qu’elles surgissent brutalement et douloureusement dans son esprit surchauffé. Il devait absolument se rattraper, il devait gagner de quoi compenser ses pertes, et même plus...
Pour le prochain tiercé, il avait déjà repéré trois chevaux qui semblaient mériter les meilleurs pronostics, et qui ne lui étaient pas inconnus, car il avait déjà à plusieurs reprises remarqué leurs performances.
— Je vais jouer l’As, le 4 et le 8! Je vais me concentrer sur ces 3 chiffres jusqu’à la course! Nous verrons bien.
Il fit ainsi, s’appliqua à écouter ce qui se disait dans sa tête, tâcha de faire un tri rigoureux dans ses pensées, ne conservant que celles capables de répéter 1,4,8. Oui, 1,4,8. Encore 1,4,8, 1,4,8, 1,4,8...
Inutile de préciser qu’il eut beaucoup de mal. Sa petite voix intérieure, par la force de l’habitude, s’empressait de divaguer d’un sujet à l’autre, d’une pensée à l’autre, d’un imaginaire à l’autre.
— Mais non, il faut penser : 1,4,8, 1,4,8...
La nuit venue, il posa sa tête un peu zonzonnante sur l’oreiller qui lui murmura les chiffres fatidiques, inlassablement, jusqu’à la bienvenue anesthésie par le sommeil.
Le matin le trouva un peu flottant, concentré et taiseux. Comme un automate, il se rendit à l’arrêt d’autobus. Plus tard, il faillit rater sa station, et descendit précipitamment. Il s’avança trop vite pour traverser, et dans sa distraction ne vit pas le danger. Il se fit renverser par un camion qui dépassait le bus encore arrêté.
Le choc fut terrible. Il se retrouva à terre dans un univers de douleurs, un monde rougi par son sang, dont il avait le goût salé dans la bouche. Dans le choc, la plaque d’immatriculation s’était en partie détachée, et se balançait devant ses yeux prêts à chavirer.
Avant de perdre conscience, comme à travers une brume dansante, il parvint à distinguer, entre les lettres, le chiffre 1, puis le 4, et aussi le 8.
— 148... 1, 4, 8,... Ça marche, ce truc! furent ses derniers mots.
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