Dans une situation étrange, comme celle que nous vivons aujourd’hui, le temps change de caractère : il n’est pas plus lent, pas plus rapide. Il est différent. Il semble avoir changé de qualité, et avoir modifié le déroulement de nos pensées. J’ai l'habitude d’écouter les miennes, qui ont aujourd’hui tendance à se bousculer dans un temps devenu trop petit pour elles.
Je crois que le moment est venu d’y mettre de l’ordre en les couchant sur le papier fictif de l’écran de mon ordinateur. J’utiliserai pour cela le nous du narrateur.
Peut-être les trouverez-vous aptes à meubler un instant votre … confinement !
Le mot confinement, est un de ces mots peu usités en temps normal, mais que l’on entend, qu’on lit, qu’on pense, cent fois par jour, en ce moment. Son aspect tristounet et son image négative ne nous procurent aucun sentiment positif. Malgré tout, ce vocable est de notre langue et mérite quelque attention de notre part, aujourd’hui.
Confinement vient du verbe confiner, aux multiples sens.
- Confiner à, ou avec, indique une proximité spatiale ou, au sens figuré un rapprochement de concepts.
« Sa propriété confine avec le centre de loisirs de la ville… »
Ou encore :
« Une telle attitude confine à la bêtise… »
- Le verbe confiner peut être employé pour insister sur une appartenance, un choix, un attitude spécifiques :
« Ce coach se confine uniquement à des méthodes extrême-orientales… »
- Enfin, bien sûr, il désigne une relégation, un enfermement suggéré ou imposé en un lieu déterminé. C’est un terme moins coercitif que le mot emprisonnement.
« Les malades sont confinés dans leur chambre… »
Au sens figuré, la notion d’espace physique peut laisser la place à un concept affectif, par exemple :
« Il se confinait dans ses projets de vengeance… »
L’expérience récente se charge de nous expliquer en pratique, ce que veut dire ce verbe, et ce que comporte de contraignant son nom.
Chacun d’entre nous, prisonnier d’occasion, ressent le poids ce cette obligation. Pour certains, elle est excessive, dénonce un excès de précaution, l'utilisation d’un pouvoir inapproprié. Pour d’autres, heureusement les plus nombreux, elle est la preuve d’une acuité prophylactique, une bonne décision en faveur de la pérennité de l’ordre social, et le respect des vies humaines, par les pouvoirs publics. Faute de mieux.
Pour tous, elle constitue une contrainte plus ou moins bien vécue, mais elle est aussi l’occasion de donner libre cours aux questionnements les plus divers sur la vie et la mort, l’ennui, le temps gaspillé, l’argent non perçu, pour les commerçants en particulier.
D’un autre côté, cette obligation sera certainement la cause de comportements inhabituels vis-à-vis d’autrui, que l’autre soit proche ou inconnu. On pense bien sûr à la belle attitude des soignants, et de ceux, qui, à tous les niveaux de l’activité sociale continuent leur tâche même si elle les expose à la contagion.
Ainsi, le centre de dépistage de Marseille, qui connait un afflux de demandes sans précédent, a noté la dignité des patients dans la queue des candidats à la détection, des patients qui portent bien leur nom.
À l’inverse, ce sera aussi l’occasion d’assister à des comportements péjoratifs d’agressivité et d’égoïsme, sous fond de panique inavouée, car à l’opposé des nombreux citoyens qui se plient aux consignes et en acceptent les conséquences, d’autres plus inconscients qu’insouciants ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et de leur intérêt immédiat, et après leurs achats inconsidérés, continuent leurs promenades, leurs visites mondaines, les poignées de mains et les embrassades.
Nous devinons que des mini-drames dus à « trop de contact », vont se produire dans certaines familles qui comportent parmi leurs membres, des individualités habituellement promptes à une certaine forme d’agressivité. Ces personnes, chez qui l’excès d’activité compense un malaise psychologique, un vide intérieur, et qui trouvaient un équilibre dans une plongée aveugle dans leur travail, ou dans une pratique effrénée du sport, vont certainement voir s’aggraver leurs problèmes, et s’en prendront à leurs proches, peu habitués à subir de tels assauts. Tels les alcooliques ou les drogués en manque, ils vont devenir invivables. Ce sont eux qu’aux USA, on appelle les « workoolics »…
De leur côté, plus calmes, les poètes et les amoureux de la nature, cernés par les murs de leur appartement, se sentiront frustrés, particulièrement dans les villes.
Ce qui ne sera pas le cas des habitants des zones rurales, lesquelles ont assisté à une petite invasion de citadins, fuyant leurs villes devenues oppressantes à leurs yeux.
Dans un autre domaine de réflexion, le confinement et les risques liés à la situation conduisent forcément l’individu à se poser des questions qu’il n’avait jamais abordées auparavant avec autant d’acuité. De ces questions que l’on qualifie souvent de « métaphysiques », peut-être parce qu’elles concernent un aspect de notre existence abordé d’une façon différente, inhabituelle. Le préfixe méta nous y fait penser.
Le terme métaphysique est traduit de différentes façons, et je crois que la meilleure manière de le définir se fait par l’exemple. À la question : « D’où venons-nous? », la réponse biologique est évidente, qui nous parle de nos géniteurs et de la manière qui a permis notre arrivée dans le monde. La réponse métaphysique est bien plus difficile, et concerne le domaine subtil et personnel des croyances, des mythes et des religions.
Mais la question que le confinement fait venir le plus facilement à l’orée de notre conscience troublée par l’angoisse et l’inquiétude, est plutôt celle qui concerne notre devenir immédiat. Et ce n’est pas en un questionnement unique qu’elle se manifestera, mais plutôt sous forme de rafales que nous n’oserons pas formuler clairement.
Personne ne sait combien de temps cette pandémie sévira, et combien seront les victimes sacrifiées à son appétit. Peut-être que nous ne le verrons pas. Ou bien, comme nous l’espérons, peut-être que tout sera fini dans quelques semaines, et que la vie reprendra son cours normal. Normal? Pas si sûr, normal n’est peut-être pas le mot qui convient à la situation qui est la nôtre, pandémie ou pas, sur une planète devenue trop petite, surchargée d’êtres vivants rendus déraisonnables par un excès de progrès technique, et par l’oubli des grands principes.
Comment en sommes-nous arrivés à cette surpopulation tragique, d’autant plus irréfléchie que les moyens apportés par le progrès nous ont permis de constater les limites de notre lieu de vie, la petitesse de notre globe, l’approche de la fin de ses réserves naturelles, alors qu’elles semblaient infinies à nos parents?
Peut-être que l’univers se défend devant les inconvenances de nos comportements critiquables, et qu’il nous fait comprendre que nous avons eu tort de le défier, de le transformer à notre convenance, en nous prenant pour des dieux. Peut-être que notre monde est dans une situation encore jamais rencontrée dans son histoire, et que nous en vivons une période originale, dont personne ne sait rien. Pas même les orgueilleux mais approximatifs statisticiens, illégitimement fiers de leurs modélisations. Car la nature n’a pas de raison de se plier à la conception que s’en fait la pauvre science des hommes.
Dans la pire des hypothèses, cette épidémie ne cessera qu’à la condition qu’un équilibre soit à nouveau établi, qui permettrait aussi que les plaies de notre habitat guérissent. Ça, c'est la vision instinctive, qui implique la reconnaissance du péché, et l'acceptation de la sentence. C'est aussi la plus courante, la plus péjorative pour notre intellect inquiet. Mais tellement facile à exprimer dans un contexte comme celui-ci!
Alors, il s'écoulerait un temps terrible, qui montrerait peut-être — après la disparition du plus grand nombre — quelques milliers de survivants hébétés errant dans des villes trop grandes, des places de village vides, sur des routes devenues inutiles, et un sol déjà rendu partiellement stérile par la folie de leurs congénères égoïstes.
Les œuvres de science fiction nous ont déjà fait maint tableaux de cette apocalypse dont on se passerait fort bien, et que la si bien dite « folie des hommes » nous aurait concoctée, même sans l'aide de virus.
Mais cette fois pour de vrai.
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